Les causes de la pauvreté au Maroc selon la BM


Les causes de la pauvreté au Maroc selon la BM



Quelles sont les causes de la pauvreté au Maroc ? 
Comment lutter contre la pauvreté ? telles sont les principales questions auxquelles tente de répondre la Banque Mondiale dans son dernier rapport intitulé " SE SOUSTRAIRE A LA PAUVRETE AU MAROC ". 

Le rapport fait partie d'une étude comparative internationale sur la mobilité socio-économique dans 15 pays : Moving out of Poverty : Understanding Freedom, Democracy and Growth from the Bottom Up.

L'étude couvre une dix années de changement économique et social  et analyse les causes de la pauvreté au niveau social, politique et institutionnel en se basant sur un échantillon composé de neuf communautés réparties sur  trois provinces : Beni Mellal, El Hajeb et Chichaoua.


Principales conclusions de l'étude :

Dans l'ensemble, les pauvres enregistrent des gains modestes.
La fréquence de la mobilité ascendante parmi les ménages pauvres (37 pour cent) est double de celle des ménages non pauvres (19 pour cent), et 20 pour cent des pauvres se sont soustraits à la pauvreté.

Parallèlement, juste un peu plus de la moitié des ménages de l'étude ont commencé pauvres et le sont demeurés, alors que 27 pour cent ont commencé et sont demeurés non pauvres.
Quatorze pour cent seulement des ménages sont passés à un niveau supérieur et 7 pour cent à un niveau inférieur, ce qui suggère un progrès modeste, mais guère spectaculaire, dans l'ensemble des communautés.

L'étude souligne l'importance de :
la diversification économique, y compris la migration, pour la mobilité ; l'importance d'acquérir des biens, notamment un logement ;
les contributions du capital social au bien-être de la communauté et des ménages ;

L'impact de la corruption et du clientélisme sur les pauvres ; les conséquences économiques et de bien-être des disparités entre les genres ;
Le rôle pivot de l'éducation pour le bien-être et la mobilité ;
L'importance des filets sociaux pour mettre fin à la mobilité descendante ; le Maroc est une société en transition, d'où les aspirations et frustrations de la jeunesse.

Les ménages pauvres s'en sortent mieux dans des communautés urbaines plus larges et/ou prospères

Les communautés plus larges et urbaines offrent plus d'opportunités et de services. La capacité des ménages à diversifier les sources des revenus dépend en grande partie de l'éventail des opportunités économiques de leur communauté, et ceci semble lié à la taille des communautés ainsi qu'à une infrastructure et des services relativement meilleurs.

Les ménages pauvres s'en sortiront vraisemblablement mieux dans des communautés qui comptent un pourcentage relativement plus important de ménages non pauvres. Les communautés qui ont enregistré le plus de mouvement pour échapper au cercle de la pauvreté sont aussi celles où vivent un pourcentage relativement plus important de non pauvres (et qui donc font aussi montre d'une mobilité ascendante). Par contre, les communautés où vit une plus grande proportion de pauvres ont enregistré un moindre mouvement ascendant. La corrélation suggère que la prépondérance de ménages non pauvres se traduit par davantage d'activités économiques, plus de liquidités en circulation, une demande plus forte pour les services, et donc plus d'opportunités pour les pauvres.




La diversification économique est essentielle à la mobilité, compte tenu de la volatilité et des moyens d'existence fondamentaux tels que l'agriculture et l'absence de filets sociaux  formels.

Les opportunités pour combiner un emploi saisonnier ou salarié avec d'autres sources de revenus sont corrélées à une plus grande mobilité, tandis que la dépendance aux revenus agricoles est corrélée avec une faible mobilité. Les ménages qui perçoivent un revenu régulier d'au moins un membre de la famille sont ceux qui ont la moindre probabilité de régresser.

La migration d'un ou de plusieurs membres de la famille, en particulier à l'étranger, est ressortie comme la principale stratégie des ménages pour se soustraire à la pauvreté et demeurer dans une situation de non pauvreté.

