À quel stade un gigantesque réseau de corruption devient-il “mafieux” ?
La
justice a tranché : le tentaculaire réseau de corruption “Mafia
Capitale” ne relève pas de l’association mafieuse. Non seulement il va
falloir le désigner par un autre nom, mais surtout ce verdict interroge
la définition du mot “mafia” dans un pays qui en est pourtant familier.
Une chose est sûre, la nouvelle va au minimum poser un problème de vocabulaire : depuis qu’il a éclaté, en décembre 2014,
ce gigantesque scandale de corruption romain était connu sous le nom de
“Mafia Capitale”. Or ce 20 juillet, au terme de deux ans de procès,
le tribunal de Rome a rendu son verdict et n’a pas retenu la charge
d’“association mafieuse”.
Avec pragmatisme et un certain humour, Il Post résume donc la situation sous le titre : “Les condamnations du [procès] _________ Capitale”.
Comme
l’explique le site d’information, ce sont les magistrats qui ont, très
tôt, donné au dossier les noms épiques de “Monde du Milieu” et “Mafia
Capitale”.
Derrière ces intitulés, un système de collusion entre le crime organisé, le monde politique, des entreprises et des fonctionnaires.
Son principe : des appels d’offres, concernant la gestion des centres d’accueil pour migrants et celle des ordures, étaient détournés au profit de l’organisation, celle-ci récupérant ainsi d’importants fonds publics. Le scandale était remonté jusqu’à l’ancien maire de droite de Rome Gianni Alemanno, et l’instruction avait parlé d’“association mafieuse”.
“C’était la première fois que ce chef d’inculpation était invoqué pour des personnes qui n’appartiennent pas directement à la mafia, Camorra ou ‘Ndrangheta”, relève Il Post, mais cette charge n’a pas été retenue, et les 41 condamnés ont écopé de 287 ans de réclusion cumulés, contre les 515 demandés par le parquet.
De l’utilité du “label mafia”
Mais au-delà du problème sémantique, ce verdict soulève un débat plus profond, et le clivage est assez net : d’un côté, les journaux qui soutiennent depuis belle lurette qu’il n’y a pas lieu de parler de mafia mais de criminalité “ordinaire”, de l’autre ceux qui s’indignent de l’aveuglement des juges.
Ainsi, le journal conservateur Il Foglio ressort un éditorial de 2014, dans lequel son fondateur Giuliano Ferrara proclamait, déjà, que cette affaire de mafia était “une intox”. Le directeur du journal lui emboîte le pas et dénonce ce 21 juillet le fait que l’enquête n’ait “jamais été racontée à un autre temps que l’indicatif”, là où l’usage du conditionnel aurait dû prévaloir.
Le massacre, c’est-à-dire la diffamation de toute une ville, de sa population, “de son histoire trois fois millénaire” et de son “administration, certes désastreuse mais pas mafieuse”, assène le journaliste. La presse, y compris étrangère, en a rajouté une couche sur les maux de la capitale, et le maire Ignazio Marino a été contraint, largement pour cette raison, de démissionner.
Les
municipales approchant, l’opposition a rebondi sur le scandale, et le
Mouvement 5 étoiles a fait campagne, avec succès, sur la transparence et
la bonne gouvernance.
En juin 2016, cette formation souvent décrite comme “populiste” accédait à la mairie de Rome.
Bref, on a vu “une récupération politique” de l’enquête au détriment de la ville, dont “l’honneur a été bafoué pour une poignée de voix”, dénonce le journal.
Au contraire, rétorque le directeur de La Repubblica : les questions d’orgueil sont malvenues, et le verdict des juges est inquiétant. “Quand on aime Rome, il faut faire le ménage, ne pas dissimuler les malversations et la criminalité derrière une revendication d’orgueil postiche.” Le grand quotidien de centre gauche s’emporte : si “les lieux de pouvoir étaient infiltrés jusqu’à la moelle par une organisation criminelle que l’on ne peut pas désigner comme mafieuse”, c’est que “nous sommes perdus”.
Source : Courrier international
Avec pragmatisme et un certain humour, Il Post résume donc la situation sous le titre : “Les condamnations du [procès] _________ Capitale”.
Derrière ces intitulés, un système de collusion entre le crime organisé, le monde politique, des entreprises et des fonctionnaires.
