Affaire Sarkozy : Le regard de la presse internationale !

Affaire Sarkozy : Le regard de la presse internationale !

Nicolas Sarkozy ©AFP
Nicolas Sarkozy ©AFP
Mardi 1er juillet 2014, une voiture noire aux vitres fumées s'immobilise devant la brigade anticorruption de Nanterre. 

En descend Nicolas Sarkozy. Ce n'est pas la première fois que son nom est cité devant la justice, mais c'est la première fois qu'en France, qu'un ancien président de la République est mis en garde à vue puis mis en examen depuis mercredi 2 juillet au matin. Survivra-t-il à cette nouvelle embûche ? 

Dans un pays comme l'Allemagne, intraitable face aux mensonges de ses dirigeants, ou encore en Scandinavie, c'en serait fait de sa carrière politique. Les États du Sud de l'Europe, eux, sont plus enclins à fermer les yeux sur les faux pas. 
Entre les deux, où se situe la France sur l'échelle européenne de la moralité politique ?

La spectaculaire mise en garde à vue de l'ancien président est liée à l'affaire Bettencourt : Nicolas Sarkozy aurait tenté de savoir, auprès d'un haut magistrat de la Cour de cassation, si ses agendas, avec ses rendez-vous et notes personnelles, seraient versés au dossier d’enquête sur le financement de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007. 
Les enquêteurs veulent aussi savoir s'il avait été informé de son placement sur écoute dans l'enquête sur les accusations de financement de sa campagne par la Libye de Mouammar Kadhafi

Au bout de quinze heures de garde à vue, Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour « corruption, trafic d'influence  et violation du secret professionnel ». Il encourt jusqu'à dix ans de prison. 

Cet épisode est un nouveau coup de canif dans le capital confiance de celui qui amorçait un retour dans l'arène politique à l'horizon 2015, en vue de la prochaine élection présidentielle, même si « Être mis en examen n'est pas être condamné », comme le déclarait le député Daniel Fasquelle ce mardi 1er juillet au matin à nos confrère de France Inter. D'autres, déjà, prennent des distances à la mesure du malaise qui grandit dans les rangs de l'UMP : « Cet homme ne résume pas la vie politique de l'UMP », annonçait sans ambages un autre député, Daniel Mariton.

La mise en cause de Nicolas Sarkozy évoque aussi celle d'autres personnalités politiques dans d'autres pays, de Silvio Berlusconi, longtemps indéboulonnable malgré toutes sortes de poursuites judiciaires, aux anciens ministres allemands Annette Schavan et Karl-Theodor zu Guttenberg, démissionnaires dès les premières accusations de plagiat. 

Matteo Renzi ©Photo FILIPPO MONTEFORTE, AFP
 Matteo Renzi ©Photo FILIPPO MONTEFORTE, AFP 
Un système en question
Dans les réactions de Nicolas Sarkozy et de Silvio Berlusconi, les similitudes sautent aux yeux. Pour l'un comme pour l'autre, pas question d'admettre le moindre tort  : « Tous deux jouent la carte de la victimisation et crient au complot, note Anna Merlo Ponti, correspondante à Paris du quotidien italien Il ManifestoMais s'ils gardent un poids électoral, ils n'ont plus le pouvoir et sont devenus vulnérables. Dans ces conditions, leur stratégie de défense risque fort de tomber à plat. »

En Italie, l'éthique ne fait pas toujours le poids face au calcul électoral. Forza Italia, le parti de l'ancien Cavaliere, a encore la côte. Alors sur les réformes institutionnellesen cours, le Premier ministre italien Matteo Renzi continue de négocier avec Berlusconi et son groupe. Il est vrai que dans la péninsule, on ne compte plus les dirigeants et les hommes politiques condamnés. C'est tout le système qui est en question. « La première opération main propre (dans les années 1990, ndlr) a balayé tout l'ancien système, et la Démocratie chrétienne a entraîné le Parti communiste dans sa chute. 


Puis une nouvelle génération a fondé le Parti démocrate actuellement au pouvoir. Aujourd'hui, une nouvelle opération main propre est en cours pour solder les années Berlusconi, explique Anna Merlo Ponti. En Italie, on a touché le fond ! » conclut-elle. Alors qu'à côté de manœuvres d'une telle ampleur, des individus sont pris ponctuellement en défaut. 

Bård Hoksrud, un député du Parti du progrès norvégien en ocotbre 2010 ©creative commons
 Bård Hoksrud, un député du Parti du progrès norvégien en ocotbre 2010 ©creative commons 
Tolérance ?

La Scandinavie ou l'Allemagne, en revanche, ne jouent pas dans la même cour. Dans ces pays du Nord, à la culture luthérienne, il serait très difficile de revenir sur le devant de la scène politique après une affaire comme le dossier Bettencourt et ses ramifications. « Les scandales financiers et de corruption font ici plus de morts que de vivants », explique Vibeke Knoop Rachline, correspondante du quotidien norvégien Aftenposten. Et de citer l'exemple de Terje RØd Larsen, ancien ministre norvégien du Plan, qui fut aussi l'un des négociateurs des accords d'Oslo, contraint de démissionner après la révélation du scandale Fideco : grâce à un délit d'initié, il avait réalisé 600 000 couronnes de bénéfices. 