Les envois de fonds des travailleurs à l'étranger, les salaires ou les retraites (en particulier d'un emploi en Europe) ont permis aux ménages d'épargner, de faire face aux crises, et simultanément d'investir dans des avoirs productifs pour lancer ou développer des activités génératrices de revenus et diversifier leurs moyens d'existence.

Un salaire fait aussi qu'il est plus facile d'emprunter auprès des banques plutôt que de dépendre des organisations de microcrédit ou de relations. De plus, un portefeuille diversifié de moyens d'existence fait que si l'un d'entre eux s'écroule d'autres peuvent compenser.

Les ménages tirent avantage de revenus réguliers et fiables, car ils peuvent épargner, planifier, survivre aux chocs, et investir dans des moyens d'existence secondaires.


Des revenus stables ont aussi permis aux ménages d'accumuler des avoirs tels que de la terre ou leur propre logement, cette dernière établissant une nette distinction entre les ménages pauvres et non pauvres. L'habitation fait fonction d'assurance et d'actif productif - souvent les occupants en louent une partie pour en tirer un revenu additionnel.

A l'inverse, le fait de ne pas posséder de logement pouvait précipiter la population dans une spirale descendante, proche du seuil de pauvreté, en cas de perte d'un emploi ou d'une incapacité à payer le loyer. Même dans les communautés les plus pauvres, les ménages se sont efforcés d'acheter un logement en tant qu'assurance contre une totale destitution.

En zones rurales avec peu d'opportunités en dehors de l'agriculture, le redimensionnement des grandes entreprises agricoles a forcé les ménages déjà affectés par la sécheresse à dépendre de l'agriculture de subsistance.


La migration étrangère et intérieure demeure essentielle pour la mobilité des ménages et le bien-être de la communauté

Les communautés prospères ont investi dans la migration à l'étranger et bénéficié en retour d'une demande accrue pour des biens et services de la part des ménages enrichis par les envois de fonds.

Malgré l'importance continue de la migration pour le bien-être des ménages, les jeunes sont plutôt ambivalents à ce sujet. Quoique la plupart des jeunes interviewés aient reconnu que la migration offre l'opportunité la plus réaliste de mobilité ascendante, bon nombre d'entre eux ressentent la pression parentale pour migrer et craignent les coûts, les difficultés et les dangers, notamment de la migration illégale. Ils sont préoccupés par l'exode des cerveaux et s'offusquent de l'absence d'opportunités leur permettant de rester chez eux, ce qui contribuerait au renforcement économique de leur communauté.

L'accès au capital, par le biais des banques, des associations de microcrédit, ou de l'héritage contribue au bien-être et à la mobilité des ménages

Si l'obtention d'un prêt ou d'une rentrée imprévue n'a pas toujours été suffisante en elle-même pour sortir un ménage de la pauvreté, l'accès au crédit a permis aux familles d'investir dans des activités productives, ou d'acquérir des avoirs tels que des maisons tout autant pour la sécurité psychologique qu'économique. De nombreux récits de vie attestent de l'importance des prêts bancaires ou des associations de microcrédit pour la population qui a investi dans des activités productives (y compris un contrat d'emploi à l'étranger) ou de consommation.

La coopération avec des associations et organisations formelles ou informelles est bénéfique aux communautés et aux ménages tant sur le plan économique que psychologique.

On trouve des coopératives de producteurs dans deux des communautés rurales parmi les plus prospères et les associations de développement sont très appréciées de la population dans les communautés urbaines.

Le fonctionnement efficace de ces organisations souligne l'importance du capital social, en termes de confiance et de réciprocité, d'échange d'information, et d'accès aux ressources pour la prospérité locale. Parallèlement, il y a lieu de noter que les informateurs qui ont déclaré prendre part aux associations locales provenaient généralement de ménages se situant aux niveaux les plus élevés de l'Echelle de vie. La participation active aux associations requière du temps, du savoir, et des contacts que les membres des ménages plus démunis n'ont pas; elle aide aussi à faire progresser la carrière des participants.

