Le savoir-vivre arabe : Corps, attentions, intentions. ...


Le savoir-vivre Arabe : Corps, attentions, intentions. ...




D'aucuns sourient lorsqu'on l'évoque, qui ont eux-mêmes reçu attentions et éducation, on le confond parfois avec les codes particuliers aux bourgeoisies naissantes qui frisent le ridicule tant ils sont fabriqués, on tire fierté, faute de mieux, de son état " nature " lorsqu'on en a été privé, d'autres considèrent que " cela va de soi " et que l'exemple suffit. 
Mais lorsqu'on n'a ni exemple, ni parole et que la tradition bégaie ou se vit en contre, comment faire ? 

Le savoir-vivre…

Il faut un certain courage pour oser parler d'un savoir-vivre émanant de pays actuellement totalement dévastés par les grandes puissances d'intérêts internationaux, par des pouvoirs nationaux vendus ou impuissants, pays pour lesquels la dernière barbarie en vigueur ne voudrait surtout pas d'Union et donc, le moins possible d'identité commune en fait de sociabilité. 
La croissance démographique, la pauvreté, le désespoir chronique, les conditions d'habitation, le manque d'eau, la télévision locale et occidentale dans toute la débilité du règne américain, l'invasion d'objets de consommation inadéquats, les effets secondaires des colonisations, le simulacre de scolarisation, même dans des pays où l'école existait déjà en des temps fort lointains : tout cela se conjugue en éléments dissolution de cultures qui persistèrent envers et contre tout jusque vers la fin du XXe siècle. 

Tout cela concourre à la mise à mort de valeurs qui pourtant appartiennent au genre humain e dont l'effacement, qui brise l'évolution et la transformation possible, aura des conséquences bien au-delà des frontières du monde arabe. S'il faut ce courage pour parler des petites choses anodines (apparemment) qui constituaient un savoir vivre (et bien conscients, encore une fois, que certains le jugent inutile), c'est, entre autres préoccupations, parce qu'une génération se lève qui ignore jusqu'à l'alphabet des règles de vie en société ; c'est parce que les enfants nés en Occident ne peuvent plus apprendre de leurs parents (pour cause d'amnésie réactionnelle et de perturbations) ce qu'on appelait " tradition de vie ", c'est que le savoir-vivre du pays qui est le leur à présent, la Belgique, ne leur édicte pas clairement le sens du savoir-vivre : il faut donc des traces de ce qui fut et persiste encore, malgré tout. 
Il faut comprendre aussi qu'entre deux usages, deux savoir-vivre qui parfois se contredisent, les personnes arabes en Occident, ou sous influence occidentale dans leur propre pays, ne savent plus très bien " sur quel pied danser ". Du côté des Européens autochtones, connaître cette base peut être utile à une meilleure compréhension des attitudes, souvent inconscientes de leurs racines, des nouveaux Belges qu'ils fréquentent.

C'est délibérément que nous ne tiendrons pas compte des superstitions diverses ou des règles suivies par tel ou telle pratique religieuses au sein de la culture arabe. Exemples : rentrer aux toilettes du pied gauche, en sortir du pied droit, refuser de se laver les dents et la bouche durant un jeûne, ne pas embrasser une personne d'une autre religion pour cause de transgression d'interdits alimentaires, ou autres stupidité infantiles, ne relèvent pas de ce que nous aborderons comme " savoir-vivre " mais trahissent précisément les égarements dans lesquels une société peut plonger lorsque les règles mises en place au sein d'une culture viennent à manquer. Nous ne tiendrons pas compte non plus des interdits spécifiques à chaque groupe religieux : ne pas manger de viande le vendredi, ne pas manger de viande de porc, font référence à un autre sujet. Chrétiens, druzes, juifs, musulmans et laïques arabes ont, jusqu'à ces dernières décennies, admis, en gros, les mêmes valeurs de vie en société. Nous ne portons pas de jugement sur le répertoire que nous vous proposons ici : nous recueillons, simplement. Le sujet mériterait au moins une thèse de doctorat, une publication, faute de quoi nous demandons pardon au lecteur de ce très bref, et forcément incomplet, schéma et espérons pouvoir lire un jour une véritable étude sur le sujet.


La relation au corps, les positions corporelles

La propreté physique est presque obsessionnelle dan un monde qui, très rapidement, décela (dès les ancêtres culturels mésopotamiens et égyptiens) la relation entre la maladie et la souillure. La relation établie entre propreté physique et propreté morale favorisa souvent un ancrage de la première comme si le " lavage " extérieur avait un effet direct sur le comportement. Ce qui nous valut la protestation du prophète Issa (Jésus) qui traita les pharisiens de " sépulcres blanchis " ou la sacralisation des ablutions chez les musulmans qui, faute d'eau propre, peuvent utiliser du sable propre ou un galet. L'eau de la toilette ne doit pas toucher de nouveau le corps après l'avoir purifié : considérée, à juste titre, comme souillée, le corps ne doit pas y rester, ni une autre personne l'utiliser. 

C'est ce qui explique que la baignoire soit utilisée comme une simple douche : le bain savonneux fait horreur. Dans les régions privées d'eau, on peut se laver le corps avec très peu d'eau en suivant cette règle stricte, appliquée naturellement, machinalement : l'eau ne touche pas deux fois le corps. La salle de bain ancienne ou le bain collectif divisé par l'horaire u le lieu en féminin et masculin, est un lieu pavé de larges dalles de pierre ou de marbre ou simplement carrelé, chauffé (ou non suivant le besoin), pourvu d'une évacuation, comportant soit un petit bassin d'eau chaude où puiser l'eau, accompagné de la tassa (objet de cuivre plus ou moins grand qu'on emplit d'eau pour se doucher), soit un briq (grande aiguière, de cuivre, à l'origine) calé en hauteur sur deux barres, soit un robinet avec sa tassa, soit une douche. 

On ne se plonge dans une piscine, dans un bassin, dans un bain, qu'une fois soigneusement lavé, rincé. La toilette en plein air près d'un point d'eau obéit aux mêmes règles : on prend de l'eau dans un récipient assez loin du ruisseau ou du puits, on se lave et éventuellement se savonne et se rince avant de se tremper dans le cours de l'eau, dans la guelta (pièce d'eau au désert ou très petit lac) ou le bassin. En effet, l'eau sale doit se purifier dans la terre et ne pas polluer l'eau propre.

Laver le voyageur qui arrive après une longue route est un devoir. Aujourd'hui on propose une douche, autrefois, une femme pour une invitée ou un très jeune homme ou une femme âgée pour un homme, assistait l'hôte et versait l'eau. Laver les mains et les pieds des gens qui vous visitent n'est pas humiliant, ni pour l'un, ni pour l'autre. Par respect, ce sont les plus jeunes qui s'occupent des plus âgées, mais en certaines circonstances, le maître ou la maîtresse de maison peuvent s'en charger, et même, prendre l'aiguière des mains du servant ou du plus jeune pour une personne vénérée (homme ou femme). Par exemple : cette belle image du texte chrétien où le prophète palestinien lave lui-même les pieds de ses disciples.

Les toilettes dans les villes sont proches du lieu de la douche mais un robinet, un seau et une tassa spéciale au lieu, une cruche ou une bouteille remplis d'eau y sont toujours déposés pour la toilette intime. La fonction naturelle accomplie, un lavage soigneux est de mise. 
Avant l'usage du papier hygiénique l'une des méthodes consistait à préparer des boules de terre séchées de la grosseur d'un citron, qui devait absorber toute impureté, toute humidité avant le lavage à l'eau. 
Faute de papier ou de boule de terre préalables, la technique consiste à " jeter de l'eau " sur la partie souillée avant d'opérer un lavage convenable. Malgré l'obligatoire lavage des mains qui suit, le lavage s'opère de l main avec laquelle on ne porte pas la nourriture à la bouche, en principe la main gauche. Cela explique pourquoi l'on interdit aux enfants de saluer de la main gauche (et pourquoi ils cherchent, par moquerie méchante, à offenser l'étranger en lui tendant celle-ci !). 

