Tension maximale en Catalogne : "Si ça dérape, c’est la fin de l’indépendantisme".
Jusqu'où peut aller le bras de fer entre Madrid et le gouvernement catalan ? Interview du philosophe et écrivain Josep Ramoneda.
Le gouvernement séparatiste de Catalogne a
reconnu, jeudi 21 septembre, que la vaste opération policière et
judiciaire menée dans la région compliquait l'organisation du référendum
d'autodétermination interdit, mais n'a pas pour autant renoncé à sa
tenue le 1er octobre. Jusqu'où peut aller le bras de fer entre Madrid et
le gouvernement catalan ? Interview du philosophe et écrivain Josep
Ramoneda.
Oui, on s'y attendait depuis quelques mois.
Le gouvernement catalan allait au choc frontal puisqu'il poursuivait son projet d'organiser le référendum alors que le gouvernement espagnol avait décidé que ce vote n'aurait pas lieu.
On attendait donc le moment où ce dernier allait passer à l'action autoritaire.
Il n'allait pas rester les bras croisés.
L'Etat espagnol a évidemment une puissance de frappe bien supérieure au gouvernement catalan : grâce au levier judiciaire et institutionnel, il a les moyens d'empêcher ce référendum.
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Les conditions pour qu'il ait un minimum de crédibilité ne sont pas réunies. On peut s'attendre maintenant à ce que les urnes soient saisies et on ne peut pas exclure que le président catalan lui-même soit arrêté. Je ne vois même pas comment il pourrait organiser un référendum similaire au référendum consultatif que les indépendantistes avaient organisé le 9 novembre 2014.
Faute de référendum, Carles Puigdemont peut convoquer le 1er octobre une grande mobilisation générale. Ce serait un moment fort symboliquement mais je ne vois pas ce qui pourrait en sortir. Autre option, il pourrait convoquer des élections anticipées. Cela permettrait de faire le point sur les forces réelles des uns et des autres et de constituer un gouvernement pour ouvrir une nouvelle étape.
Cela pourrait s'avérer intéressant pour les indépendantistes car ils pourraient profiter du climat actuel. Mais nous sommes pour l'instant dans une séquence très émotionnelle qui laisse peu d'espace aux décisions rationnelles.
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Les indépendantistes semblent décidés à foncer tête baissée jusqu'au bout. Pourquoi ?
Au fond, ils savaient que le référendum n'aurait pas lieu. Mais ils croient que le choc avec Madrid leur donne du capital politique pour le futur dans leur rapport de force avec le gouvernement espagnol.
Aujourd'hui, les indépendantistes n'ont aucun des trois éléments nécessaires pour déclarer une indépendance unilatérale :
- Ils n'ont pas une majorité suffisante. C'est le premier projet politique en Catalogne, mais ils sont autour de 40-45% des voix ; pour imposer l'idée d'un référendum il faudrait qu'ils aient 55 à 60% des voix.
- Aucune puissance internationale ne les soutient.
- Et ils n'ont pas de capacité insurrectionnelle.
De l'autre côté, l'Etat espagnol est, certes, parfaitement capable de bloquer un référendum qu'il juge illégitime, mais il n'est pas capable de mettre fin ou de marginaliser l'indépendantisme. C'est une illusion de penser que le problème sera résolu si le référendum n'a pas lieu. Il faudra bien que Madrid finisse par affronter le problème politique que lui pose la Catalogne autrement que devant les tribunaux.
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Plus le gouvernement tarde, plus l'indépendantisme s'installe. Les jeunes sont plus indépendantistes que les personnes âgées. Trop de Catalans soutiennent l'autodétermination aujourd'hui pour que ce mouvement disparaisse du jour au lendemain. Et le Parti Populaire de Mariano Rajoy n'a pas les moyens de mener la bataille politique sur la scène catalane. Il est très minoritaire et il lui serait difficile de construire une majorité alternative ici.
Voilà pourquoi on se retrouve dans cette impasse. Le scénario le plus probable est que le problème catalan continue de s'envenimer après le 1er octobre. Peut-être même pendant encore des années.
Que voulez-vous dire quand vous parlez du capital politique que les indépendantistes peuvent engranger dans ce bras de fer ?
Après cinq années de mobilisation permanente, ils ont certes réussi à se maintenir (alors qu'à leurs débuts en 2012 on leur prédisait l'essoufflement) mais pas à gonfler sensiblement leurs rangs. Le choc avec Madrid peut avoir pour conséquence de convertir à leur cause de nouveaux citoyens et de leur faire gagner des alliés.
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Si Podemos se saisit de cette carte, comme il semble vouloir le faire, en accusant le régime espagnol d'autoritarisme et en appelant à une nouvelle vie démocratique – ce qui était son ADN initial – il pourrait jouer un rôle important et obliger le PSOE [le parti socialiste] à s'éloigner de la droite. En réagissant par la manière forte après avoir laissé pourrir la situation pendant cinq ans au lieu de chercher une solution au problème catalan, le Premier ministre Rajoy risque de se transformer en pompier pyromane.
La situation peut-elle tourner à l'affrontement ?
On ne peut pas l'exclure. Il peut toujours y avoir une provocation. Mais les partis indépendantistes sont très prudents. Mercredi, les hauts parleurs demandaient aux manifestants de rentrer dormir chez eux. Ils veulent éviter des dérapages. Car ils savent que si cela dérape, c'est la fin de l'indépendantisme. Un leader indépendantiste, Josep-Lluís Carod-Rovira, disait toujours que "l'indépendance de la Catalogne ne vaut pas un seul mort".
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Et puis, la société catalane a beau être divisée sur la question de l'indépendance, c'est une société avec un niveau de vie élevé, qui est bien consciente que sa priorité est de maintenir sa tranquillité. La tension monte et va continuer à grimper jusqu'au 1er octobre, mais j'imagine mal un scénario révolutionnaire.
Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand
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