L'échec & Le match d'Akhannouch



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الرأي العام في المغرب.

 



  ■  L'échec & Le match

Au Maroc, quand Abdellatif Jouahri contrarie les plans d’
Aziz Akhannouch.

En relevant le taux directeur, le gouverneur de la Banque centrale entend juguler l’inflation. Mais, ce faisant, il risque de freiner la croissance et le programme du chef du gouvernement, lequel a dû demander un arbitrage de Mohammed VI. 

Un duel au sommet entre les deux hommes à la méthode et au style diamétralement opposés.



Abdellatif Jouahri, gouverneur de la Banque centrale marocaine, est un gros caillou dans la chaussure du Premier ministre, Aziz Akhannouch.



LE MATCH – Le 21 mars dernier aux alentours de 16 heures, une cinquantaine de journalistes attendent avec impatience la traditionnelle conférence de presse d’Abdellatif Jouahri. Unanimement respecté, le gouverneur de la Banque centrale (Bank al-Maghrib, BAM) a la parole rare mais précieuse, tant son franc-parler, ses petites phrases et ses analyses sans concession sur la situation économique du royaume tranchent avec le climat politique ambiant, habituellement dépourvu de relief.

L’événement est d’autant plus attendu que le conseil de BAM venait d’annoncer une hausse du taux directeur – la troisième en six mois – de 50 points de base pour le porter à 3 % afin d’essayer de freiner l’inflation, à 10,1 % en février dernier, du jamais vu depuis les années 1980.
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Mais, quelques minutes plus tard, coup de théâtre : la conférence de presse est annulée. C’est une première. Officiellement, la décision est due « à des raisons personnelles », souffle son entourage aux journalistes. Une communication peu convaincante qui tente, en réalité, de masquer des tensions inédites avec Aziz Akhannouch.

À propos d’abord du relèvement du taux directeur lui-même. Car si, pour BAM, le relèvement du taux directeur constitue un moyen de prévenir « l’enclenchement de spirales inflationnistes auto-entretenues », le chef du gouvernement considère, lui, qu’il s’agit surtout d’un frein à la croissance. Croissance qu’Aziz Akhannouch promet se fait fort de relancer à coups d’investissements, afin de pouvoir financer d’ambitieuses réformes sociales et de créer un million d’emplois à l’horizon 2026.

L’autre pomme de discorde

Dans son communiqué, la Banque centrale indique ainsi avoir relevé que « malgré une relative atténuation des pressions d’origine externe, les données récentes montrent que l’inflation continue d’accélérer, sous l’effet notamment de chocs d’offre internes sur certains produits alimentaires. » 

Et d’asséner : Le conseil « a pris note à cet égard des mesures mises en place par le gouvernement pour améliorer l’offre de ces produits et assurer le bon fonctionnement de leurs marchés. » Une critique à peine voilée, selon plusieurs observateurs, de la gestion de l’inflation par l’exécutif.

L’inflation est-elle d’origine interne, comme l’explique la Banque centrale, ou « importée » comme l’estime le gouvernement ? 
C’est le fond du désaccord. Mais pas le seul. Selon une source au fait du dossier, un autre passage du communiqué met dans l’embarras Aziz Akhannouch : La décompensation des prix des produits actuellement subventionnés, qui devrait entrer en vigueur en 2024 et qui contribuerait à « maintenir l’inflation globalement à un niveau élevé », précise la communication de BAM. « C’est au gouvernement de communiquer sur le démarrage de la décompensation et la manière dont elle doit se faire, et non pas au gouverneur de Bank al-Maghrib. 

Surtout que son démarrage est tributaire de la mise en place du Registre social unifié (RSU) qui n’a pas encore été lancé », proteste-t-elle.

Certes, ce n’est pas la première fois qu’Abdellatif Jouahri évoque dans ses communiqués le sujet de la décompensation – qui figure d’ailleurs dans la loi relative à la couverture sociale – mais, dans un contexte où la colère monte contre la hausse des prix, il ne s’agit plus d’une priorité du gouvernement, comme s’est empressé de le préciser son porte-parole le 23 mars. « On ne touchera pas à la caisse de compensation […] 

 Nous maintiendrons la compensation pour continuer à soutenir les produits de base », a réagi Mustapha Baïtas, ministre délégué auprès du chef du Premier ministre et porte-parole du gouvernement, au cours d’une conférence de presse.