Pour demander de passer aux toilettes, on demande " le bain " ou " à se laver ". L'hôtesse doit montrer les W.C. et la salle d bain en réponse. Les lieux portent le nom de " bain " ou " maison de l'eau " ou " lieu de repos ".

Dans la nature, un homme doit s'agenouiller pour uriner afin de n'offrir, fut-ce par l'ouïe, l'indélicatesse d'un jet tombant de haut. On n'urine pas contre une plante, un arbre, ni le mur d'autrui : " on n'est pas des chiens ", disait la grand-mère ; on n'urine jamais dans une rivière ou un cours d'eau. On creuse un peu le sable ou la terre et l'on recouvre du bout du pied. Dans les lieux où il est impossible de se dérober au regard (désert de sable, steppe plate), on s'écarte des autres et les femmes s'accroupissent en étalant très largement leur jupe (ou grande robe) autour d'elles après avoir fait un creux dans le sol du bout du pied, qu'elles recouvrent ensuite. Les femmes, parfois, vont satisfaire aux besoins naturels ensemble (dans certains lieux ruraux où elles se glissent au dehors au crépuscule, emportant de l'eau avec elles) et ne voient rien de choquant à continuer la conversation. Il n'est pas convenable de péter en compagnie. 

Roter, après avoir bu, se fait discrètement derrière la main, comme la toux ou le bâillement. L'éternuement, s'il ne peut être retenu, se fait dans un mouchoir ou un pan du vêtement. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, cracher n'est pas bien vu du tout : cela doit se faire dans un lieu où il y a de l'eau, où l'évacuation est possible, ou sur la terre, à l'écart de tous, ni sur le chemin, ni sur les cultures, pas dans un cours d'eau ni une guelta, pas dans un mouchoir pour ne pas garder sur soi la souillure, au grand jamais devant une dame.

Le savon, ancêtre du savon de Marseille, est connu depuis fort longtemps des Arabes ; le savon d'Alep est toujours particulièrement apprécié. Toutefois, la façon " correcte " de se laver consiste à faire gonfler les peaux mortes qui recouvrent l'épiderme dans un endroit très chaud et très humide, à passer un galet de mer poli ou un gant de tissu raide et fin " kassa " sur le corps afin de détacher ces peaux, de se rincer puis de passer rapidement du savon, ou pas si l'on préfère une argile dénommée " rassoul " ou " t.fel " fondue dans l'eau chaude, agrémentée d'eau de fleur, de poudre de girofle ou d'essence végétale. On laisse sécher un peu de cet enduit, qui peut être solide et se passer en boulette sur la peau comme du savon, puis on rince bien. Il était de coutume de passer une huile parfumée sur le corps même après la simple douche du coucher du soleil. Même en dehors de l'exigence des ablutions, la toilette du corps entier se faisait au moins deux fois par jour. La technique vaut pour les hommes comme pour les femmes (un témoignage écrit prouve qu'au Xe siècle, une ville comme Bagdad comptait beaucoup de bains publics). 

Sauf, dans certaines traditions, pour les adolescents (filles et garçons) pas encore mariés, l'épilation est toujours un signe de respect des autres. Le coiffeur épile aussi la barbe, les oreilles, on veille à ne pas avoir de poils qui dépassent du nez… Il n'y a pas si longtemps, on épilait les parties intimes par respect du conjoint : les femmes et les hommes. Les aisselles sont aussi des zones qu'un homme convenable rase ou épile. 
Les femmes le faisaient systématiquement, soit avec de la cire d'abeille, soit avec un mélange de sucre et de jus de citron judicieusement cuit, puis pétri. Les femmes épilent le visage, la courbe sous les sourcils. Elles épilent toujours leurs jambes depuis des temps immémoriaux. 
En certains temps, dans certaines traditions, même le crâne était rasé ou épilé, même chez les femmes. On utilisait perruques ou turbans. C'était une bonne réponse au risque de parasites que l'on hait (poux de cheveux ou de corps). Les ongles sont limés ou coupés assez courts. Les ongles longs étaient signe de négligence corporelle.

On doit se parfumer, sauf manque de moyen. On peut le faire avec une essence de fleur ou avec une huile ou une pommade, et, pour les femmes, en portant un collier composé de perles de pâte de parfums minéraux ou végétaux ou en brûlant sur un brasero encens minéral, pâtes végétales, graines, épices ou zestes de fruits, pour en imprégner les vêtements. Se parfumer est une marque de politesse.

Se teindre les cheveux et la barbe s'est longtemps pratiqué pour les hommes. Une femme vieillissante fait une bonne action en teignant régulièrement ses cheveux avec du henné ou autre préparation dans la mesure où " elle évite à ses proches et surtout à ses enfants la peine de la voir mal vieillir ". C'était perçu comme une délicate attention bien que les cheveux blancs attirent le respect.

Le maquillage féminin a toujours été aimé, parfois interdit par les religions. Le khôl, ou antimoine noir argenté ou bleu marine pour noircir les yeux, parfois, discrètement la lèvre inférieure, le henné, surtout sur les mains et les pieds, la pierre de vermillon pour les joues, l'écorce de noyer ou " souak " pour rougir les gencives et les lèvres, certains safrans ou autres pistils, es poudres d'argiles rouges et jaunes, le kaolin blanc, ont précédé les maquillages modernes. Les miroirs, d'abord en métal poli, ont toujours eu leur place. Les Arabes aiment les bijoux, les religions ont tenté de réfréner cette tendance, surtout pour les hommes. 

En dehors de l'intimité amoureuse, il est malséant de montrer son corps et ses cheveux ou son crâne. Une certaine familiarité familiale peut faire que l'on voit son père avec le turban de travers ou sans turban, ou sans châle sur la tête, ou sans calotte, mais dans l'ensemble, dès l'âge adulte, on épargne à autrui la vision de son intimité. Se couvrir la tête est un signe de bonne tenue, d'hygiène 'éviter les longs cheveux dans le pain ou le plat, ne pas répandre les pellicules du cuir chevelu, etc.). Le travail manuel parfois modifie la donne, mais, dès la tâche achevée, on se " couvre ". Les vêtements arabes, contrairement aux vêtements orientaux, sont larges et très ouverts. On aimait peu jusque récemment les sous-vêtements près du corps (slips, culottes), parce que si quelque sécrétion, goutte d'urine, souillure, les entachent, ils restent au contact du corps jusqu'à ce qu'on en prenne conscience et en change et cela est ressenti comme malpropre. Les grandes tuniques masculines, les vastes voiles féminins permettaient de dissimuler en public des vêtements qui facilitaient la bonne aération et le mouvement mais laissaient voir trop de peau durant ce mouvement. Le crâne est un endroit sacré, intime : on marque une tendresse très respectueuse à quelqu'un d'âgé ou de vénérable (homme ou femme) en l'embrasant sur le crâne, on adopte quelqu'un de plus jeune en lui posant la main sur la tête.

