Macron en Afrique : “Il est venu, il a parlé, et après ?”.
Devant plusieurs centaines d’étudiants, le président français a prononcé son premier discours sur l’Afrique, le 28 novembre, à Ouagadougou.
Si la presse du Burkina Faso juge réussi le “grand oral” d’Emmanuel Macron, elle attend de voir si ses paroles se transformeront réellement en actes.
“Prestation réussie tant dans la forme que dans le fond” juge Aujourd’hui au Faso à propos du discours d’1 heure 40 d’Emmanuel Macron, suivi d’une séance animée d’une heure de questions/réponses avec des étudiants.
Le quotidien de Ouagadougou salue l’habileté du président français qui avait pris soin, dès le début de son intervention, de “désamorcer la bombe estudiantine” en citant la célèbre expression “‘Oser inventer l’avenir’ de Thomas Sankara, idole d’une jeunesse désabusée de la politique et du politique”.
Le visiteur avait aussi annoncé peu avant son discours la levée du secret-défense sur les archives françaises liées l’assassinat en 1987 de l’ancien président du Burkina Faso.
Paternaliste et donneur de leçons
Ironisant sur “‘Merlin l’enchanteur’, pardon Macron l’enchanteur”, le journal pointe du doigt les contradictions d’Emmanuel Macron.
D’un côté, il a juré qu’il “n’y avait plus de politique africaine de la France” et que la solution aux problèmes africains ne pouvait pas venir “de l’extérieur”.
D’un autre côté, le dirigeant français a fait un “emploi intempestif du ‘je veux’ [qui] renvoie à ce paternalisme à rebrousse-poil présent dans toute la trame de ce grand oral macroniste”.
Même avis pour L’Observateur Paalga qui estime que si “Macron n’a cessé d’affirmer qu’il ne veut pas donner de leçons, il n’en dispense pas moins quelques-unes et dit avec franchise ce qu’il pense”.
Relevant que Nicolas Sarkozy, lors de son “tristement célèbre” discours de Dakar en 2007, n’avait pas “osé se frotter à la ‘racaille’ estudiantine”, le quotidien ouagalais considère que “l’opération de charme et de reconquête d’une population majoritairement hostile à l’ancienne puissance tutélaire a réussi”.
“Macron est donc venu, il a vu (ou plutôt parlé), il a vaincu ses contradicteurs dont le niveau, il faut dire, volait souvent au ras des pâquerettes.”
Dépeignant un chef d’État “sûr de lui, dominateur, beau parleur”, l’éditorialiste demeure toutefois prudent :
Il faut prendre le temps de digérer les belles paroles de l’Évangile selon saint Emmanuel pour voir l’effet qu’elles produiront avec le temps. En espérant que ce ne sera pas uniquement des effets d’annonce qui vont très vite retomber comme un soufflet dès que l’illustre hôte aura tourné les talons.”
Promesses tenues
“Il est venu, il a parlé, et après ?” insiste ainsi Le Pays dans son éditorial du jour, qui reconnaît toutefois que le discours du président français “a tenu toutes ses promesses” en abordant “la question sécuritaire au Sahel, la crise migratoire, l’éducation et la démographie en Afrique”.
Les paroles seront-elles suivies des actes, s’interroge le quotidien burkinabè :
Le scepticisme est grand quand on sait que les prédécesseurs de Macron se sont tous illustrés par des discours du genre […] À titre d’exemple, depuis Jacques Chirac, tous les présidents ont annoncé la mort de la Françafrique qui, pourtant, leur a tous survécu […] Le discours de Macron risque de ne pas être un point de rupture mais juste la continuation de la politique française en Afrique.”
Le journal souhaite que “la France rééquilibre véritablement ses relations qui restent empreintes de paternalisme voire parfois de condescendance” à l’égard du continent africain.
Passer du “parler vrai” à “l’agir vite”
Wakat Séra revient justement sur un épisode révélateur de l’attitude de ce “prof du jour”. Répondant à une question se rapportant au manque de climatisation dans l’amphithéâtre universitaire où il se trouvait, et plus largement au déficit d’électricité dans le pays, Emmanuel Macron a rappelé que c’est le président burkinabè qui était responsable de cette situation, et non “la puissance coloniale”.
Coïncidence ou non, Roch Kaboré est alors sorti de la salle : “Macron, de ce ton railleur dont il a seul le secret, n’a d’ailleurs pas hésité à penser tout haut que le président du Faso s’était levé pour aller réparer le climatiseur.”
Le site d’informations burkinabè met en garde Emmanuel Macron. Cet “excellent tribun” qui maîtrise “parfaitement la psychologie de son auditoire”, doit désormais “passer à l’agir vite” après “le parler vrai”.
Un “challenge” qui n’est pas gagné d’avance :
Si le pays des Hommes intègres [Burkina Faso] a su provoquer l’alternance politique [lors d’une révolte populaire en 2014], c’est loin d’être le cas au Togo, dans les deux Congo, au Burundi, et au Cameroun, pour en rester à cette short list. Dans ces pays, les chefs d’État se fossilisent, au grand dam de populations qui ne peuvent pas compter sur la France […] pour s’enivrer de l’air vivifiant du changement démocratique au sommet.”
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