Dans la même optique, les ménages entourés de réseaux sociaux denses avaient davantage de chances de mobilité ascendante et étaient mieux préparés à surmonter les chocs.

Les réseaux d'appui social - le capital social auquel les individus et les ménages peuvent faire appel - ont été largement cités dans les récits individuels de vie. Ces réseaux, qui généralement interconnectent les membres d'une famille vivant dans un même ménage ou un ménage de proximité, des amis de la famille ayant accès à des ressources matérielles importantes, des connaissances ou des contacts, ou encore des membres apparentés vivant dans d'autres régions du Maroc ou à l'étranger, ont aidé à trouver de bons emplois, à acquérir des compétences commercialisables telles que la confection de robes ou l'exploitation d'un commerce, et ont également aidé à établir des relations de crédit avec les fournisseurs. La participation au daret, variation marocaine de l'association rotative d'épargne et de crédit quasi universelle, a donné aux ménages un moyen de faire face aux crises journalières, voire même de réaliser des investissements.

La corruption et le clientélisme dans le secteur public et sur le marché affectent toujours les demandeurs d'emploi et les entrepreneurs

La corruption et le clientélisme représentent la face obscure du capital social - liens entre les
nantis et/ou les puissants particulièrement néfastes pour les pauvres. La corruption et le clientélisme privilégiant ceux qui sont socialement, politiquement, et économiquement bien apparentés, sont des facteurs inhérents de discrimination vis-à-vis des ménages les plus marginalisés-ce qui limite encore davantage leurs chances de s'améliorer et de se soustraire à la pauvreté.

A la fois dans les communautés prospères et celles plus pauvres, les riches se servent de pots-de-vin et d'influences politiques pour obtenir des emplois et les autorisations nécessaires pour démarrer une entreprise.
Comme l'a noté un habitant d'Ait Messaoud, " Dans une démocratie, les mêmes règles devraient s'appliquer à tous .... [mais] les pauvres ne peuvent bénéficier des opportunités offertes par l'administration centrale " alors que dans la communauté prospère de Bir Anzarane, la population s'est plainte que sans pots-de-vin, les candidats entrepreneurs peuvent se faire orienter d'une direction à une autre jusqu'à ce qu'ils abandonnent ou qu'ils paient. Les représentants officiels corrompus exploitent aussi les travailleurs du secteur informel, par exemple en harcelant les chauffeurs de taxi et les transporteurs informels (important moyen d'existence dans les communautés proches des centres urbains) pour des pots-de-vin. Les jeunes gens en particulier sont offusqués par la proéminence de la corruption dans l'administration publique, où le clientélisme les empêchent de trouver un emploi dans un marché du travail déjà restreint.

L'infrastructure et les services sociaux sont importants pour le bien-être des ménages et des communautés

L'expansion des réseaux d'eau potable et de l'électricité aux communautés pauvres a nettement amélioré la perception du bien-être. Les femmes apprécient particulièrement l'accès à l'eau courante qui les décharge de leur tâche quotidienne d'aller puiser de l'eau à plusieurs kilomètres de distance. L'électrification a amélioré la sécurité en milieu urbain. L'électrification rurale a donné aux hommes et en particulier aux femmes, qui passent souvent plus de temps au foyer, un meilleur accès à l'information télévisée. Les nouvelles routes ont créé des opportunités pour les chauffeurs de taxi et les transporteurs et rendu l'accès aux marchés plus aisé pour les vendeurs et les acheteurs.

L'inaccessibilité aux soins de santé peut faire en sorte qu'une maladie aigue ou chronique devienne catastrophique pour le ménage. En conséquence d'une maladie, les familles pauvres déclarent avoir épuisé leurs actifs, utilisé leurs épargnes, vendu leurs bijoux, voire des actifs productifs tels que de l'équipement, pour payer le transport vers l'installation urbaine la plus proche et pour le traitement. Ces paiements consistent principalement en pots-de-vin versés au personnel médical. Les familles touchées sont dès lors plus vulnérables à d'autres chocs et il est fort probable qu'elles tomberont plus bas dans l'Echelle de vie. Bien que les ménages plus aisés souffrent aussi de maladies et d'invalidité, soit ils ont une assurance maladie soit une épargne suffisante pour payer pour le traitement sans pour autant appauvrir le ménage.