Il y a des zones du corps qui sont chantées ou sacrées suivant les époques et le culte : la nuque par exemple. Les femmes arabes ont horreur qu'un homme marche derrière elles (sauf fils ou époux, et encore), elles n'aiment pas monter un escalier en précédant un homme. Afin d'éviter de les mettre mal à l'aise, il était de bon ton qu'un homme précède une femme, lui indiquant par là qu'il renonçait à fantasmer sur ses hanches, ses fesses ou sa nuque. C'était donc une marque de respect. La chevelure (longue évidemment) rend les hommes fous. Pour ne pas les " allumer ", les femmes évitent, sauf dans l'intimité, de déployer leur chevelure (il n'y a pas si longtemps, longue assez souvent jusqu'aux chevilles). 
Même de célèbres poèmes, telle l'histoire de Qaïs et Leyla, montrent à quel point voir une femme se coiffer ou être coiffée peut (pouvait) troubler un homme. L'intérieur des poignets, la main maquillée de henné, les chevilles (parées de bracelets) sont hautement érotiques. Mais par-dessus tout, les yeux sont des trésors : il arrive qu'un homme supplie une femme de les dissimuler pour lui épargner la souffrance d'un désir irrépressible. 
Et tout ceci apparaît comme valeurs normales et établies. On ne nomme pas la bouche d'une femme, d'ailleurs, pour les hommes comme pour les femmes, il est parfaitement inconvenant de faire allusion, même de façon détournée, à une partie du corps de l'autre. Offrir un simple foulard à une femme, de la part d'un homme, sous-entend soit une intimité familiale, ou d'adoption, soit un engagement amoureux qu'on fait souvent parvenir par une autre femme.

Comme les Arabes sont réalistes, ils sont bien conscients que le désir sexuel concerne en premier lieu le postérieur : il y a donc une série d'attitudes qu'on évitera en présence d'hommes, de façon générale. Ne pas frotter le sol ni s'occuper des plantations, ne pas se coucher sur le ventre, etc. Mais la règle valait aussi pour les hommes plus jeunes en présence d'hommes plus âgés. Il n'est pas malséant de s'étendre, en famille ou en public, dans la salle commune mais on ne présente jamais son postérieur à l'assemblée, on s'allonge sur le côté, face aux autres, que l'assemblée soit mixte ou pas, le dos près du mur. Il est également malséant de présenter ses pieds près de la tête de quelqu'un qui se repose. La formule convenable étant : tête près d'une tête, pieds près des pieds. On ne peut pas s'allonger sur le dos en public, surtout pour les femmes. La bonne position, dans tous les cas, reste le côté et, dans certaines sociétés, le côté gauche.

Très longtemps, avant les notions injectées par les colonialismes occidentaux, la poitrine de la femme qui allaite ne posa aucun problème. Les religions luttèrent, parfois en vain, contre le " décolleté " qui, n'étant pas " malséant ", revint, sporadiquement, inévitablement, à la charge. Pour les filles et les fils, la poitrine maternelle restera toujours d'accès libre, même grands. Ce sont les chrétiens arabes qui ont réussi le plus à entraver la libre expression des poitrines abondantes ou victorieuses qui débordaient toujours un peu ou se montraient sous des étoffes trop fines ; la mode occidentale importée a résolu les problèmes religieux avec ses vêtements à manches étroites et ses robes haut fermées. La poitrine féminine parle de douceur, le torse masculin de protection et l'on n'hésite pas à les nommer si le contexte n'est pas d'ordre sexuel. Le ventre ne se nomme pas facilement : menstrues ou problèmes intestinaux, l'o dira qu'on a " mal l'estomac ".

Les pieds sont en général, en position assise, dérobés sous les vêtements. Exhiber ses pieds dans un salon est du plus mauvais goût. Il est évident qu'ils sont débarrassés des souliers qui apportent avec eux la pollution de la rue (poussière, crachats séchés, fiente ou excréments d'animaux, eaux sales, etc.). On se lave les pieds presque aussi souvent que les mains. Assis, on dissimule les pieds comme les jambes. On s'assoit jambes repliées (ce que la langue française appelle " en tailleur " mais les genoux sont confortablement appuyés sur le sol et le sacrum par contre, ne le touche pas) ou agenouillé sur ou entre les talons, ou, pour les élégantes d'autrefois, un genou sur l'autre, les pieds de chaque côté du corps, ou assis à côté des deux jambes repliées. L'essentiel étant de ne pas " s'étaler ". Se tenir droit était une exigence et une vertu, l'affaissement, sauf pour les personnes très âgées, étant considéré comme un signe de faiblesse morale ou de mépris affiché pour le visiteur.

Le face à face et l'impair

En règle générale, on ne doit pas détailler une personne placée en face de vous, n'accorder aucune attention à ses vêtements, et surtout ne pas fixer son regard sur les parties intimes même si, par exemple, la mode occidentale, qui ne recouvre pas le pantalon, expose particulièrement les hommes à retenir les yeux sur le devant de leur personne. 
Si quelqu'un possède une anomalie, faire comme si de rien n'était. 
Si un visiteur commet une erreur, faire comme lui, ou dire que cela n'a aucune importance (misère ! même s'il a tenu à garder ses souliers malgré vos propositions appuyés de " se mettre à l'aise " et qu'il piétine allègrement avec la crasse de la rue vos tapis si soigneusement entretenus et vous donne la nausée en exposant ses semelles au moment du repas), la règle est stricte, l'hospitalité est sacrée. 
Mais, sans l'effrayer, on peut aussi le déchausser soi-même, lui laver les pieds ou le faire manger si l'on considère qu'il est à l'état sauvage ou semblable à un enfant.

Convivialité, messages codés



Avant l'invasion occidentale, le siège en hauteur, banc ou sofa, était assez large pour qu'on puisse replier les jambes et assez long pour s'y installer à plusieurs. Souvent, proposer un siège " haut " pour trôner dans une assemblée est une marque de respect. La chaise a bouleversé les proportions architecturales, la hauteur des fenêtres (les peintures qui montrent les Occidentaux vainqueurs après la prise de l'Alhambra à Grenade font ressortir l'inadéquation entre le manque du sens du confort des nouveaux occupants dans un lieu conçu par des Arabes pour un mobilier de laine près du sol : la hauteur des ouvertures est très significative). 

La chaise introduite dans la vie courante a inventé les douleurs dans le dos et rompu la proximité physique des relations amicales, sociales et courtoises. Il n'est absolument pas critiquable, bien au contraire, d'inviter un hôte à prendre place sur un tapis ou un matelas au sol. 
Les Marocains qui vivent en hauteur ont des canapés et des tables qui reproduisent la proportion " sol-table basse ". On considérait que la bonne proportion était que la hauteur de la table soit située entre le nombril et le bas-ventre. En bien des lieux, le plateau est posé sur le sol, ou tout simplement une étoffe est étalée dans un coin de la pièce au moment du repas. 

Ce qui choque, encore actuellement, avec la position haute, c'est de voir " les jambes pendre ". Lorsque, dans une assemblée comprenant des places hautes et basses, vous voyez quelqu'un (plus souvent quelqu'une) s'asseoir sur le sol, ce n'est pas forcément par modestie mais plutôt par confort. 

Plus les femmes arabes sont fatiguées, plus elles recherchent le sol, allant jusqu'à descendre du matelas lorsqu'elles sont très lasses ou qu'elles ont chaud (en été, on recherche la fraîcheur des carrelages qui sont lavés à grande eau, parfois plusieurs fois par jour). Les façons de s'asseoir au sol exigeaient des vêtements très amples, très larges du bas, environ un mètre quatre-vingt au minimum pour une robe féminine. Les robes se rétrécissent quand on passe au mobilier occidental. 

