Guerre au Yémen, tensions avec le Qatar: l’escalade atteindra-t-elle le Liban et l’Iran ?

Guerre au Yémen, tensions avec le Qatar: l’escalade atteindra-t-elle le Liban et l’Iran ?

Guerre au Yémen, tensions avec le Qatar: l’escalade atteindra-t-elle le Liban et l’Iran?
 (Photo AFP)
L’activisme et la montée en puissance de l’Iran dans la région du Golfe continuent d’inquiéter à Riyad et à Washington, mais également à Tel Aviv et au Caire. 
Va-t-on vers de nouvelles guerres dans la région, notamment pour une redistribution des cartes dans le Proche-Orient post-Daech ?

C’est pour contrer les Houthis soutenus par l’Iran que Riyad et son homme fort Mohamed Ben Salman a lancé une offensive militaire en 2015 au Yémen. Celle-ci continue sans résultat tranché: ni victoire des Saoudiens et de la coalition arabe qui les soutient, ni défaite des Houthis soutenus par Téhéran et réconciliés avec l’ancien président Ali Abdallah Saleh, qui avait quitté le pouvoir suite aux manifestations du Printemps arabe en 2011.

Ce lundi 6 novembre, nouvelles escalades: Riyad a "décidé" le blocus maritime, aérien et terrestre du Yémen après le tir, deux jours auparavant, d’un missile en direction de l’aéroport de Riyad.
Depuis juin 2017 également, les pays du Conseil de coopération du Golfe -conduits par l’Arabie saoudite- ont rompu leurs relations diplomatiques et commerciales avec le Qatar et tentent d’isoler Doha sur la scène internationale et régionale.
C’est également à ce moment-là que le prince héritier et ministre de l’Intérieur, Mohamed Ben Nayef, a été écarté, remplacé à son poste d’héritier du trône par Mohamed Ben Salman, 32 ans, fils du Roi Salman, ministre de la Défense et architecte de la politique de réformes et de la "Vision 2030".


Purges à Riyad, blocus du Yémen
Plusieurs événements d’importance se sont succédés à Riyad et dans la région au cours des dernières heures. Il y a tout d’abord cette tentative de reprise en main des cercles de la monarchie, du monde des affaires et des conservateurs religieux que MBS a lancée en procédant à des dizaines d’arrestations.

Parmi les personnalités arrêtées figurent des princes, dont Al Walid Ben Talal, des hommes d’affaires, comme Salah Kamal ou Walid Ibrahim et le ministre de l’Economie Adil Fakieh, jusqu’à avant-hier ordonnateur du plan Vision 2030.

Al Walid Ben Talal est l’homme le plus riche du monde arabe selon Forbes; il est notamment actionnaire de Citibank et de Twitter, de la chaîne hôtelière Four Seasons et du réseau de taxis Careem. Salah Kamal est l’un des propriétaires de la chaîne de télévision MBC.
Parmi les "politico-militaires", a été également limogé Mutaïb Ben Abdallah, le chef de la garde nationale saoudienne, une armée parallèle et indépendante de 100.000 hommes directement liée à la famille royale.
L’armée régulière, elle, compte 200.000 hommes. Mutaïb n’est autre que le fils favori de l’ancien roi Abdallah. Créée par ce dernier il y a un demi-siècle, la garde nationale saoudienne était la chasse gardée de ce courant de la famille royale. Elle s’est notamment battue en Irak et au Koweït dans les années 1990 rappelle, Bruce Riedel dans Al Monitor du 5 novembre, et des troupes se trouvent toujours au Bahreïn.

Selon de nombreux observateurs, cette purge, coïncidant avec le lancement d’une campagne de lutte contre la corruption prouve que la succession saoudienne ne se passe pas dans les meilleures conditions. Une précédente purge, au mois de septembre, a touché des personnalités religieuses et intellectuelles du pays.
Ce même week-end, le vice-gouverneur de Riyad et fils de l’ancien roi Khaled est mort dans le crash de son hélicoptère.
Au cours des dernières 48 heures également, les Houthis ont envoyé un missile sur Riyad, intercepté en vol. Les Saoudiens ont demandé, samedi 4 novembre, à Saâd Al Hariri de démissionner de la primature libanaise car la pression du Hizbollah pro-iranien était devenu trop importante sur la marche des affaires libanaises. En visite à Riyad ce même jour, Al Hariri a annoncé sa démission depuis la capitale saoudienne. "Le Hezbollah et l’Iran paralysent le système politique libanais", expliquait lundi soir le chef de la diplomatie saoudienne et ancien ambassadeur à Washington, Adil Al Jubeir sur CNN sur le plateau de Becky Anderson.
 