Bon nombre d'entre elles hésitent à consulter du personnel de santé de sexe masculin et le manque de maternités locales, joint au piètre état des routes et au transport coûteux, les mettent en situation de risque lors d'une naissance. Dans certains cas, le traitement médical n'est tout simplement pas à la portée des pauvres en raison de l'augmentation de la corruption au cours de 10 dernières années - " A l'hôpital on ne paie pas si on connaît quelqu'un, sans cela inutile de s'y rendre ".

L'éducation est centrale pour trouver un bon emploi, démarrer une entreprise à succès, et atteindre l'autonomie personnelle

L'éducation est toujours considérée comme une étape essentielle de mobilité ascendante, même si les parents sont d'avis que la qualité de l'enseignement et la motivation des enseignants a précipitamment baissé. Un enseignement universitaire était l'une des caractéristiques distinctives des ménages qui avaient débuté aux niveaux les plus hauts de l'Echelle de vie et qui s'y étaient maintenus. Il est dit qu'avoir suivi un enseignement supérieur et de bonnes connections familiales aident les jeunes adultes à trouver un emploi stable dans le secteur public ou à être recrutés dans l'entreprise d'un parent.

Les jeunes considèrent l'éducation nécessaire pour aller de l'avant mais ils sont frustrés parce qu'ils ne peuvent se permettre le genre d'éducation qui les aideraient à trouver un emploi lucratif. Néanmoins, ils essaient toujours d'obtenir une éducation malgré le coût, la distance, et la faible qualité et rentabilité et, en particulier pour les filles, l'attitude des parents. Dans les communautés sans école, ce sont généralement les familles les plus pauvres qui ne peuvent ou ne veulent pas envoyer leurs enfants loin pour étudier. Même lorsque les parents sont disposés à envoyer leurs garçons à l'école, la fréquentation scolaire a toujours posé un problème logistique.
En fin de compte les garçons finissent par écourter leur éducation lorsqu'ils partent travailler dans d'autres régions du Maroc. Les filles considèrent que leurs parents dévaluent leur éducation puisqu'elles sont seulement destinées au mariage et à la maternité, et qu'ils les empêchent de fréquenter l'école. Dans pratiquement chaque communauté, les jeunes ont également déploré l'absence de centres de jeunesse, clubs, terrains de sport et installations de formation professionnelle.

Sans filets sociaux formels, rares sont les ménages qui sont immunisés contre le risque de mobilité descendante

Le manque de filets sociaux formels, sous forme d'assurance et d'assistance sociales et de soins de santé abordables, peut être catastrophique pour les ménages. Ils n'ont aucun recours en cas de maladie ou de chômage.

De même, les familles proches du seuil de pauvreté peuvent être très vulnérables à certaines étapes du cycle de vie - lorsqu'ils démarrent, avec de jeunes enfants à nourrir, habiller et éduquer, ou lorsqu'ils sont plus âgés, avec des revenus à la baisse et des besoins de santé croissants. Compte tenu des hauts niveaux de pauvreté chronique dans bon nombre de ces communautés, il est peu vraisemblable que la famille ou les amis peuvent leur apporter une assistance significative. En conséquence, les ménages risquent de devoir vendre leurs biens productifs (ce qui affecte leur capacité future à gagner de l'argent) ou leur logement (souvent considéré comme le dernier rempart contre la destitution), situation qui fait qu'il leur
sera encore plus difficile à l'avenir de se soustraire à la pauvreté et de demeurer hors de la
pauvreté.