Le " fauteuil " est le siège d'honneur des mariés, pour que tout le monde les voie, du conférencier (ou équivalent dans le passé), de la personnalité importante qu'on veut voir et entendre. Il est correct de s'accroupir, fesses sur les talons. Il n'est pas répréhensible de s'appuyer à un mur ou à un coussin. On peut, en société, prenant appui sur des coussins, s'appuyer sur l'avant-bras, mais on évitera de trop allonger les jambes. Une autre chose qui vient brouiller la cohérence des espaces, c'est l'usage de la table haute, fixe et souvent plantée au milieu de la pièce : l'espace domestique arabe est ouvert sans encombrement et le plus souvent transformable ; on n'est pas obligé de prendre toujours ses repas au même endroit ; on change de coin ou de pièce (on occupe la terrasse) suivant le nombre de convives et la composition du groupe. A part la chambre des époux (qui, le plus souvent, était tout occupée par la couche), les éléments du sommeil nocturne s'installent et se replient tous les jours. On dort dedans ou dehors, sur la terrasse, devant la porte dans le jardin suivant la température, la saison et l'occupation de la maison. Pour prendre place en compagnie nombreuse autour du plateau ou d'une table basse, toujours ronde ou octogonale, on replie une jambe (un talon sous les fesses ou devant le pubis) et l'on dépose l'autre pied à plat devant soi, le tibia perpendiculaire au sol, le genou à hauteur de l'aisselle. Pour écrire ou calligraphier, on dressait le genou gauche afin de libérer le bras droit, pour manger, on dressait le genou droit afin de ne pas comprimer la poche de l'estomac. Prendre peu de place est une vertu. On plaignait les gens qui " débordaient ", souvent ils faisaient l'objet de moqueries, soit qu'ils fussent gros exagérément, soit qu'ils fussent raides, soit qu'ils fussent imbus de leu personne.

Se toucher, jambe à jambe ou bras à bras autour du plateau ou sur un divan ne pose pas de problème. La proximité suppose en effet une confiance basée sur la famille ou l'amitié.

En fait, envoyer une tape sur la cuisse de quelqu'un en riant d'une bonne plaisanterie, se claquer les paumes, le prendre par les épaules, par le bras, lui donner la main, accrocher le petit doigt au sien en marchant, 'embrasser sur les joues, n'avait pas de connotation sexuelle. Masser les épaules d'une personne fatiguée est un geste normal entre gens de la même génération, de bonne éducation si la personne est âgée. Tout cela hormis le sentiment ou le désir existant ou potentiel entre deux personnes. 
Ce sont des gestes que les amoureux ou les gens mariés ne font pas en public. Deux personnes liées par une histoire d'amour ou de sexe, accomplie ou pas, en cours ou pas, légale ou pas, possible ou impossible, voire éventuelle, évitent de se regarder et ne se touchent pas en public. 
De sorte qu'un homme peut être blessé qu'une jeune fille l'embrasse sur la joue, lui définissant ainsi que rien ne sera jamais possible entre elle et lui. 
Les soins maternants et la familiarité sont aussi une façon pour une femme de faire comprendre qu'elle n'est pas libre ou pas disposée à une probabilité de relation intime. Les mots doux ou tendres n'ont pas de connotation sexuelle s'ils sont utilisés en public, ils sont même appréciés entre homme, entre femmes et entre hommes et femmes ; seuls les amoureux et les gens mariés ne peuvent pas les utiliser en public entre eux : ils auront recours à la correspondance ou attendront l'intimité de la chambre à coucher, ou le lieu dérobé de leurs amours clandestines. Les appellations courantes de " fils " ou " père ", " grand-père " dont on use même avec des étrangers que l'on côtoie, confirment la négation d'un désir possible. Par contre, les appellations de " frère " ou bien plus de " cousin " ne posent aucune restriction ultérieure. 

C'est pourquoi une femme peut nommer, dans les milieux paysans traditionnels, " fils " un homme du même âge qu'elle si elle est déjà mère. L'homme répondra en la nommant " petite mère ". Pour une jeune fille, aller se réfugier sous le manteau ou le burnous d'un homme âgé, chef de famille, était une façon de demander justice ou pitié et protection, là encore le geste n'avait rien d'intime. On embrasse sur le dessus de la main, sur l'épaule, sur la tête, ou on embrasse un pan du vêtement, en signe de tendresse, de respect, d'admiration, de gratitude. L'attitude des seigneurs de qui on embrassait le dessus et la paume de la main a toujours été trouvée répugnante, même par les peuples qui s'y soumettaient : baiser une paume en dehors du geste amoureux est un signe de soumission exagéré qui ne plaît guère aux peuples arabes. 

Durant les fêtes ou les assemblées, les hommes dormaient avec les hommes en rangs d'oignons, les femmes avec les femmes. Les femmes en particulier n'aiment pas dormir ni manger ni se laver seules : on trouve toujours une parente, une amie ou une voisine avec qui " vivre " la journée ou la période de solitude forcée. La " grande famille " d'autrefois résolvait le problème : si les hommes s'absentaient, filles, mères, belles-mères et belles-sœurs s'organisaient entre elles. Le fait de partager le même lit entre hommes et entre femmes n'avait pas non plus de connotation sexuelle au niveau de la vie sociale. Il pouvait même arriver exceptionnellement qu'en certaines circonstances un homme et une femme étrangers l'un à l'autre doivent se retrouver seuls à passer la nuit dans la même chambre ou dehors ou dans un abri quelconque, auquel cas ils dormaient habillés, desserrant leur ceinture sans l'ôter (car la ceinture dénouée, retirée, est semblable symboliquement à la nudité dans bien des sociétés), ils s'appelaient frère et sœur, la femme s'installait avant qu'il n'entre, ou il tournait le dos, elles se recouvrait entièrement, puis l'homme se couchait en lui tournant le dos. Cette pratique d'urgence a survécu aux lois religieuses et bien des hommes traditionnels arabes la respectent encore, de même que celui qui n'a pas trouvé où dormir le crépuscule tombé, peut encore espérer l'hospitalité au sein d'une famille traditionnelle. 

Dans un espace donné, intérieur ou extérieur, l'invité reçoit la place d'honneur, en général centrale, afin de lui exprimer l'intérêt qu'on lui porte.

Vivre ensemble

Il n'est pas de bon ton de tenir exagérément à ses affaires courantes, l'avarice amène la moquerie, la générosité est la vertu suprême, donner ce que l'on a de mieux aux invités est normal même au prix de privations familiales. On pourrait résumer en disant que les Arabes sont persuadés que l'on est riche que de ce que l'on donne (sans jugement moral, du renoncement le plus pur au " m'as-tu vu " le plus exécrable). Le partage est de mise (était de mise, jusqu'à récemment). 

L'attachement aux objets est méprisable mais le vol insupportable, inqualifiable. Une personne qui dérobe ne trouvera aucune alliance dans une société éduquée parce que cela n'entraîne aucune pitié. On accepte sans blâme la mendicité en cas extrême, mais pas le vol. Les personnes les plus estimées sont celles à qui l'on peut faire confiance, totalement. 

La description arabe de la société idéale est la suivante : " Un pays où une jeune fille vierge, belle et nue, pourrait traverser désert, montagnes et villes avec une cassette de diamants, de rubis et d'or sur la tête et arriver saine et sauve chez sa tante qui l'attend ". 
La rancune est méprisable : " Ce qui est passé est mort ". 
La largesse et le pardon sont répertoriés comme l'apanage des forts. Une personne en faiblesse ou de petite condition humilie profondément quelqu'un qui se juge d'une condition ou d'une force supérieure en l'accablant de son pardon. Une femme peut humilier une rivale en amour en lui " jetant l'homme dans les gencives comme un os à un chien ", quitte à le pleurer toute sa vie mais elle aura sauvé sa dignité.

Il n'est pas convenable de louer exagérément quelqu'un, plus la louange est discrète et bien envoyée, mieux elle est perçue. En particulier, les enfants si fragiles, si difficiles à élever, peuvent recevoir des preuves d'amour mais pas d'admiration. Certaines superstitions se sont greffées sur cette expérience dure de la vie qui vous enlève qui on a de plus cher, qui balaie la beauté, la santé d'un jour par la maladie du lendemain…

L'enfant était sous la responsabilité de tous, même de l'étranger qui devait intervenir pour empêcher une sottise ou un danger. Il faut le nourrir, le soigner, le rassurer si sa mère est absente, c'est une loi de voisinage. On est responsable de ses voisins. Dans certaines sociétés, jusqu'à la quarantième porte. Tout ce que l'on doit, comme assistance et soins, comme attention, à sa famille, on le doit à ses voisins. La loi de la réciprocité est en vigueur.

