Maroc : Les juges étranglent la presse indépendante.
Rabat condamne le journal Al Massae à payer 700 000 dollars
la Cour d'Appel de Rabat vient de confirmer le jugement rendu en première instance contre le quotidien Al Massae , le plus fort tirage du Maroc, à payer des dommages et intérêts de six millions de dirhams au profit de quatre substituts du procureur du roi à Ksar El Kbir.
Le même tribunal a également condamné M. Rachid Niny, directeur de publication du quotidien Al Massae, à payer une amende de 120.000 DH à la trésorerie générale du royaume pour ce que le tribunal a qualifié de diffamation des quatre magistrats. En novembre dernier, l'article incriminé n'a pourtant évoqué que l'implication d'un seul substitut du procureur, sans même le nommer.
Le montant des dommages et intérêts de 6 millions de dirhams infligés au quotidien Al Massae constitue une première dans l'histoire des poursuites judiciaires contre la presse. C'est également une condamnation à mort du journal le plus diffusé au Maroc.
Le contenu dérange
Au Maroc, les juges ne s'assurent pas que les montants fixés sont proportionnels aux préjudices réellement subis et la possibilité de compensations non financières telles que la publication de rectificatifs ne fait pas partie des traditions judiciaires.
Au cours de ces dernières années on a assisté à l'émergence d'une nouvelle presse qui échappe au contrôle des partis politiques traditionnels et au pouvoir. Une presse critique et analytique qui rencontre un franc succès auprès du public marocain.
Les journalistes de la presse indépendante sont parmi les meilleurs journalistes au Maroc. Ils ont contribué par leur culture, par leur ouverture d'esprit, par leur pragmatisme et par leurs convictions à décloisonner l'espace médiatique marocain et à bousculer l'immobilisme et les taboues.
Quoiqu'on n'approuve pas toujours leurs points de vue ou leurs éditoriaux, c'est en lisant cette presse que le lecteur découvre que le Maroc a véritablement changé. C'est une véritable baromètre de la liberté de la presse au Maroc.
Paradoxalement, d'un coté, les autorités marocaines n'hésitent pas à brandir à l'opinion publique internationale le contenu de cette presse indépendante pour souligner les progrès enregistrés au niveau des libertés d'expression sous l'ère du roi Mohamed 5, et de l'autre coté, les mêmes acteurs n'hésitent pas exploiter toutes les occasions et tous les prétextes pour l'étouffer.
Le dénominateur commun de cette presse dite indépendant est l'esprit et l'analyse critiques et la décortication de la société marocaine sur les plans économique social et politique. Tous les sujets sont abordés : les contradictions et l'incapacité des gouvernements successifs, le protocole moyenâgeux du Palais, la corruption des institutions, les détournements et l'impunité des auteurs, des tortionnaires de l'ère de Hassan 2, le clientélisme, les injustices et inégalités sociales, la mainmise des trafiquants de drogue sur certains secteurs de l'économie, la spéculation immobilière, la prostitution…bref tous les maux dont souffre la société marocaine.
Nouvelle arme pour anéantir la presse indépendante
Les autorités marocaines ne tombent plus dans les pièges de la censure de journaux ou de son interdiction de qui peuvent déclencher des réactions internationales et ternir inutilement leur image de pays démocratique.
Pour étrangler la presse indépendante, les autorités marocaines exploitent le flou du code de la presse et recourent au tribunaux pour la façade légale. Les nouveaux instruments sont : condamnation à payer de fortes amendes, et peine d'emprisonnement.
Selon Human Rights Watch , Les poursuites qui ont eu lieu récemment montrent que les autorités marocaines utilisent le Code de la presse pour restreindre la liberté d'expression..Cette cascade de peines d'emprisonnement avec sursis et de lourdes amendes risque d'avoir des conséquences néfastes pour la presse indépendante.
La Fédération Internationale des Droits de l'Homme, FIDH, a souligné que plusieurs dispositions du Code de la presse constituent des entraves juridiques majeures à la liberté d'expression et de presse telle que garantie par les instruments internationaux ratifiés par le Maroc
En effet, le Code de la presse marocain prévoit un arsenal d'outils répressifs, notamment des peines d'emprisonnement pour des délits d'expression vaguement définis, comme par exemple " porter atteinte " au régime monarchique, à l'Islam ou à " l'intégrité territoriale " du pays, " offenser " le roi ou des chefs d'Etat étrangers, ou encore " outrager " des diplomates étrangers. Les juges peuvent également envoyer les journalistes en prison pour diffamation ou pour avoir publié des nouvelles fausses " qui troublent l'ordre public ".
Ainsi, les journalistes récalcitrants peuvent à tout moment être traînés à tour de bras devant un simulacre de justice et jetés en prison ou condamnés à verser des montants de dommages et intérêts tellement exorbitants, ce qui revient à mettre en faillite le journal sans passer par une décision d'interdiction.