Le rôle économique que les femmes jouent dans leur ménage peut avoir un impact décisif sur le patrimoine familial

. Leurs richesses varient selon que les membres féminins du ménage jouent un rôle économique indépendant. Les ménages dans lesquels les femmes ont joué un rôle actif - soit comme acteurs économiques indépendants soit comme partenaires actifs de leur mari - font souvent montre d'une forte mobilité, tandis que les ménages où les femmes ne travaillent pas en dehors du foyer ont été plus vulnérables à la mobilité descendante lorsque le revenu de l'homme, soutien de famille, diminuait pour une raison quelconque.

Cet impact a été plus prononcé dans les communautés les plus pauvres, dépendantes de l'agriculture, et traditionnelles. Mais même dans ces communautés, les améliorations apportées aux infrastructures qui réduisent le travail ménager font qu'il est plus facile pour les femmes de se joindre à la population active.

Les femmes avaient plutôt tendance à participer au marché du travail dans les communautés urbaines et/ou rurales plus prospères offrant un plus grand choix d'activités considérées appropriées pour les femmes (par exemple dans le secteur des services), et où il était mieux accepté et plus courant pour les femmes de travailler en dehors du foyer. Dans les communautés ou les ménages où les femmes étaient encouragées ou autorisées à obtenir une éducation et des compétences, elles ont exprimé davantage de confiance à explorer des stratégies pour améliorer la situation économique de leur ménage. Parfois le décès ou l'invalidité de l'homme soutien de famille a permis de donner libre cours au potentiel économique de la femme, qui a été en mesure de redresser la bonne fortune du ménage. Par ailleurs, les femmes de ménages plus prospères ou bien apparentés, ont été de toute évidence mieux en mesure de négocier avec les relations de leur mari un emploi ou du crédit.

Les femmes ont davantage tendance à jouer un rôle économique indépendant dans les communautés urbaines, où les opportunités sont plus diverses, notamment dans le secteur des services. Dans les communautés rurales les plus pauvres et les moins mobiles, les femmes avaient plutôt tendance à travailler avec leur mari sur la parcelle du ménage, ou au foyer.

Dans les communautés et les ménages où les femmes héritent et gèrent des biens, elles sont en mesure de contribuer à la mobilité ascendante. Dans certaines communautés, les femmes sont reléguées en faveur de frères ou de fils ayant hérité directement du parent ou mari décédé. Dans les communautés où les tribus possèdent collectivement de la terre, par exemple, il n'était pas permis aux femmes d'hériter du terrain. Les femmes se plaignent que les hommes gaspillent souvent leur héritage pour acheter des articles de luxe. La pratique actuelle changera vraisemblablement avec le nouveau Code de la Famille. Il est certain qu'une plus grande liberté d'héritage et de gestion de la propriété autonomiserait les femmes en leur permettant de mettre leurs propres compétences, jugements et initiatives en œuvre pour le bien-être de leur ménage.

La pauvreté est multidimensionnelle
Une conclusion claire de l'étude est que la pauvreté implique de multiples formes d'exclusion - des services, des réseaux sociaux, et du pouvoir, et que le bien-être ne dépend pas seulement du revenu mais du sentiment d'inclusion et de dignité. Les ménages pauvres de l'étude ont eu moins de probabilité que les autres à avoir accès à des soins de santé décents dans le contexte desquels leur dignité est respectée, à une bonne éducation ou à des réseaux de personnes influentes ou puissantes. Les pauvres auront aussi davantage le sentiment d'être dépendants, de manquer de confiance, et d'être impuissants à influencer leurs représentants officiels, à faire valoir leurs droits, à préserver leur dignité, à obtenir de l'information, ou à partager à part égale les opportunités économiques ou autres. Pour de nombreux pauvres, avoir suffisamment d'argent pour prendre soin d'eux mêmes est inséparable de la préservation de leur dignité.

De même, les améliorations des conditions de vie ont développé le sens d'inclusion et de bienêtre, même dans les communautés pauvres ayant peu d'opportunités économiques. L'expansion des réseaux d'eau potable et d'électricité en particulier a profondément influencé la vie de tous les jours.
Les femmes en particulier apprécient l'accès à l'eau courante qui les décharge de la corvée journalière d'aller puiser de l'eau à plusieurs kilomètres de distance.