Il était admis pour les visites, que durant trois jours, il fallait se comporter en invité, ne rien oser toucher, se laisser nourrir et gâter, sauf personnes de la famille proche, ou sympathie immédiate. Au bout des trois jours il fallait impérativement participer aux dépenses, aider à faire la cuisine et le ménage sous peine de devenir un fardeau et de se faire critiquer ou détester. Une personne âgée n'est évidemment pas concernée par cet usage. L'hôte, l'invité, à peine arrivé, reçoit l'eau florale ou l'eau de toilette (souvent citronnée) en signe de bienvenue. La possibilité de se laver restant le premier des dons. Il convient évidemment d'être soi-même toujours en " état d'offrir cette hospitalité " : " Lave ton visage, tu ne sais qui peut l'embrasser et nettoie ton seuil, tu ne sais qui va le franchir ".

Celui qui demande protection reçoit l'hospitalité, auquel cas, même ennemi, il devient intouchable. 
La famille qui le reçoit devient responsable de lui.

Longtemps, un certain nombre de choses ne pouvaient pas appartenir en propre à quelqu'un : l'eau, la terre cultivable, les pierres, l'argile, les roseaux (à titre d'exemples). Ils pouvaient appartenir à un groupe, tribal ou familial ou de voisinage, par décret ou par usage. 
Dans une même maison, les objets usuels sont difficilement " privés ". Les vêtements se prêtaient assez facilement ou s'empruntaient pour des besoins précis. Les bijoux se prêtaient en famille, se louaient hors famille pou certaines occasions. La notion de public et de privé est délicate : pour un artiste, musicien ou calligraphe, ou autre, prendre l'œuvre de quelqu'un d'autre comme base ou partie de sa propre œuvre, c'est lui rendre hommage, lui faire honneur. 
C'est aussi s'inscrire de juste façon dans la tradition. Attribuer ses propres œuvre au nom d'un grand maître, même décédé depuis longtemps, se comprend lorsqu'on redoute un pouvoir assassin pourchassant penseurs et artistes (ce qui fut le cas pour toutes les religions nées au Moyen-Orient qui toutes furent excessives et mirent à plat la culture et la pensée à certaines périodes de l'histoire). 

On peut aussi faire quelque chose " à la façon de… ", chaque artiste prenant et apportant, et se fondant et nourrissant ce qu'on appelle tradition culturelle. Les affaires de sexe se discutent et s'avouent assez facilement, sans honte, sans opprobre, entre hommes ou entre femmes, ou même entre homme et femme s'ils sont confidents et amis avec une impossibilité de désir, de fait ou décidée entre eux : les affaires de cœur ne se confient pas (ou très rarement). La grande pudeur est sentimentale. La seule intimité reconnue est celle du couple : sous la tente ou en ville, on s'arrange pour que le couple procréateur soit isolé la nuit. Lorsqu'on manque d'espace, les couples plus âgés et les célibataires se serrent pour laisser " l'espace nuptial ". C'est un manque d'éducation que d'entrer dans la chambre à coucher d'une femme mariée, sauf invitation à une autre femme. C'est impensable pour un homme, même de la même famille. Cette loi est souvent mise à mal par les belles-mères qui, au nom des impératifs de la vie courante (rangement, repassage ou autre) enfreignent le code et qui encourent alors les reproches de la famille de la bru, du voisinage, des amies… Pour leur mauvaise éducation ! Prier, se laver, manger, lire, rêver : tout cela se fait en compagnie. Seules, les histoires galantes se cachent et ne trouvent que bien rarement des espaces " privés ". Ceci dit, malgré trois grandes religions, les Arabes, profondément, n'y voient pas de mal : les histoires d'amour, si possible d'amours impossibles, ont hanté les époques et les lieux arabes. Ces histoires ne sont pas classées dans ce qui est " malséant " mais plutôt dans ce qui est " interdit " et la nuance est de taille ; c'est pourquoi on continue de chanter les plus célèbres. 

Il n'est pas convenable de poser des questions à un inconnu ou à un invité. Il n'est pas convenable de regarder quelqu'un manger, surtout s'il est hébergé. Il n'est pas admis de manger en public, au nez de ceux qui ont faim ou alors on partage avec les présents. On ne peut pas vraiment admirer à voix haute un objet dans la maison sous peine que la ou le propriétaire ne soit dans l'obligation de l'offrir. Admirer une demeure, en faire compliment à la maîtresse de maison peut faire plaisir, mais il ne faut pas exagérer. 
Recevoir quelqu'un en grande pompe n'est pas convenable, c'est qu'on veut lui faire comprendre combien il est étranger ou bien que l'on souhaite l'humilier. Tout est dans la mesure : par exemple, si l'on ne vit pas avec sa belle-mère, l'accueillir avec tout le soin qu'on apporte à une étrangère est vexant pour elle, elle doit à la fois être servie et participer à la vie familiale, ce qui n'est pas toujours simple.

L'hospitalité tapageuse entraîne le reproche : elle est signe de domination sur celui que l'on reçoit. Les ennemis bénéficient d'un accueil on ne peut plus soigné et les sages en font la remarque en rappelant que tous les squelettes se ressemblent et que se donner autant de mal pour dominer n'est peut-être pas nécessaire. 

Il est normal d'arriver avec un cadeau en visite. 
Le cadeau sera ouvert après le départ du donateur. Si l'on amène une nourriture, une pâtisserie, cela ne sera pas servi durant la visite, sauf proximité d'amitié ou de voisinage (car on est souvent plus familier avec les voisins qu'avec la famille qui habite ailleurs). 
Il est naturel d'être parfumé et de repartir les mains pleines. 
La règle générale lorsqu'on vous amène une assiette ou une marmite de nourriture, c'est de rendre le récipient, un peu plus tard, avec quelque chose de valeur moindre que le contenu reçu, sous peine de vexer le donateur. La règle absolue pour bien recevoir, c'est le confort : même pauvre, il est important de veiller à l'hygiène, à une pièce pourvue de coussins à une nourriture préparée avec soin, fut-ce seulement du pain et surtout, ne pas laisser les gens avoir soif. 

La chaleur de l'accueil fait à peine partie du savoir-vivre en tant que code de société, on dit couramment " qu'une pierre dans la main d'un ami vaut mieux qu'une pomme de la part de celui qui vous dédaigne ". Les personnes chaleureuses sont appréciées non pas en fonction du code, mais humainement, pour le cœur. 

Les anciens enseignaient encore récemment qu'au-dessus des convenances, l'art de vivre en son point le plus haut était cette sensibilité à l'autre, ce que la langue française appelle populairement le " tact ", cette perception immédiate de ce qui plaît ou risque de chagriner autrui. Ils disaient aussi que celui qui ne se comportait pas avec savoir-vivre à la maison, avec son époux, son épouse ou ses enfants, serait toujours raide et malvenu avec les étrangers, parce que peu sincère. Dans ce registre, il est malséant de crier, très choquant de frapper quiconque, peu convenable de bouder. L'éducation des enfants se comprenait en trois phases : " Jusqu'à sept ans, protège-le, joue avec lui, après sept ans soit sévère s nécessaire (y compris la fessée), après quatorze ans, fraternise avec lui ".

Parler trop fort est toujours mal vu, les citadins se moquent des paysans en disant qu'ils se parlent d'une montagne à l'autre. Parler avec les mains est réprimé dès l'enfance, surtout chez les petites filles car c'est un manque à la bonne éducation qui est plus fréquent chez les femmes. 