En 2007, le " Le Journal hebdo" avait présenté un dossier sur " les 60 personnalités qui défont le Maroc " touchant tout le cercle du pouvoir. Le rédacteur en Chef du journal, Boubker Jamai, a été condamné pour diffamation à verser le montant record de 3,1 millions de dirhams (356 500 $) au terme d'un procès inéquitable. La cour a estimé que Le Journal avait diffamé le European Strategic Intelligence and Security Center, un centre de réflexion basé à Bruxelles, en qualifiant le rapport sur le Sahara Occidental publié par ce Centre de non objectif. Mr. Boubker Jamai a dû démissionner de son poste de pour " sauver Le Journal " et sa petite famille et a annoncé son départ pour l'étranger.
Il y a eu le cas du directeur de publication des hebdomadaires Demain magazine (francophone) et Doumane (arabophone), le journaliste Ali Lamrabet qui a été condamné en 2005 à 10 ans d'interdiction d'exercer le métier de journaliste au Maroc. Ali Lamrabet a été condamné en 2003, à 3 ans de prison et l'interdiction de ses deux publications pour " outrage à la personne du roi ", " atteinte au régime monarchique " et à " l'intégrité territoriale du Royaume ". Après 7 mois d'emprisonnement, il a été gracié par le roi Mohammed VI.
En 2006, la cour d'appel de Casablanca a confirmé la condamnation au paiement d'une amende à l'encontre de l'hebdomadaire al-Machâal (Le Flambeau), ainsi que la peine d'un an de prison avec sursis à l'encontre de son directeur, pour avoir " insulté " un chef d'état étranger, le président algérien Abdelaziz Bouteflika.
Il y a eu une série de condamnations de l'hebdomadaire Tel Quel à verser des amendes démesurément exagérées.
En 2007, suite à la publication le 14 juillet 2007 par l'hebdomadaire " Al-Watan al-an " d'un dossier intitulé " les rapports secrets derrière l'état d'alerte au Maroc " , le Tribunal de première instance de Casablanca a estimé qu'il s'agit de " documents confidentiels de nature à porter atteinte à l'ordre public " et a condamné Mustafa Hormat Allah, journaliste de l'hebdomadaire et de Abderrahim Ariri, Directeur de ce journal, à respectivement huit mois de prison ferme et six mois de prison avec sursis et au paiement d'une amende de 1000 dirhams (90 euros), chacun.
Le 4 août 2007, suite à la publication d'un dossier intitulé " Le sexe dans la culture islamique ", l'hebdomadaire Nichane a été saisi pour " manquement au respect dû à la personne du Roi " et " expressions contraires à la morale " et de critiques du discours prononcé par le Roi, le 30 juillet 2007.
Le même jour, selon la Fidh, " le Ministre de l'Intérieur a ordonné la saisie de l'hebdomadaire Tel quel pour " non-respect du Roi ". Ahmed Benchemsi, directeur de ces deux journaux, est comparu devant la justice pour " manquement au respect dû à la personne du Roi. Il risque trois à cinq ans de prison.
Le journal al-Ayyam (" Les jours ") a été condamné par un tribunal de première instance pour avoir publié de " fausses informations " dans un article portant sur le harem royal sous les monarques marocains antérieurs.
L'hebdomadaire al-Ousbou`iyya al-Jadida (" Le nouvel hebdomadaire ") a été jugé pour avoir " porté atteinte à la monarchie " lors de la publication d'une interview dans laquelle Nadia Yassine, une islamiste marocaine également poursuivie pour le même chef d'accusation, avait déclaré que la monarchie ne convenait guère au pays.
Dans tous ces cas il s'agit de journaux et de journalistes laïcs, démocrates, qui ont cru que l'ère de la répression est revoulue et osent dénoncer les dysfonctionnements au sein de la société marocaine.
Hélas, la répression est toujours présente et ne frappe pas que les islamistes ou les pseudo-islamistes. Tous ceux qui adoptent un ton différent de celui des béni oui oui risquent la foudre des lobby qui bloquent le changement.
La justice corrompue se réveille brusquement de son amnésie pour s'abattre sur les démocrates alors que les trafiquants de drogue, les corrompus et tous ceux qui ont ruiné le pays pendant 50 ans vivent dans l'impunité générale (les affaires du CIH, CNSS, BP..etc).
La condamnation de journal AL MASSAE fait partie de cette stratégie qui consiste à étouffer toute voix qui ne chante pas la chanson du " tout va bien dans le royaume de mille et une merveilles ".
" Depuis une décennie, le Maroc a fait des progrès en matière de liberté de la presse ", a souligné Human Rights Watch " Mais les récentes poursuites montrent que, tant que le Code de la presse n'est pas réformé et que les juges ne reconnaissent pas pleinement le droit à la liberté de la presse, le gouvernement peut restreindre cette liberté comme bon lui semble. "
Il existe aujourd'hui au Maroc une classe, composée de rentiers, de féodaux, de profiteurs, d'exploiteurs, de corrompus, de réactionnaires, d'opportunistes, de spéculateurs et de trafiquants, déterminée à étouffer toutes les critiques et écraser tous les contestataires pour préserver ses privilèges qu'elle a consolidé depuis 40 ans.
C'est cette classe qui est responsable des injustices et disparités sociales criantes au sein de la société marocaine.
C'est cette classe qui domine l'économie, la finance, la distribution, l'immobilier et monopolise des secteurs économiques entiers sans partage.
Hatimi