L'électrification a amélioré la sécurité en milieu urbain. L'électrification rurale a donné aux hommes et aux femmes en particulier, qui tendent à demeurer plus au foyer, un plus grand accès à l'information par le biais de la télévision.
Les nouvelles routes ont créé des opportunités pour les chauffeurs de taxi et les transporteurs et ont rapproché les marchés des vendeurs et des acheteurs.

Le Maroc est une société en période de transition politique et sociale
L'historique des neuf communautés marocaines au cours de la dernière décennie révèle un panorama de mouvement et de changement. Bien qu'il y ait eu un modeste mouvement net de ménages qui se sont soustraits à la pauvreté, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés en situation de pauvreté.

Les fluctuations économiques dans les richesses des ménages et communautés individuels se sont produites dans un contexte de changements politiques et sociaux importants. Les hommes et les femmes des neuf communautés ont décrit les relations de pouvoir en évolution et les multiples manières selon lesquelles les hiérarchies traditionnelles sont actuellement remises en cause. Par le biais d'élections locales et d'une presse plus ouverte qui a exposé la population à de nouvelles informations et perspectives, les citoyens ont exigé plus de leurs représentants officiels locaux. Socialement, les jeunes qui sont plus éduqués, mobiles et ambitieux que leurs parents et les femmes dont le souhait d'une autonomie plus grande jouit d'un appui gouvernemental sous forme d'une nouvelle législation, remettent en cause les hiérarchies traditionnelles liées à l'âge et au genre.

Les femmes et les filles relèvent le défi des anticipations traditionnelles concernant leur rôle dans le ménage et dans la société. Le nouveau Code de la Famille, la Moudawana, promulgué en 2004, a redéfini le statut juridique et social des femmes d'une manière qui devrait leur conférer des rôles plus indépendants. Il a déjà affecté la façon de penser, bien que pas nécessairement le comportement, des hommes et des femmes.

Davantage dans les communautés urbaines que rurales, les femmes se sont senties plus en mesure d'exprimer des points de vue politique indépendants et certaines jeunes femmes ont ressenti que le Code appuyait leurs aspirations et leur offrait un niveau de protection - " les femmes ont moins peur de leur mari ".

Au Maroc les jeunes sont en quête de changement
Les jeunes remettent en cause la sagesse et le jugement de leurs parents. Les jeunes ont exprimé un sens d'aliénation entre eux et leurs parents. Le fossé éducatif entre les jeunes et leurs parents, ainsi que les normes et anticipations changeantes en matière de genre, ont émergé comme étant de fréquentes et importantes sources de frustration. Les aspirations des jeunes ont également été
influencées par l'importance accrue de la télévision, des influx annuels de migrants rentrant au pays, voire même de l'Internet, actuellement accessible dans les communautés urbaines.
Parallèlement, les jeunes de ménages pauvres trouvent que leur situation de pauvreté les prive de nombreuses libertés et opportunités économiques et sociales.

Dans toutes les communautés, les jeunes ont cité la pauvreté et le chômage comme étant le problème majeur pour les individus et pour le pays dans son ensemble. Ils se sentent profondément frustrés et anxieux du manque d'opportunités d'emploi et interconnectent le chômage à la pauvreté, au crime, au terrorisme, et à la toxicomanie. Le degré selon lequel les jeunes se sentent soutenus par leurs leaders varie d'une évaluation positive de la nouvelle ouverture politique, à un panorama plus pessimiste de leur société toujours dominée par les nantis et les puissants alors que les populations pauvres et rurales sont demeurées principalement exclues du processus politique. Ces réponses suggèrent que la jeune génération de Marocains, en particulier celle qui vit en dehors des grands centres urbains, perçoit toujours ses leaders comme n'étant pas suffisamment réceptifs et sensibilisés.