On signale sa présence en parlant derrière la porte (entre gens de la même maison) ; si un membre de la famille veut se concentrer sur une tâche difficile, étude, calligraphie, par exemple, on évite de remuer trop, de laisser les enfants l'interrompre, o le laisse seul si nécessaire. Parfois, c respect tourne à l'absurde (du moins pour des mentalités différentes) : c'est ainsi (dans les années 70 du siècle dernier) qu'un homme seul avec son épouse en train d'accoucher, loin de quiconque, la suppliait derrière la porte de la laisser entrer pour l'aider, pleurait, mais arrêté par une interdiction ferme, puis par un verrou avant l'expulsion du bébé, elle ne voulait pas qu'il la voit accoucher, resta derrière la porte jusqu'à ce qu'elle eut emmailloté le nouveau-né, ait nettoyé le sang et passé une robe propre ; elle disait fièrement en suite que son mari était très " civil ", dans le sens de civilisé et " qu'il l'avait laissée accoucher sans entrer, sans briser la porte ". 

On disait que si une femme (sans revenus personnels, travaillant pour sa famille à l'intérieur de la maison ou aux champs) devait demander des sous-vêtements, de la nourriture ou quoi que ce soit de nécessaire à son mari, c'est que celui-ci " était délicat comme un sanglier " ou " prévenant comme un dromadaire " (suivant les régions), partant du principe que celui qui est responsable de la famille doit précéder la demande, être assez observateur pour savoir ce qui convient et ce qu'il est possible d'offrir pour faire plaisir suivant les moyens matériels. Si c'est la grand-mère, comme en certaines régions, qui détient les provisions et les biens, c'est à elle de prévenir les besoins ? On respecte profondément les chefs de famille de qui on peut dire " sa femme n'a pas besoin d'ouvrir la bouche ". Dans le savoir-vivre, ce sont surtout les hommes qui sont raillés pour leurs défauts ou leur ignorance, mais on est sans pitié pour la femme qui manque à l'hospitalité, celle qui est indiscrète, celle qui colporte des ragots. Le respect dû à qui vous enseigne est immense, les marques doivent en être visibles : " Lève-toi pour le professeur et présente-lui tes louanges, le professeur aurait pu être un prophète " (dans le sens que si le prophète enseigne la religion, le professeur t'ouvre à toutes les sciences).

Comme devant ses parents, tenir les yeux baissés devant qui vous enseigne est un signe de reconnaissance, de gentillesse (ce que des enseignements religieux transforment en soumission).


L'extérieur

Par rapport à la femme qu'il accompagne, un homme lui laisse toujours, dans la rue, le " bon côté ", c'est-à-dire vers le mur, les maisons. 
Lorsque deux personnes se croisent, la plus jeunes prend le milieu du chemin ou de la rue. 
S'il s'agit d'un homme et d'une femme, sauf fillette et homme très âgé, c'est l'homme qui prend le milieu de la rue (la cause en était-elle l'égout central ? 
Le danger des montures ? En tout cas, cette règle, actuellement en situation d'oubli trouverait raison à notre époque à cause des voitures). Lorsqu'il y a trottoir ou surélévation, l'homme bien éduqué descend pour céder le pas à la femme.

En certains milieux et certaines époques, les femmes se tournent vers le mur ou le paysage, souvent en saluant, parfois pas. La politesse veut que l'homme ne porte pas le regard sur la femme qu'il croise.

On n'appelle pas une femme en public par son nom, si l'on doit crier pour l'atteindre, on prononce le nom de son père ou d'un frère à elle. Il ne faut pas lui faire honte en chantant ses charmes en public ou alors, il faut changer son nom. Par contre, les femmes ne se font aucun scrupule à chanter les charmes d'un homme en public féminin, seule, la peur de l'envie ou de la jalousie des autres, si un projet amoureux dort sous la louange, les freinent et les poussent à inventer un nom.

En général, il est toujours demandé aux hommes de " tenir leur regard ", c'est-à-dire les yeux baissés et pas seulement avec les femmes mais avec les anciens. Les femmes aussi baissent les yeux devant les anciens et les anciennes, mais lorsqu'elles croisent un homme étranger, elles n'ont pas à lui apporter reconnaissance en baissant les yeux, il est mieux qu'elles détournent le regard si elles ne se retournent de tout le corps. Si un homme doit servir de guide à une femme étrangère, il la précède de plusieurs pas. Si un homme se trouve par inadvertance ou obligation dans une pièce où il ne devait pas se trouver, s'il y a des femmes ou une femme à qui il n'a pas été présenté, il baisse les yeux, la salue clairement en l'appelant madame, même si elle est très jeune, et lui demande de l'excuser.

En voyage, une femme seule ou plusieurs femmes non accompagnées d'hommes sont spontanément prises en charge par le responsable du convoi (caravane, bus, etc.) ou par des passagers masculins qui veillent sur elles lors des haltes, leur apportent à boire ou à manger si le voyage est long et veillent à leur confort jusqu'à l'arrivée. Il n'est pas question qu'un homme reste assis en présence d'une femme debout et ceci pour une raison physiologique qui n'a rien à voir avec une supériorité quelconque : les anciens disaient " Tu ne peux jamais savoir si une femme est en puberté, en période d'avant ses règles pendant ses règles, au début d'une grossesse, après une grossesse, en période d'allaitement ou en ménopause, les hommes qui ont vécu savent ce qu'elles subissent comme désagréments, tu neveux pas que ta mère, ton épouse, ta sœur, ton enfant, soient exposées à une fatigue injuste ? Fais pour les autres ce que tu veux qu'ils fassent pour elles. 

Tu es né d'une femme, alors, toi l'homme, tu sais le pourquoi de cette conduite, le plus jeune ne sais pas encore, mais il t'obéit, il respecte toutes les femmes et plus tard, tu lui expliqueras… 
Les femmes ont des désagréments, ne les obligez pas à mendier un confort ".

Il n'est pas franchement répréhensible, dans la rue, qu'un homme se laisse surprendre par la beauté d'une femme et casse la bonne conduite d'abaisser le regard, mais alors il doit se rattraper très vite en livrant furtivement son hommage : un ou deux vers d'une poésie connue qui tombent alors comme la justification de cet écart de conduite ! 

Il est de bon ton que, sans le regarder la femme dise simplement " merci ". En aucun cas cet homme ne devra y voir un encouragement, en aucun cas il ne devra la suivre sous peine de tomber dans la vulgarité et l'injure car le manque de retenue avec une femme étrangère exprime le mépris masculin, qui décrète que cette femme est une femme de mœurs légères ou une prostituée. Les femmes ne s'y trompent pas et leur réaction peut aller de la fuite humiliée au coup de rasoir en travers du visage du suiveur, suivant les régions. Certaines femmes pleurent de rage ou d'humiliation si un homme les suit : de tous temps ce fut une technique pour blesser et provoquer un camp adverse à la guerre (même dans le Coran pour les femmes du prophète Mohamed). Si la rue ou le sentier ne sont plus sûrs, les femmes refusent de sortir et les hommes préfèrent assumer toutes les corvées que de soumettre les femmes de leur famille aux insultes des barbares (ce qui rend compréhensible à quel point, entre autres choses, les invasions et les colonialismes furent néfastes à l'épanouissement féminin, certaines réactions bien compréhensibles au moment des faits se changeant en habitudes).

Le monde arabe et méditerranéen en général veille sur un espace domestique où les garçons, même avant qu'ils ne soient pubères, sont astreints à des règles bien précises d'hygiène et de bonne tenue. On ne juge pas convenable qu'ils " restent traîner dans les jambes des femmes " ou squattent la maison vide si les femmes sont au travail à l'extérieur. Mais cette règle pose problème lorsque la coutume de voisinage se vide de son sens, qu'il n'y a plus personne pour surveiller les garçons " dehors ".

