Dans les coulisses d’un pouvoir aux mains des militaires.

Le général à la retraite Rachid Benyelles publie ses mémoires

Dans les coulisses d’un pouvoir aux mains des militaires.

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Publié le 18.05.17 | 
 
De la prise du pouvoir par l’armée des frontières au coup de force de 1999, M. Benyelles décrit avec force détails les mécanismes de prise de décisions politiques engageant l’avenir d’un pays souvent sur la mauvaise voie.

C’est une plongée dans les coulisses d’un système de pouvoir opaque rompu aux manœuvres, aux coups de force et qui a fini par prendre en otage l’Etat et la société que nous propose l’ancien marin Rachid Benyelles dans ses mémoires intitulés Dans les arcanes du pouvoir qui sortiront la semaine prochaine aux éditions Barzakh. Longtemps après avoir quitté ses fonctions de haut gradé de l’armée et un bref passage au ministère des Transports sous le gouvernement de Abdelhamid Brahimi, le général à la retraite prend sa plume pour témoigner d’une longue époque politique tumultueuse d’un pays conduit à la dérive.
Il dresse le portrait d’un pouvoir où l’armée tient lieu de colonne vertébrale et sur lequel ses chefs ont fait main basse. De la prise du pouvoir par l’armée des frontières au coup de force de 1999, M. Benyelles décrit avec force détails les mécanismes de prise de décisions politiques engageant l’avenir d’un pays souvent sur la mauvaise voie.

Dès le début de sa carrière à la Marine, le hasard et l’histoire ont amené l’enfant de Tlemcen à jouer un rôle dans le coup d’Etat déposant Ben Bella, le 19 juin 1965. «Les préparatifs du coup de force furent confiés au secrétaire général de la Défense, le commandant Abdelkader Chabou qui, dans l’après-midi du 18 juin 1965, nous reçut, Khaled Nezzar et moi en notre qualité de directeurs centraux par intérim du matériel et de la marine, pour nous informer de la décision de déposer Ahmed Ben Bella dans la nuit du 18 au 19 juin.

Dans ce but, il avait confié, à chacun de nous, un secteur de responsabilité dans la ville d’Alger ; celui de Khaled Nezzar comprenait les quartiers de Belcourt et de Hussein dey, proches du siège de la direction du matériel qu’il dirigeait en l’absence de Hamou Bouzada, alors en stage à Moscou. Mon secteur comprenait les quartiers de Bab El Oued et de la basse-Casbah, tous deux proches de l’Amirauté, siège de la marine nationale que je dirigeais en l’absence de Mohamed Benmoussa également en stage en URSS», raconte le général âgé de 25 ans à l’époque.
La prise de distance par rapport aux événements, Rachid Benyelles ne dissimule pas son admiration pour le Colonel. Dans le chapitre qu’il consacre à son régime, il prend la défense de Boumediène sur bien des plans, et surtout il récuse la thèse de son implication dans les assassinats des opposants comme Mohamed Khider et Krim Belkacem.
«Aucune preuve n’a été apportée pour étayer les accusations», plaide-t-il.

Le général défend la thèse selon laquelle des services spéciaux étrangers seraient derrière ces assassinats pour salir le régime triomphant de Boumediène et l’affaiblir au plan international. A la mort du colonel Boumediène, Rachid Benyelles nous plonge aussi dans de nouvelles grandes tractations des militaires en œuvre pour désigner un successeur. «Kasdi Merbah, Mostefa Beloucif et moi-même étions les trois premiers officiers à l’approcher [Ndlr : Chadli], séparément et sans consultation préalable, pour le sonder sur ses intentions et lui suggérer de se porter candidat à la succession.

Nous étions persuadés qu’il était l’homme d’une législature unique et qu’une fois son mandat terminé, il s’empressera de céder sa place à une personnalité ayant la stature voulue pour diriger l’Algérie.
Cette appréciation se révélera erronée (…)», témoigne le général.
Le règne de Chadli fut chaotique, cela n’a pas empêché Benyelles de lui témoigner son «affection». Sous son règne, les guerres entre les militaires allaient redoubler de férocité pour le contrôle des centres névralgiques du pouvoir.
C’est sous Chadli que Larbi Belkheir allait devenir l’homme fort du système, prenant la place du puissant Beloucif «exécuté» par son ami Chadli parce que devenu encombrant pour «soupçon de corruption». Les rivalités entre les deux officiers étaient mortelles.
Sous l’influence grandissante de Belkheir, Chadli se sépare de son protégé ami de longue date que fut Beloucif.
Le hasard fait que le président propose à l’auteur de ces mémoires (Benyelles) de succéder à Beloucif au poste de secrétaire général du ministère de la Défense.