Encore actif sur le plan international, il n'a plus aucune chance en Norvège. Quant à Victor Norman, ancien ministre du Travail, il s'est vu reprocher d'avoir acheté un piano avec les deniers publics. Sa carrière politique est terminée.

« Nous sommes très à cheval sur les principes de crédibilité et d'honnêteté, explique Vibeke Knoop Rachline. Nous exigeons de nos dirigeants politiques, comme de tout le monde, d'ailleurs, qu'ils soient incorruptibles et irréprochables sur le plan financier. Jamais un journaliste ne pourrait envisager d'accepter un voyage payé par un tiers, par exemple.  » Certains, pourtant, semblent avoir eu droit à l'erreur, comme Bård Hoksrud, un député du Parti du progrès surpris sortant d'un bordel à Riga, en Lettonie, alors que les clients de prostituées sont pénalisés par la loi norvégienne, dans le pays, mais aussi à l'étranger. « Le scandale a été retentissant, mais il est revenu en politique », constate la correspondante.

L'influence de la religion jouerait-elle son rôle dans la tolérance d'un pays face aux abus de ses dirigeants ? En Europe du Nord, protestante et luthérienne, droiture et transparence sont les mots d'ordre. En revanche, dans les pays catholiques, où l'Eglise n'a pas toujours donné le bon exemple, les frontières entre l'acceptable et l'intolérable sont plus floues, suggère Anna Merlo Ponti : « L'influence du Vatican a longtemps été perceptible sur la Démocratie chrétienne et le pouvoir, à Rome. Or aujourd'hui, le jésuite argentin - surtout jésuite – (le pape François, ndlr) est en train de faire le ménage en remuant d'énormes scandales financiers. Cela aide le gouvernement italien à s'affranchir de liens délétères et du mélange des genres, surtout en matière de finances. » 

Silvio Berlusconi ©AFP
 Silvio Berlusconi ©AFP 
Pour l'exemple.
De façon plus pragmatique, l'Union européenne peut-elle influencer la moralisation de la classe dirigeante dans les pays où la corruption mine la vie politique ? « Berlusconi et ses acolytes étaient parfaitement imperméables à l'exemple européen, témoigne Anna Maria Merlo Ponti. Mais la nouvelle génération, avec les grands travaux publics, comme l'exposition universelle 2015, à Milan, manifeste, elle, une vraie volonté de tourner la page. »

Vibeke Knoop-Rachline, elle, croit aux vertus de l'exemple : « Je pense que quelque chose est en train de changer ces dernières années en France, affirme-t-elle. 

Les parlementaires doivent désormais publier une déclaration de leur patrimoine. 
Des Cahuzac, et peut-être maintenant Sarkozy, ça ne passera plus. » 

Tour d'horizon des Unes de la presse internationale

Aujourd'hui Sarkozy risque jusqu'à dix ans de prison ferme.


Avant de recevoir l'ancien président, les juges d'instruction avaient mis en examen dans la soirée son avocat, Me Thierry Herzog, et le haut magistrat Gilbert Azibert.

L'ex-président était arrivé peu avant 08H00 à la direction centrale de la police judiciaire à Nanterre (DCPJ), dans la banlieue ouest de Paris, non loin de son ancien fief de Neuilly-sur-Seine.

Après environ 15 heures de garde à vue dans les locaux de l'office anti-corruption (Oclciff) - une première pour un ancien chef de l'Etat - il a été conduit au pôle financier du tribunal de Paris pour y être présenté aux juges.

Celles-ci l'ont mis en examen pour recel de violation du secret professionnel, corruption et trafic d'influence actifs, a précisé le parquet dans un communiqué à l'AFP. Il n'est pas soumis à un contrôle judiciaire.

La corruption et le trafic d'influence sont des délits passibles de peines pouvant aller jusqu'à dix ans de prison.

Ces développements judiciaires interviennent au moment où les rumeurs sur sa volonté de prendre à l'automne la tête du parti de droite UMP se font de plus en plus précises. Si quelques sarkozystes avaient dénoncé dans la journée son placement en garde à vue, aucun ténor de droite n'est monté au créneau pour le défendre.


L'affaire libyenne commence en mars 2011. Sept mois avant la mort du Guide suprême de la Jamahiriya arabe libyenne, le colonel Mouammar Kadhafi, un de ses fils, Seif al-Islam, lance une accusation grave : «Il faut que Sarkozy rende l'argent.» Sans apporter la moindre preuve, il laisse ainsi entendre que son père a financé la campagne électorale présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. En contrepartie de cet argent, la France aurait normalisé ses relations diplomatiques avec la Libye en invitant le colonel en grande pompe à Paris en décembre 2007. On se souvient d'ailleurs de son poing levé dans la cour de l'Élysée et de sa tente plantée dans les jardins de l'Hôtel de Marigny…

Un deal à 50 millions d'euros ?