Les repas

Le repas doit se prendre " sans colère ", de même que le pain et la nourriture doivent se préparer " en sérénité ". Longtemps la table carrée ou rectangulaire fut rejetée. Le cercle ou l'octogone est préféré. 
On ne boit qu'après le repas. Poser les verres à table est une nouveauté (on ne sait comment les disposer, ils gênent le plat commun). On prépare le plat en cuisine, prêt à être mangé. 
La viande ou la volaille se mange à la main, un rince-doigts est posé parfumé au citron ou aux eaux florales. 

Le rince-doigts n'est pas significatif d'une classe sociale comme en Occident. Les fruits sont épluchés, la grenade s'offre dans un bol, en perles. Le couteau ou tout objet pointu était exclu ; si l'aliment ne se prend pas en main, il est découpé, préparé pour la bouchée de pain qui le pêchera. Le système de la bouchée de pain pour puiser au plat survit encore. Une bouchée de pain ne doit pas retourner au plat après avoir été mordue. 

Chaque petit morceau de pain, déchiré, détaché au fur et à mesure du morceau de pain, chargé de nourriture, constitue une bouchée, ou alors on installe la nourriture sur une feuille de pain que l'on roule et qu'on mange peu à peu. Les plats de céréales (riz, couscous, millet autres), les bouillies, les entremets, les sorbets, les soupes se mangent à la cuiller La fourchette apportée avec les colonisations continue à poser problème dans les milieux traditionnels. 

Aujourd'hui encore, manger du riz ou du couscous à la fourchette est une hérésie ! 
Et même une situation ridicule assez gênante pour les hôtes. Autrefois, la réaction des femmes arabes qui voyaient les Occidentaux manger dans des assiettes individuelles était de la pitié pour ces pauvres gens qui, semblables aux enfants pas encore propres, ne savaient pas manger ensemble. L'est du monde arabe adopta plus vite que le Maghreb les coutumes occidentales : ce qui continue de poser un certain nombre de problèmes d'espace et de choix de savoir-vivre au moment des repas. Suivant le bon usage, et suivant ce qui est servi, on mange tous ensemble autour d'un grand plat ou par deux ou trois à la même assiette. On commence strictement par la nourriture qui est devant soi et l'on avance vers le milieu du plat. 
On fait glisser les parties délicates ou appréciées du plat suivant la tendresse, les lois de l'hospitalité ou la personne qui se prépare une tâche difficile. 
On peut préparer une bouchée et la mettre dans la bouche de quelqu'un. 
Ou bien, tous les plats sont posés en même temps dans de petites assiettes et l'on puise à son gré sans faire entrave aux mouvements des autres convives. 

Avant l'usage du réfrigérateur, il fallait faire assez de nourriture pour que des invités de dernière minute ne se sentent pas gênés de s'ajouter, et pas trop de nourriture afin de ne rien jeter, car le gâchis est considéré comme un manque de respect à l'effort de ceux qui nourrissent la famille. On place toujours au moins un verre ou une tasse e plus sur le plateau de thé o de boisson sucrée afin que celui qui entre par hasard se sente attendu et non pas importun. On s'échange très fréquemment les plats cuisinés, ce qui fait parfois des repas d'une grande variété, si trois ou quatre " maisons " ont combiné leurs productions. Le fait de forcer sur la nourriture apéritive auprès de celui qu'on reçoit est mal jugé : cela laisse entendre qu'on cherche à lui couper l'appétit pour qu'il mange moins. Il faut impérativement se laver les mains avant et après le repas. Pour éviter le déplacement et l'attente des convives près du point d'eau disponible, on fait circuler une aiguière et de petites serviettes par les grands enfants ou n'importe qui de la famille, ou un jeune invité qui se lève spontanément (fille ou garçon). 

Le cure-dents est d'usage courant, il n'y a aucune objection à l'utiliser en public après le repas si l'on prend la précaution de dissimuler l'opération derrière l'autre main. Oublier d'en présenter aux convives peut les mettre mal à l'aise. En règle générale, on ne montre pas l'intérieur de sa bouche, il est préférable de mettre sa main devant la bouche pour rire aux éclats. 

Certaines personnes scrupuleuses de ne pas gêner autrui vont jusqu'à mettre la main ou un pan de turban à quelques centimètres de la bouche pour parler. Le " chewing-gum " est connu depuis l'antiquité, dénommé " misca " ou " loubane " ; il s'agit de la résine d'une pante qui pousse au désert Il purifie les dents et l'haleine. C'est une pratique courante qui ne pose aucun problème à condition de le mâcher seul ou en compagnie de familiers de la même génération. 

Pas dans la rue, pas dans les endroits publics et surtout pas devant un professeur ou quelqu'un que l'on peut interroger sur ses connaissances.

Fumer le narguilé ou la cigarette, ou la pipe, est considéré comme une fantaisie (encore un fois, distinguons ce qui est malséant de ce qui est parfois interdit, ou désastreux pour la santé). Il n'est pas malséant de fumer mais il était inconcevable que de plus jeunes fument devant les grandes personnes, les hommes devant les femmes (de la famille ou non), les femmes devant les hommes ou en présence d'amies que cela incommodait pour l'une ou l'autre raison. Là encore, c'était quelque chose que l'on faisait " entre amis (-ies) ". L'usage voulait que les femmes mettent la cigarette au milieu de la bouche et jamais dans les coins. Priser était toléré pour les vieilles dames. Chiquer (du tabac bien sûr) a, par contre, une bien mauvaise connotation : c'est jugé répugnant. Boire de l'alcool, de la bière ou du vin (nous n'évoquons pas les interdits) est une très ancienne pratique arabe. Les Mésopotamiens et les Egyptiens s'y entendaient en bière, la Méditerranée en vins ; l'Arabie importait du vin de très loin et le célèbre " Araq " à base de blé et de raisins, parfumé à la gomme arabique ou à l'anis, tient une place importante dans la vie sociale de l'Orient arabe. 

Que l'on boive de l'alcool de figue, du vin de palmier ou tout autre chose, il était de coutume de ne pas faire aller ensemble l'alcool et le soleil. On boit après le travail, au crépuscule, avec moult petites nourritures, fruits oléagineux (olives, amandes, noix), crudités, légumineuses en purées, en salades, pains divers, beignets de légumes et autres. On boit en famille, à la maison, entre amis, au café, pas seul, c'est suspect, alors que fumer seul son narguilé ne l'est pas. 

La règle essentielle étant la modération. Se saouler est parfaitement indécent, surtout chez un homme d'âge mûr ou une femme (jeune ou plus âgée), c'est une sottise que l'on feint d'ignorer pour les jeunes gens (masculins) à condition que le fait soit exceptionnel, qu'ils ne troublent personne et continuent à respecter les femmes. On offre systématiquement de l'alcool aux chanteuses et chanteurs, aux poétesses et poètes que l'on reçoit. L'alcool est admis tant que la conversation est enjouée ; tomber dans la tristesse ou dans l'indécence (raconter sa vie, par exemple) est inadmissible. L'on peut boire " tant que l'on est capable de chanter en chœur harmonieusement ". Que ce soit contraire à la bonne santé ou interdit par une quelconque loi, religieuse ou autre, n'a jamais fort convaincu les sociétés de culture arabe jusque très récemment dans l'histoire.

L'eau est absolument sacrée, elle ne se gaspille pas. 
C'est la première chose que l'on offre, sans se préoccuper que l'ôte soit demandeur. On essuie sa bouche avant de boire, surtout au récipient commun. 
Autrefois, en bien des lieux, on apprenait à boire dès l'enfance sans toucher le récipient ou la gourde. Dans les sociétés musulmanes, il était de règle de ne pas boire le contenu d'un verre d'eau d'un seul coup, il fallait le boire en trois fois.