"Un acte de guerre"
Dans la région du Golfe, les événements ne sont pas partis pour s’apaiser dans les semaines ou mois à venir. Alors que Riyad annonçait le blocus du Yémen par air, terre et mer, le chef de la diplomatie saoudienne Adil Al Jubeir (vidéo intégrale de l’interview - 14 minutes) indiquait, que "le missile tiré sur Riyad est iranien, tiré par le Hizbollah à partir d’un territoire contrôlé par les Houthis".
"Nous considérons cela comme un acte de guerre" a poursuivi le chef de la diplomatie saoudienne. "L’Iran ne peut pas lancer des missiles sur des villes saoudiennes et s’attendre à ce que nous ne prenions pas de mesures contre lui", a souligné Adil Al Jubeir en citant la charte des Nations unies.
"C’est un acte très hostile et ce n’est pas la première fois que des missiles visent des villes saoudiennes". "L’Iran ne peut pas continuer d’intervenir dans les affaires intérieures des pays voisins, au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen ou à Bahreïn et s’attendre à obtenir un laissez-passer pour cette interférence", a indiqué le ministre.


Des enjeux aussi lourds qu’incommensurables

Dans la conduite de sa politique intérieure de réformes, comme extérieure, en confrontant l’Iran, le nouvel homme fort de Riyad, le prince héritier Mohamed Ben Salman, peut compter sur l’appui inconditionnel de Washington, mais également sur ceux de l'Etat d'Israël très opposé à l’Iran, des Emirats arabes unis et de l'Egypte.

Mais ouvrir autant de fronts extérieurs et intérieurs est-il gérable, sachant que l’Iran ou la Russie, les conservateurs religieux ou certains cercles de la famille royale saoudienne ne resteront pas sans réagir à tout développement qui menacerait gravement leurs intérêts ? Même à Tel Aviv pourtant pas exempte de sympathie pour Trump et son allié MBS, la presse s’interroge pour savoir si "Israël n’est pas poussé vers la guerre au Liban?"

En tous les cas, les bruits de bottes ne font pas défaut en ce début novembre. Aux Etats-Unis, certains observateurs n’hésitent plus à dire que le risque d’aventure militaire existe avec les difficultés politiques internes de Donald Trump et son refus de certifier l’accord nucléaire iranien. Le même accord fait l’objet de nouvelles attaques de la part de Tel Aviv en ce début de semaine. Trump, Netanyahu et MBS pourraient lancer une guerre pour réduire l’influence iranienne –et partant russe- dans la région.

La stabilité et le futur de l’Arabie saoudienne ne sont pas des éléments légers sur le plan géopolitique. Le pays dispose d’immenses réserves en hydrocarbures et d’un arsenal militaire qui en fait une des armées les plus équipées de la planète. En 2015, plus que n’importe quel pays de l’Otan, Riyad a dépensé plus de 87 MM de dollars pour son armée.
En 2015 Riyad est numéro 3 en termes de dépenses militaires dans le monde, après les Etats-Unis, environ 600 milliards de dollars et la Chine, 130 MM. La Russie est à 66 MM de dollars de dépenses militaires. Malgré cela, Bruce Riedel du Think tank Brookings juge que "l'avenir incertain de l’Arabie saoudite n’est pas devenu plus stable après le limogeage des princes", soulignant que le pays vit "sa période la plus incertaine en un demi-siècle d’histoire saoudienne".

Des enjeux lourds et incommensurables si l’on prend en compte le poids de l’Iran dans la région et ses réactions, l’opposition existant entre les deux poids lourds du Proche-Orient et le fait que l’Arabie saoudite abrite les deux plus importants lieux saints de l’Islam, lieux du pèlerinage et d’orientation des prières quotidiennes pour des dizaines de millions d’individus chaque jour à travers la planète.
Au travers de l’intense bras de fer opposant Saoudiens et Iraniens au Proche-Orient, c’est déjà une nouvelle carte géopolitique de la région qui est en cours d’esquisse alors que Daech et ses combattants sont chassés du Levant et que la Russie s’implante plus solidement en Syrie.

Ce dernier développement notamment ne peut laisser Américains, Israéliens et Saoudiens indifférents car Moscou et Téhéran coordonnent aussi leurs politiques régionales.

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