A quoi joue Mustapha Ramid ?

A quoi joue Mustapha Ramid ?

 

Suite à l’intervention des forces de l’ordre, en plein congrès extraordinaire de l’UGTM dimanche 21 mai, pour en interrompre les travaux, le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme Mustapha Ramid – avocat de son état et ancien ministre de la Justice – a publié un statut sur sa page Facebook, dans lequel il apporte son avis sur cette intervention.
Si, dans le fonds, l’argumentaire de Ramid est recevable, c’est dans la forme que cela pose, ou peut poser, ou posera problème.

Les faits.
Dimanche 21 mai, l’UGTM, canal Chabat et Kafi Cherrat, organise un congrès extraordinaire électif. L’objectif est de faire élire Hamid Chabat (secrétaire de l’Istiqlal et ancien SG de l’UGTM) à la place de Kafi Cherrat. Quelques jours auparavant, l’UGTM avait organisé un autre congrès à l’issue duquel c’est Enaam Miyara qui a été désigné secrétaire général, évinçant Kafi Cherrat.

Le conflit oppose donc les deux courants de l’UGTM, sur fond de lutte fratricide au sein de l’Istiqlal entre Hamid Chabat et Hamdi Ould Rachid.

Une fois avoir appris la tenue de ce congrès du 21 mai, Enaam Miyara a esté en justice au tribunal de 1ère instance de Rabat aux fins d’interdire le congrès de Chabat. Débouté le 19, soit 48 heures après le dépôt de sa plainte, Miyara s’en est allé au tribunal de 1ère instance de Salé, toujours le 19 mai, et ce même 19 mai, les juges de Salé se prononcent pour l’interdiction du congrès du 21.
Le 21 donc, le congrès se tient, et alors que Chabat est à la tribune, les forces de l’ordre, dûment harnachées en combinaisons, casques et tout l’équipement, font leur intrusion et essaient d’interdire le congrès. Ils n’y réussissent pas car Chabat est finalement élu, et Kafi Cherrat est désigné SG-adjoint.

Chabat fait alors plusieurs déclarations, d’où il ressort que l’intervention des forces de l’ordre était illégale car les huissiers placés sous leur protection avaient seulement mandat, selon lui, de constater la tenue du congrès et non de l’interdire.

Le lendemain 22 mai, la Direction générale de la police nationale (DGSN) publie un communiqué où elle indique que : « L’intervention des forces publiques avait pour but de garantir la protection de l’huissier de justice chargé de l’exécution, conformément à la Loi, ainsi que le déroulement des procédures d’exécution de la décision judiciaire d’interdiction de la tenue d’une activité syndicale dans un local, sis à Salé, tout en élargissant le périmètre d’exécution à tout autre lieu à Rabat ».
Nous sommes donc là face à deux versions différentes sur la pertinence de l’intervention des forces de l’ordre, celle de Chabat et celle de la DGSN. Et c’est là que Ramid intervient.

La position de Ramid.
Dans un long et très structuré statut publié mardi 23 mai, le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme, s’interroge sur ce qui s’est passé.

1/ Mustapha Ramid relate le calendrier judiciaire de cette affaire, puis se pose des questions sur la raison qui a conduit Miyara à saisir un second tribunal, le même jour où il a appris qu’il a été débouté par le premier, puis s’interpelle lui-même sur les dessous du second jugement, celui de Salé, avec moult points d’interrogations à l’appui.

2/ Mustapha Ramid médite sur le fait que le tribunal de Rabat a convoqué le défendeur, contrairement au second, lequel ne s’est prononcé que sur les faits apportés par le plaignant. « Peut-on convoquer les deux parties dans un tribunal, et ne pas le faire dans l’autre, tenant compte des données et tenants du problème ? »…

3/ Le ministre d’Etat constate que le tribunal de Salé a prononcé l’interdiction du congrès du 21 mai, sans ordonner l’usage de la force publique, ce qui pose selon lui la question de la légitimité de l’usage de cette force publique… Puis il va plus loin en se demandant si tous les autres justiciables, en pareils cas, pourraient bénéficier de l’intervention de la police pour faire exécuter un jugement.

4/ « En dépit des conditions qui ont présidé au second jugement », dit Ramid… la décision de Salé bénéficie de l’autorité de la chose jugée et, à défaut d’une décision contraire d’une instance supérieure, pouvait être opposée au congrès du 21 mai, dont les décisions auraient pu être déclarées illégales, et sans avoir besoin d’avoir recours à la force publique.

Et cela, conclut Mustapha Ramid, « les autorités concernées auraient pu éviter  de faire respecter la décision de Salé de cette manière qui suscite des interrogations et conduit à se poser des questions sur la neutralité de plusieurs pouvoirs à l’égard de ce qui n’est finalement qu’un conflit syndical qui ne nécessite aucunement tant de mesures et de décisions extraordinaires et exceptionnelles ».

Conclusion.
Si Mustapha Ramid a raison d’intervenir en sa qualité d’avocat et de juriste, et si dans le fonds, il déroule un raisonnement juridique irréfutable, ou difficilement réfutable, il n’en demeure pas moins qu’il est ministre d’Etat et qu’il est tenu à la solidarité gouvernementale (la DGSN est placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, dirigé par Laftit, dont on connaît les relations plutôt tendues avec Ramid). D’où le fait que :
1/ Le ministre d’Etat dément la version de la DGSN qui, elle, assure que ses éléments ont veillé à l’exécution d’une décision judiciaire, laissant entendre dans son communiqué qu’elle a agi selon des ordres de l’autorité judiciaire, ce que Ramid récus,

2/ Le ministre d’Etat met quasi ouvertement en question la compétence des juges de Salé en leur reprochant de n’avoir écouté qu’une partie et non l’autre,  et laisse entendre une erreur, voire une négligence (au mieux) judiciaire…

3/ Le numéro 2 du gouvernement use explicitement du terme « neutralité », pour en reprocher en filigrane le manque à « plusieurs pouvoirs ».
Le statut de Mustapha Ramid aurait été plus juste s’il n’émanait pas d’une autorité gouvernementale, et sa position dans cette affaire met très sérieusement en question son statut de ministre, d’Etat ou non.

Et ainsi donc, après avoir été taxé de « Ben Arafa » du gouvernement (un terme qu’il  avait lui-même utilisé en janvier quand on lui demandait s‘il était un plan B pour Benkirane), Ramid serait-il en train de jouer sur les deux tableaux, celui d’une fidélité à Benkirane en publiant ce statut, et celui de la loyauté à El Otmani, dont il a accepté l’offre d’intégrer le gouvernement ?

Le fait, aussi, d’avoir été repris par le site du PJD n’indiquerait-il pas une manœuvre de Ramid pour se mettre en position pour une éventuelle succession de Benkirane à la tête du PJD, en jouant la même partition des contempteurs d’El Otmani au sein du parti ?
Et si vraiment le ministre des Droits de l'Homme voulait s'exprimer sur une affaire qui pourrait relever de ses attributions, est-ce par Facebook qu'il devait le faire ?
Sauf à avoir d'autres desseins que celui de défendre la liberté de rassemblement...

Simples questions, dont les réponses seront fournies par les événements à venir, le PJD étant aujourd’hui en pleine tourmente et la succession de Benkirane étant dans tous les esprits, à défaut d’être dans toutes les bouches…

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