La communication, le sentiment

La parole est importante, même non écrite. Donner sa parole à quelqu'un pour accomplir ou garder ou protéger ne souffre pas de remise en question. Lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il n'y a pas besoin de témoins pour lui parler, c'est dire son honorabilité. La gentillesse et la douceur sont les deux attitudes qui témoignent de la bonne éducation de quelqu'un. 
On doit s'abstenir de donner aux gens des noms d'animaux, même fâché, et ne pas insulter leur lignée, ni leur famille, ni leur tribu, ni leur région, ni leur pays, ni leurs dieux (ou Dieu). On considérait comme que l'insulte était réservée aux cas très graves (comme une déclaration de guerre, par exemple) et que ceux qui en faisaient abus n'avaient pas d'éducation. 

Mais une vraie insulte, dans des circonstances qui l'exigent, juste au moment où il faut, forte, contrôlée, sans emportement, est appréciée à sa juste mesure (rappelons que nous ne sommes pas dans les considérations de la morale ni des dogmes).

La douleur, au sens de chagrin, n'est pas une honte, les larmes non plus, y compris pour les hommes adultes. Les excès provoqués par cette douleur font en général l'objet d'une grande compréhension ; par contre, manquer de courage physique est mal jugé (" Si tes pieds ne tiennent pas les pierres du chemin, si tes mains ne tiennent pas les braises, tu n'es pas une femme ", disent les montagnardes de l'ouest du monde arabe). Il était de coutume, en de nombreux lieux, que les femmes accouchent sans un cri. 

Quelqu'un de très malade peut dire : " Je suis un peu fatigué ", ce qui n'est pas facile pour établir un diagnostic médical. Affoler son entourage est indigne. Le chagrin d'amour est unanimement reconnu comme terrible. Les sociétés arabes sont le plus souvent prises entre la loi religieuse du groupe qui va, quelle que soit la religion, vers " l'empêchement " d'aimer, et la légitimité de tomber amoureux (-se) que l'usage reconnaît comme impossible à éviter. Accepter de porter une mauvaise nouvelle, un décès à quelqu'un est une action difficile, parfois, on attend que des personnes moins concernées par le chagrin fassent office d'intermédiaires. Appuyer la joue sur la main, ou le menton sur le poing, n'est pas bien considéré. 

On y voit une marque de tristesse et toute attitude répertoriée de tristesse n'est pas convenable en public. Ce qui explique que, décemment, les gens tristes, pour toutes les raisons de la vie, préfèrent rester avec leur ami(e) proche dans une retraite momentanée. Accueillir les gens sans sourire est considéré comme " sauvage ".

Le cri de joie peut être utilisé pour approuver l'héroïsme d'un condamné au moment de son exécution, pour braver l'ennemi, il peut être un défi. Autrefois, au moment de l'enterrement de quelqu'un de très aimé de sa société (sage, femme guérisseuse très célèbre, sauveur du pays - homme ou femme), des femmes lançaient ce cri, cela ébranle fortement et ne se fait pas couramment. Cela ne peut se pratiquer que lorsque l'enterrement est vraiment publique et que des centaines, voir des milliers de personnes sont concernées. Ce son toujours les femmes qui le lancent. Ce sont toujours les femmes qui décident de l'attitude du groupe face à un événement et qui exhortent les hommes au courage et à la dignité, par tradition cela leur revient. La joie, la vraie, s'exprime par le cri, la dans, la nourriture, les vêtements neufs ou la fête. Une femme pouvait exprimer son bonheur ou son déplaisir à son mari en se maquillant (rôle important du henné sur les mains et sur les pieds) ou en refusant de se maquiller et de " se faire belle ". 

Les hommes s'expliquent difficilement, ils n'ont aucun code réel pour s'exprimer, ils fuient pour ne pas vexer, ne pas chagriner : la sagesse populaire n'approuve pas mais constate. 
Le bonheur est toujours fragile et celui qui ose exprimer sa joie ressent cela comme un acte de courage, une sorte de défi à la vie qui n'est jamais égale et toujours dangereuse. 
C'est une façon de placer ce moment privilégié hors du temps ; implicitement : " Maintenant je déborde de joie et arrive que pourra après, c'est toujours ça de pris ! ". Il est fréquent et recommandé d'affirmer sa santé et son bien-être aux " ennemis ", il est peu apprécié de dire trop haut que l'on va bien au sein de sa propre communauté de vie, de son voisinage, de la famille élargie, des amis. 
La bonne mesure étant de dire que tout va bien même quand tout va mal et de rester en réserve en affirmant d'un ton neutre, sans enthousiasme, que tout va très, très bien… Hé oui… Les histoires d'amour réussies quant à elles, se vivent en silence.


Après ce répertoire d'usages, de bon sens et d'humour

Voici donc une longue liste (bien que très incomplète) d'un code très général soumis aux pressions des divers interdits religieux, à l'attaque corrosive des sociétés occidentales qui sont elles-mêmes hésitantes sur leurs propres valeurs ce codes de vie en société. 
En essayant de réaliser ce résumé, deux choses nous sont apparues très clairement : d'abord la différence entre le couple " séant, malséant " (qui n'a rien à voir avec la loi ou la religion) et le couple " permis, interdit " institué par les pouvoirs en place. 

Ensuite un étonnement intense devant la continuité et l'unité (qui ne tient que très peu compte de l'ethnie) d'un code de politesse qui, bien souvent, contredit les prescriptions religieuses adoptées ou, du moins, la pratique locale d'une prescription religieuse. 
Il est à remarquer également que la loi religieuse, au ours de ses différentes expressions, reprend toujours une partie du code mais lui attribue d'autres valeurs. 
Lorsqu'un code prend forme et résiste aussi longtemps dans le temps (car nous partons d'observations de bien avant l'islam jusqu'à la fin du XXe siècle), lorsqu'il recouvre une zone culturelle aussi importante que celle touchée par la culture arabe, c'est qu'il répond aux erreurs les plus courantes, les plus désagréables, les plus fréquentes de sa société, c'est aussi que cette société a identifié le danger ou le bénéfice de certains comportements et qu'un accord tacite s'est établi. 

Il est grave, actuellement, de voir qu'au lieu de réfléchir sur les changements à apporter à ce code (nulle part écrit, transmis oralement ou par petites tapes sur les mains dès l'enfance, fait de bribes annotées, de proverbes, de pratiques et de mémoire) pour l'adapter à la vie moderne, l'on se heurte d'une part, au mur très récent d'un oubli rapide, d'autre part à l'assimilation du mot " modernité " aux codes incertains (vus de chez nous) d'un Occident qui, parfois, se croit poli parce qu'il est gavé. 

Nos gens ne savent plus où ils en sont. 
Qu'il est donc difficile d'être démuni ou méprisé et respectueux ! 
Comment se fait-il qu'une mince couche de nos populations résiste encore, garde ce savoir-vivre ?


Par Hawa Djabali

Hawa Djabali
Né(e) à : Créteil , 1949
Biographie : 
Hawa Djabali est née à Créteil en 1949. Elle regagne l’Algérie à l’âge de douze ans. 
Elle y plonge ses racines entre Lakhdaria, Constantine et Alger et fréquente le Conservatoire. 
Plus tard, elle écrit pour la presse sous le pseudonyme de Assia D. et assume certaines émissions radio de la chaîne III, puis les produit.
 
Son regard se porte sur les femmes de son pays dont les destins sont parmi ses principales sources d’inspiration. 
Elle a écrit de nombreuses pièces de théâtre, publié des romans, et rejoint en 1989 le Centre Culturel Arabe, à Bruxelles, fondé en 1988 par Ali Kheder, centre culturel qui s’affirme laïque et indépendant. 


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