Après 2007, le vent démocratique du printemps arabe a soufflé sur le Maghreb. Un vent que le colonel réprime dans le sang en Cyrénaïque. En mars 2011, Paris reconnaît l'opposition au régime du colonel comme son seul partenaire… 
La guerre civile fait rage. Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité de l'ONU avec un fort appui de la France vote la résolution 1973 autorisant le recours à la force contre les troupes gouvernementales libyennes. Le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi prend la fuite, son convoi tombe dans une embuscade. Capturé vivant, il sera annoncé mort quelques heures plus tard.
Un an après, l'affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ressurgit. Mediapart publie une note attribuée à l'ex-chef des renseignements libyens, Moussa Kousa, parlant d'un financement de 50 millions d'euros. Il évoque des réunions préparatoires avec Brice Hortefeux, fidèle lieutenant de Nicolas Sarkozy, et l'intermédiaire Ziad Takieddine (mis en examen dans l'affaire Karachi, une autre affaire de financement occulte, cette fois de la campagne d'Édouard Balladur en 1995). Le document est un faux, selon Nicolas Sarkozy dont la plainte s'est soldée par un non-lieu (il s'est pourvu en cassation).

Des millions, un coffre et des tableaux. ....

L'ex-directeur de cabinet de Kadhafi dément être le destinataire de la note. Mais au fil du temps, plusieurs personnages clés évoquent des versements : l'ex-chef des services secrets libyens, un avocat de l'ex-Premier ministre, l'ex-interprète de Kadhafi, un cousin du dictateur ou encore la responsable des «Amazones», ces femmes militaires qui suivaient le Guide partout. Les juges saisissent par ailleurs les carnets de Choukri Ghanem, ex-ministre du Pétrole, qui mentionnent trois paiements en 2007. Mais celui qui aurait pu être un témoin à charge est retrouvé noyé dans le Danube en avril 2012…
C'est à ce moment qu'intervient un personnage important du dossier : l'intermédiaire Ziad Takieddine. En avril 2013, ce Franco-libanais évoque un financement libyen et assure qu'il existe «des preuves» sans en donner aucune. Il est mis en examen. Alors que les enquêteurs sont toujours sur la piste des millions libyens, le Canard enchaîné dévoile que Claude Guéant, ex-directeur de cabinet du ministre Sarkozy avant 2007 puis tout-puissant secrétaire général de l'Élysée ensuite, a reçu des versements pour 500 000 € en provenance de la société d'un avocat malaisien en mars 2008, et qu'il a aussi loué un grand coffre-fort à la BNP Opéra à Paris. 
L'éminence grise de Nicolas Sarkozy se justifie : les 500 000 € correspondent à la vente de tableaux et le coffre servait à contenir des archives… Claude Guéant sera mis en examen pour «faux», «usage de faux» et «blanchiment de fraude fiscale en bande organisée». Ses bien immobiliers seront saisis en 2017.
Comme une pelote, les enquêteurs remontent le fil des 500 000 € : l'avocat a perçu une somme identique d'un homme d'affaires saoudien, et le banquier qui a effectué cette transaction est en lien avec… Bachir Saleh, le grand argentier de Kadhafi et un homme d'affaires sulfureux, Alexandre Djouri, proche des sarkozystes. 
Djouri, soupçonné d'avoir réalisé le montage financier du financement, apparaît par ailleurs dans une transaction suspecte avec la Libye – la vente d'une villa de Mougins (Alpes-Maritimes) en 2009 – ainsi que dans l'exfiltration hors de France vers le Niger d'un personnage déjà bien connu : Bachir Saleh

La galaxie des personnages s'agrandit

Le 27 septembre 2017, le carnet d'un ex-dignitaire libyen mentionne trois versements en 2007 pour au moins 6,5 millions d'euros.


Le sulfureux Ziad Takieddine fait reparler de lui deux mois plus tard le 15 novembre. 
Cinq jours avant la primaire des «Républicains» à laquelle participe Nicolas Sarkozy, il affirme avoir transporté, en trois fois, 5 millions d'euros entre Tripoli et Paris. 
Il dit avoir été reçu à plusieurs reprises au ministère de l'Intérieur entre novembre 2006 et janvier 2007, deux fois par le directeur de cabinet Claude Guéant et une fois par le ministre Nicolas Sarkozy. Ce dernier a toujours démenti ces rencontres. Interrogé par David Pujadas, lors d'un débat télévisé, Sarkozy lâche, le regard noir, «Vous n'avez pas honte ?»
Depuis, les investigations de l'affaire libyenne se poursuivent : Alexandre Djouri a été arrêté à Londres le 8 janvier dernier. Incarcéré, il pourrait être extradé d'ici juillet. 
Quant à Bachir Saleh, exilé en Afrique du Sud, il a été blessé par balles le 25 février dernier…



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