Recommandations de politique

Encourager le développement des opportunités économiques et appuyer davantage l'entreprenariat
Appui à l'entreprenariat : Le Gouvernement, y compris les administrations locales, devrait garantir un environnement plus propice aux petites entreprises, essentielles pour la survie des ménages, et encore plus pour la mobilité ascendante. Ceci peut se concrétiser en rendant les procédures d'enregistrement plus simples et plus transparentes et en examinant minutieusement les éventuels impacts adverses du zonage, des permis ou autres réglementations avant leur application.

Offre de crédit : L'accès au capital - souvent sous forme de prêts formels des banques et/ou associations de microcrédit - est ressorti de l'étude comme un moyen important grâce auquel les gens ont été en mesure de démarrer ou de développer une petite entreprise et de soustraire leur ménage à la pauvreté. Par contre le manque d'accès a été l'une des contraintes les plus souvent citées. Seules quelques unes des communautés rurales de l'étude ont des associations locales de microcrédit. Les banques devraient envisager des moyens plus flexibles pour déterminer l'éligibilité des requérants qui n'ont pas un emploi salarié mais qui peuvent prouver leur solvabilité.

Renforcer la capacité des communautés à tirer avantage des ressources et réseaux de migrants
Les envois de fonds des travailleurs à l'étranger constituent une source critique de revenus pour de nombreux ménages même si la migration a aussi des impacts négatifs sur les migrants et les membres de la famille qui sont restés au pays. En particulier pour ce qui est des migrants en âge de scolarisation, il faut trouver des incitations pour qu'ils puissent rester avec leur famille et les encourager à achever leur scolarisation avant de pénétrer le marché de l'emploi.

Les envois de fonds pourraient aussi contribuer davantage au développement communautaire qu'ils ne le font actuellement. En créant un environnement des affaires attrayant, les collectivités locales pourraient encourager un investissement accru des envois de fonds dans des acticités productives des communautés d'origine.

Une étude récente de la rentabilité des migrants originaires des hautes terres appauvries de Sousse a décrit comment ils ont collaboré avec les associations villageoises locales en partenariat avec l'Etat marocain pour offrir des services d'infrastructure à faible coût à des dizaines de milliers de ménages dans leurs villages d'origine.4 Cette expérience met en lumière les atouts potentiels que les migrants - qui retournent temporairement ou de manière définitive - peuvent offrir, non seulement avec leurs envois de fonds, mais aussi grâce aux connaissances et à l'expérience qu'ils ont acquis à l'étranger.

Développer l'accès aux services municipaux

Services d'infrastructure : La population a souvent identifié l'expansion des réseaux de l'électricité et de l'eau comme étant l'une des avancées positives les plus importantes de l'histoire récente de leur communauté. Ces dernières années ont été le témoin d'un
développement important en milieu rural, mais la dynamique doit être maintenue - il demeure encore des districts non desservis dans un certain nombre des communautés ayant fait partie de l'enquête. L'entretien des routes (et ponts) secondaires et tertiaires qui relient les villages et les marchés ou centres de district locaux aux infrastructures de santé et écoles, améliore le bien-être et développe les opportunités économiques. En milieu urbain comme à Oufla N'talat, l'entretien du réseau d'assainissement et d'égouts a été cité comme un moyen de réduire les maladies hydriques, en particulier parmi les enfants.

Soins de santé et filets sociaux : Il n'est pas étonnant que l'étude ait indiqué que les chocs en matière de santé poussent souvent une famille à un échelon inférieur de l'Echelle de vie.

L'accès à au moins un dispensaire (d'accès physique, adoptant des pratiques tenant compte de la sensibilité liée au genre, et dispensant des médicaments d'un coût abordable) réduirait nettement la charge pour les familles qui doivent déjà faire face à une interruption de leurs revenus. Un mécanisme formel de filet social est important pour aider les ménages en difficulté lors de courtes périodes de chômage, pour les empêcher de tomber en flèche dans une situation de pauvreté, et pour assurer un appui minimal à ceux qui sont incapables de subvenir à leurs propres besoins.

