“Du pain et des jeux”, version 2017: Pourquoi des millions de jeunes Américains ne travaillent plus.

“Du pain et des jeux”, version 2017: Pourquoi des millions de jeunes Américains ne travaillent plus.

La semaine dernière, Goldman Sachs a mis en évidence une nouvelle tendance du marché du travail américain : alors que l’on observe une reprise du nombre des femmes actives âgées de 25 à 54 ans dans la population américaine au cours des 2 dernières années, le nombre d’hommes actifs, lui, n’a que très faiblement augmenté. Comment expliquer cet écart ? Certains économistes proposent des explications étonnantes à ce phénomène.

Lors des reprises économiques, on observe traditionnellement une hausse du taux de participation de la main d’oeuvre (c’est à dire le nombre de personnes au travail ou en recherche d’emploi, par rapport à la population totale). En effet, des personnes qui s’abstenaient de rechercher un emploi pendant la crise, parce qu’elles savaient que les conditions étaient défavorables, se remettent de nouveau à chercher un emploi. Et lorsque effectivement elles retrouvent du travail, ou s’inscrivent au chômage, elles entrent à nouveau dans la population active dont elles s’étaient exclues.
Mais on observe actuellement un phénomène inhabituel aux États-Unis. Certains travailleurs qui avaient perdu leur emploi lors de la crise ne sont toujours pas retournés sur le marché du travail, en dépit de la très nette reprise économique. En conséquence, le taux de participation des hommes jeunes dans la main-d’œuvre est resté bien en deçà de ses niveaux d’avant crise. Ainsi, les États-Unis sont menacés d’une pénurie de main-d’œuvre, notamment dans les secteurs qui emploient majoritairement des hommes, comme le bâtiment et l’industrie.
Le taux de participation de la main-d’œuvre américaine  s’établit maintenant à 62,7 %, en légère hausse par rapport à 2015 (62,4 %) mais encore très inférieur à son niveau record de l’an 2000 (67,3 %). Selon Bank of America, plus de la moitié de cet écart s’explique par le vieillissement de la population. En effet, une population en moyenne plus âgée signifie un moindre nombre de personnes en âge d’être actives en proportion du total.

Les Millenials particulièrement concernés

Le phénomène est particulièrement aigu parmi les jeunes hommes âgés de 25 à 34 ans, autrement dit, ceux de la génération du millénaire, les « millenials ».
Les hommes ont subi plus de pertes d’emploi durant la crise que les femmes (6,9 % contre 3,2 %). Cela provient du fait que les secteurs touchés emploient une majorité d’hommes, comme le secteur de la construction et de la manufacture. De plus, l’absence de débouchés dans ces secteurs a découragé les étudiants de s’orienter vers les professions de ces industries. Ainsi, l’âge moyen des ouvriers de la construction est passé de 40,4 ans avant la crise à 42,7 ans en 2016.
L’Economiste en chef de Bank of America, Michelle Meyer, a publié vendredi une note intitulée : «The tale of the lost male ». Dans celle-ci, elle explique que le fait que les hommes ne soient pas retournés au travail comme les femmes après la reprise économique provient de facteurs cycliques, dont le manque de qualification et  la stagnation des salaires. Mais elle évoque aussi des causes plus sociétales, notamment la hausse de la consommation de drogue, les taux d’incarcération, mais aussi le plaisir de s’adonner aux jeux vidéo à la maison.

La consommation d’opiacés

Les États-Unis sont confrontés à une véritable épidémie de drogue. En 2015, près de 12,5 millions d’Américains ont abusé des analgésiques (anti-douleurs). La surconsommation de ces médicaments est le principal facteur de la très forte augmentation du nombre de décès liés à la consommation de drogue depuis 2000. Ce sont plus particulièrement les hommes, les blancs non hispaniques et les pauvres qui sont affectés.
Selon des recherches menées par Alan Krueger, la hausse de la consommation de drogue, et notamment d’opiacés entre 1999 et 2015 serait à l’origine d’une baisse de 20 % du nombre d’actifs masculins dans la main-d’œuvre américaine. Pour étayer ce résultat, il se réfère à une grande enquête de 2013, American Time Use Survey, au cours de laquelle 43 % des jeunes hommes exclus du marché du travail avaient rapporté avoir une santé plutôt mauvaise, voire mauvaise, alors qu’ils n’étaient que 12 % à entrer dans la même catégorie du côté des actifs.
De même, 44 % de ces jeunes hommes rapportaient avoir pris des analgésiques, en particulier des opiacés, le jour même de l’enquête. Il est difficile de déterminer si l’absence d’emploi est la conséquence de la prise d’opiacés, ou le contraire. Mais il semble que la consommation de drogue soit liée à cette exclusion du marché du travail.

La prison

En outre, de plus en plus d’Américains ont été incarcérés. Entre 1980 et 2010, la proportion d’Américains ayant été détenus en prison est passée de 1,8 % à 5,8 %. Or, ce sont majoritairement des hommes (93 % des prisonniers), dont 1/3 est âgé d’entre 25 et 34 ans. Les anciens détenus ont 30 % de chances en moins de retrouver un emploi.

Les jeux vidéo

Selon une autre enquête, nommée ATUS, se consacrant à l’utilisation du temps aux États-Unis de 2004 à 2007, ainsi que de 2012 à 2015, le temps moyen que les hommes âgés de 21 à 30 ans consacrent au travail a baissé de 3,13 heures. Simultanément, le temps qu’ils consacrent à jouer aux jeux a augmenté de 1,67 heures, tandis que le temps qu’ils passent sur leur ordinateur a augmenté de 0,6 heures.
Là encore, on peut se demander s’ils jouent aux jeux vidéo parce qu’ils ne trouvent pas de travail, ou s’ils boudent la recherche d’emploi parce qu’ils préfèrent jouer aux jeux vidéo.

Krueger avait constaté que jouer aux jeux était associé à une plus grande satisfaction, à moins de tristesse et moins de fatigue que regarder la télévision. En outre, les jeux vidéo sont considérés comme une activité sociale. Cela suggère que les jeunes gens préfèrent jouer aux jeux vidéo plutôt qu’aller travailler.

Le rêve américain en panne

Pour Jonathan Church, cela pourrait signifier que le rêve américain ne fonctionne plus pour des millions de jeunes adultes américains.
« Quand je joue aux jeux vidéo, je sais que si je joue quelques heures, j’aurai de la satisfaction », avait expliqué Danny Izquierdo, un jeune homme de 22 ans au Chicago Tribune l’année dernière. « Avec un emploi, le rapport entre le nombre d’heures que j’y consacrais et la satisfaction que j’en retirais n’étais pas si évident ».

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