Arbitrage royal

Interrogé par ailleurs sur la brouille avec Abdellatif Jouahri, Mustapha Baïtas a tout nié en bloc, indiquant que la Banque centrale était indépendante en vertu de la constitution, et qu’elle avait sa propre lecture de la situation économique. 
La dérobade était attendue, Bank al-Maghrib étant en effet, de par ses statuts, totalement indépendante de l’exécutif.

Mais en effectuant sa mission de surveillance de la variation des prix, Abdellatif Jouahri contrarie bien les objectifs de croissance de l’équipe d’Aziz Akhannouch. Selon nos sources, le mécontentement du chef du gouvernement a atteint un point tel qu’il a dû demander un arbitrage royal. Une demande qui ne semble pas avoir reçu une réponse favorable de la part de Mohammed VI.

« Heureusement que cela n’a pas marché. Le hic, c’est qu’on crée des institutions indépendantes avec des prérogatives importantes mais, dès qu’elles exercent ces prérogatives, lesquelles contrarient parfois les ambitions des politiques, on cherche à les brimer », commente pour Jeune Afrique Hassan Chami, ancien ministre et ex-patron des patrons. Hormis un incident demeuré sans explication – la Banque centrale a mystérieusement retiré son communiqué le 21 mars avant de le remettre en ligne le lendemain –, aucun changement n’a eu lieu depuis.

Vétéran chevronné

Nommé en 2003 à la tête de Bank al-Maghrib, Abdellatif Jouahri a toujours bénéficié de la confiance du souverain, auquel il présente d’ailleurs chaque année un rapport sans concession sur la situation économique du royaume. 

Classé en 2022 parmi les vingt meilleurs banquiers centraux par le magazine américain Global Finance, le grand commis de l’État – né à Fès en 1939 – a soixante ans de carrière dans la haute fonction publique, dont plus de la moitié au sein de la banque centrale – où il a occupé dès 1962 plusieurs postes de direction.

Ancien consultant pour le FMI et pour la BID, le premier banquier du royaume a eu à gérer toutes les crises économiques que le Maroc a traversées les quarante dernières années. 

À commencer par la plus grave, celle qui a abouti en 1983 à l’adoption du Plan d’ajustement structurel (PAS) avec l’appui du FMI et de la Banque mondiale.

Ministre des Finances de 1981 à 1986, ce vétéran avait manœuvré pour éviter l’effondrement à l’économie marocaine dans une conjoncture internationale très difficile difficile (flambée du dollar, hausse du cours de pétrole…). Plus de vingt ans plus tard, l’homme a dû, cette fois en tant que gouverneur de la Banque centrale, faire face à la crise de 2008 et à ses effets. « Jouahri est quelqu’un de très chevronné. Il sait ce qu’il fait », fait simplement observer Hassan Chami.
Une différence de styles

Au-delà de ce débat, ce duel au sommet est aussi celui de deux hommes que, pour ainsi dire, tout oppose. 

Là où le chef du gouvernement doit son ascension à sa fortune et à ses ambitions politiques, Abdellatif Jouahri dédaigne aussi bien les affaires que la politique. 
Tour à tour ministre, PDG de la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE), président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) et PDG de la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites (CIMR), il a côtoyé les deux mondes, sous Hassan II comme sous Mohammed VI, sans véritablement en faire partie.

Son verbe haut, sans langue de bois, tranche aussi avec le caractère timide du patron du Rassemblement national des indépendants (RNI), qui goûte peu les joutes verbales. 
En 2021, un événement donne la mesure du fossé qui les sépare. Répondant en juin 2021 à la question d’un journaliste sur le réalisme de certaines promesses politiques, Abdellatif Jouahri rétorque, goguenard : « Je suis parfois abasourdi devant des programmes politiques qui veulent réformer tous les secteurs en cinq ans », a-t-il lancé, qualifiant au passage les partis politiques de « machins ».

Une pique à l’adresse du « parti de la colombe », alors en campagne pour déloger les islamistes du gouvernement ? 
La formation d’Aziz Akhannouch a en tout cas saisi la balle au bond pour fustiger dans un communiqué des propos qui « sapent la construction institutionnelle du royaume et [qui] portent profondément atteinte à l’option démocratique ». 

Preuve s’il en est que les deux personnalités ont peu d’atomes crochus. 
Et que cela ne date pas d’aujourd’hui.





Pour aller plus loin écouter le discours de Nabil Benabdallah :





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