Un dilemme ! Après une longue hésitation, il accepte sa désignation. «‘‘C’est l’ami de longue date et non le Président qui te demande d’accepter ce poste afin de l’aider à mettre fin aux pratiques déplorables introduites au ministère de la Défense par Mostefa Beloucif, en matière de gestion financière’’, m’avoua-t-il avec tristesse avant d’ajouter que c’était pour son bien et celui de l’institution militaire qu’il voulait l’éloigner de tout ce qui touchait à l’argent…».
Terrible aveu sur la corruption qui gangrène l’institution militaire.

Octobre, les ruptures
A la seconde moitié du règne de Chadli, le pays est frappé par une crise économique, mais surtout par l’exacerbation des luttes d’influence à la Présidence et la réorganisation des services de renseignement. Une phase de flou qui avait empêché de voir la montée de l’islamisme et la dislocation de la société parce que les décideurs étaient occupés à se partager les territoires de pouvoir. «La réorganisation de la Sécurité militaire, au printemps de l’année 1988, avait porté sur la séparation de la direction en deux entités distinctes, l’une chargée du renseignement militaire et de la protection dans l’armée, l’autre de la sécurité intérieure et extérieure du territoire.
Occupés par leurs problèmes internes, les deux nouveaux services de sécurité ne verront pas venir les périls qui allaient déboucher sur les émeutes du 5 octobre», estime Benyelles.
Ce dernier, qui dit être opposé à l’analyse conspirationniste en vogue dans le sérail au sujet des événements d’Octobre, en fait une autre lecture. Celle de la fin d’une époque.

Une cassure entre un pouvoir autoritaire, gagné par la corruption, incapable d’ouvrir des perspectives sérieuses pour le pays et une société en rupture de ban. «Force était pour moi de constater que Chadli Bendjedid n’avait tiré aucun enseignement des tragiques événements qui avaient secoué le pays durant ces derniers jours.

J’étais à la croisée des chemins et je n’avais aucune envie de m’accrocher à mon poste.
Sur ce, j’ai rédigé une brève lettre de démission que j’ai fait parvenir sur-le-champ à Larbi Belkheir en le chargeant de la remettre au chef de l’Etat.» Benyelles décide alors de mettre un terme à une longue «fréquentation des travées du pouvoir».
Et c’est en tant qu’observateur «extérieur» qu’il scrute la suite des événements, mais parfois il est mis dans la confidence des décisions qui allaient entraîner le pays vers l’abîme. Sans verser dans des règlements de comptes personnels, encore moins faire le procès de ses collègues militaires, Rachid Benyelles tire les conclusions d’un régime politique au parcours chaotique dans lequel les militaires ont pesé de tout leur poids.

«Dans toutes les interventions, la décision d’engager l’armée pour imposer un régime autoritaire fut prise non par un collège d’officiers supérieurs siégeant en conseil institutionnalisé, mais par le seul chef militaire du moment, à savoir le colonel Houari Boumediène - en 1962 et juin 1965 -, le colonel Chadli Bendjedid - en janvier 1979 et octobre 1988 -, le général Khaled Nezzar - en janvier 1992 et 1994 - et le général Mohamed Lamari, en avril 1999. Dans tous ces cas de figure, les militaires n’auront jamais été qu’une masse de manœuvre obéissant aux ordres de leurs supérieurs hiérarchiques», conclut-il.

S’il lève le voile sur des périodes décisives du pouvoir algérien au travers de ses mémoires Dans les arcanes du pouvoir..., il s’adresse également aux militaires en exercice pour les éclairer sur les fourvoiements de leurs aînés. «Plus d’un demi-siècle après l’indépendance, avec une population qui est passée de 12 à plus de 40 millions d’habitants, des besoins de plus en plus difficiles à satisfaire et un environnement international en pleine recomposition, il est à espérer que les nouvelles générations d’officiers sauront tirer les enseignements du passé», conseille enfin l’ennemi juré de Abdelaziz Bouteflika.           
Par Hacen Ouali de El Watan

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