Education : Bien que les attitudes enracinées sur les rôles des genres évoluent lentement, un des domaines où l'Etat, en partenariat avec les organisations de la société civile, pourrait faire progresser son agenda est celui de l'éducation.

En effet, le Gouvernement a pris des mesures importantes depuis les années 90 pour en accroître l'accès. Les taux d'inscription ont nettement augmenté, passant d'à peine un peu plus de 4 millions d'enfants, de la cohorte d'âge des 6 à 17 ans, en 1996, à un peu plus de 5,5 millions en 2006.

La qualité, l'efficacité, et les disparités de genre et géographiques relèvent toutefois toujours du défi. Les filles du milieu rural ont nettement plus de probabilité d'abandonner l'école à un jeune âge, notamment si l'établissement d'enseignement secondaire est situé en dehors de la communauté.
Un meilleur moyen de transport n'est pas toujours la réponse, du moins pour les filles. Il sera important de trouver de nouveaux moyens pour introduire l'enseignement secondaire dans les communautés isolées, ou pour amener les enfants aux écoles secondaires situées en dehors de leurs communautés (dortoirs, transport sécurisé, incitations matérielles pour les parents). Les conclusions tirées des récits individuels en particulier suggèrent un lien entre l'alphabétisation des femmes et la confiance en soi. Enfin, la littérature consacrée au développement a documenté l'impact du niveau d'éducation des femmes sur le développement humain et les résultats en matière de pauvreté.

Soins de santé : Nombreuses sont les femmes qui sont réticentes à consulter des travailleurs masculins de la santé (notamment en ce qui concerne les questions de santé reproductive) ; ceci joint au fait que les installations de maternité sont souvent situées dans les centres urbains a constitué un risque réel pour les femmes. Il pourrait être remédié au problème en encourageant de manière plus proactive les femmes à devenir des praticiennes rurales de la santé et en apportant des améliorations à l'abordabilité et à l'accès physique aux services de santé reproductive et installations hospitalières de qualité.

Développer les opportunités économiques pour les femmes rurales : S'il est vrai qu'un changement social rapide se constate en milieu urbain, où les femmes sont plus libres de participer aux marchés de l'emploi et de gérer elles-mêmes des ressources financières, les femmes rurales ont une moindre liberté d'action. Une provision accrue de compétences pertinentes pour le marché de l'emploi (notamment par le biais des organisations de la société civile, qui ont déjà commencé à dispenser des programmes d'alphabétisation et de formation professionnelle) et l'expansion des opportunités de crédit permettant aux femmes de réaliser des
investissements initiaux dans des activités productives indépendantes, pourraient développer les opportunités de création de revenus pour les femmes à un coût relativement modeste pour l'Etat.

Dans certaines communautés, les femmes ont commencé à organiser des coopératives de producteurs - un appui à ce type de coopératives aiderait des groupes de ménages mais autonomiserait aussi les femmes grâce à l'acquisition de compétences et à l'expansion des réseaux sociaux/professionnels, à un revenu personnel, et non des moindres, à la confiance dans leur capacité à agir indépendamment.

Intégration de la jeunesse à la vie économique et politique
La jeunesse peut s'avérer un atout important pour le Maroc - si le Gouvernement peut réussir à poursuivre son but déclaré d'adopter des politiques axées sur les jeunes visant à améliorer la qualité de l'éducation et sa pertinence pour le marché de l'emploi, améliorer les moyens d'existence des jeunes, en particulier ceux du milieu rural, développer des activités de loisir et autres activités ciblées sur les jeunes, et éliminer les barrières à une plus grande participation des jeunes en tant que citoyens. Créer un environnement plus propice aux petites entreprises, développer la portée des associations rurales de microcrédit, et intensifier la formation déjà
dispensée par certaines associations de microcrédit, pourraient contribuer à élargir les opportunités économiques.

Banque Mondiale : SE SOUSTRAIRE A LA PAUVRETE AU MAROC