Son principe : des appels d’offres, concernant la gestion des centres d’accueil pour migrants et celle des ordures, étaient détournés au profit de l’organisation, celle-ci récupérant ainsi d’importants fonds publics. Le scandale était remonté jusqu’à l’ancien maire de droite de Rome Gianni Alemanno, et l’instruction avait parlé d’“association mafieuse”.
“C’était la première fois que ce chef d’inculpation était invoqué pour des personnes qui n’appartiennent pas directement à la mafia, Camorra ou ‘Ndrangheta”, relève Il Post, mais cette charge n’a pas été retenue, et les 41 condamnés ont écopé de 287 ans de réclusion cumulés, contre les 515 demandés par le parquet.
De l’utilité du “label mafia”
Mais au-delà du problème sémantique, ce verdict soulève un débat plus profond, et le clivage est assez net : d’un côté, les journaux qui soutiennent depuis belle lurette qu’il n’y a pas lieu de parler de mafia mais de criminalité “ordinaire”, de l’autre ceux qui s’indignent de l’aveuglement des juges.
Ainsi, le journal conservateur Il Foglio ressort un éditorial de 2014, dans lequel son fondateur Giuliano Ferrara proclamait, déjà, que cette affaire de mafia était “une intox”. Le directeur du journal lui emboîte le pas et dénonce ce 21 juillet le fait que l’enquête n’ait “jamais été racontée à un autre temps que l’indicatif”, là où l’usage du conditionnel aurait dû prévaloir.
Les enquêtes sur la mafia perdent souvent le conditionnel parce que l’Italie est pleine de journalistes et de politiciens […] spécialisés dans la mise en place d’une opération évidente et dénuée de scrupules : la construction d’une fortune grâce à la marque ‘mafia’, en faisant abstraction de l’existence de preuves.”En recourant à ce “label mafia”, argue-t-il, “tout magistrat a la certitude de pouvoir user d’instruments réservés aux enquêtes sur base de l’article 416 bis [association de type mafieux] : plus de temps pour procéder à des écoutes, moins d’encadrement pour les perquisitions. Mais aussi de voir son enquête jouir d’une extraordinaire couverture médiatique”.
L’honneur de Rome “bafoué”
Pour La Stampa, la justice vient de reconnaître que “Rome a été victime d’une calomnie fantastique, colossale et globale”. À partir du moment où le scandale a été étiqueté “mafia”, “le massacre a commencé”.Le massacre, c’est-à-dire la diffamation de toute une ville, de sa population, “de son histoire trois fois millénaire” et de son “administration, certes désastreuse mais pas mafieuse”, assène le journaliste. La presse, y compris étrangère, en a rajouté une couche sur les maux de la capitale, et le maire Ignazio Marino a été contraint, largement pour cette raison, de démissionner.
En juin 2016, cette formation souvent décrite comme “populiste” accédait à la mairie de Rome.
Bref, on a vu “une récupération politique” de l’enquête au détriment de la ville, dont “l’honneur a été bafoué pour une poignée de voix”, dénonce le journal.
Au contraire, rétorque le directeur de La Repubblica : les questions d’orgueil sont malvenues, et le verdict des juges est inquiétant. “Quand on aime Rome, il faut faire le ménage, ne pas dissimuler les malversations et la criminalité derrière une revendication d’orgueil postiche.” Le grand quotidien de centre gauche s’emporte : si “les lieux de pouvoir étaient infiltrés jusqu’à la moelle par une organisation criminelle que l’on ne peut pas désigner comme mafieuse”, c’est que “nous sommes perdus”.
Désormais, à Rome, on a établi que c’est la géographie qui définit les phénomènes, et pas les phénomènes qui redéfinissent la géographie.
La mafia est donc à nouveau une chose sicilienne : que personne ne se permette d’imaginer qu’au-dessus du Garigliano [rivière au nord de Naples], de nouveaux clans locaux puissent faire usage de méthodes propres aux organisations mafieuses.”“Être ou ne pas être mafieux, c’est tout le problème”, résume le quotidien romain Il Tempo qui, prenant acte du verdict des juges, conclut : “Bienvenue à Rome, où la mafia cherche ses responsables.”
Source : Courrier international
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