Ce n’est pas le froid qui tue … c’est l’indifférence.

Ce n’est pas le froid qui tue … c’est l’indifférence.

Le premier week-end prolongé, on accourt vers « la Suisse marocaine » du Moyen Atlas ou « la Montagne des montagnes » du Haut Atlas pour savourer les plaisirs du ski avec ses boules de neige qui s’abattent sur nous et ses fous rires qu’on se presse de capturer pour immortaliser des moments éphémères, sous ce froid sec et vivifiant avant de prendre le chemin du retour, non sans regret, vers le tintamarre de la ville.
Mais, l’image complète n’est pas là. C’est Un Maroc, Un temps, Deux vitesses et une réalité amère.
Juste à quelques mètres de ce Maroc joyeux et festif, un autre Maroc « inutile » parce que reclus et exclu. Un Maroc marginalisé et mis en quarantaine. Un Maroc fragile et démuni qui tremble et grelotte sous la cruauté de la nature accentuée par l’indifférence humaine.

Seuls au monde

La saison hivernale s’est bel et bien installée et avec elle des temps rigoureux, impitoyables et sans miséricorde pour les populations enclavées, manquant des équipements élémentaires et écartées du monde dès les premières neiges, notamment dans le Haut et Moyen-Atlas.
Si le drame d’Anfgou est tapi dans les arcanes de la mémoire des plus sensibles d’entre nous, aujourd’hui, Anfgou s’étend pour atteindre toutes les régions montagneuses ou presque. Là où la misère a bien des visages, là où le bois vaut de l’or au moment où le pillage des forêts se fait au su de tous dans ces chaînes de montagnes qui se referment sur ses habitants les isolant du monde.
A chaque hiver, ce sont les mêmes images qui reviennent. Cette année encore, et comme toutes les autres d’ailleurs, les routes sont souvent coupées surtout que l’épaisseur de la neige a atteint plus d’un mètre dans certaines régions méconnues de la météo nationale. Si la neige apporte ses joies et ses plaisirs à certains, pour d’autres Marocains le gouffre de la Géhenne s’ouvre  car ils n’ont que le droit de survivre en manquant des droits les plus élémentaires d’une vie décente et digne. Pendant cette période de l’année, et comme toutes les années d’ailleurs, les tuyaux d’adduction d’eau potable explosent sous la pression de la gelée. Se procurer des denrées alimentaires ou une butane à gaz devient alors un périple insurmontable parce qu’aucun moyens de transport ne peut s’y aventurer.
Pour ces Marocains de seconde zone, le bois devient plus vital que le pain et la pauvreté s’allie au froid pour accentuer davantage la misère et la détresse déjà à son summum.
Pour tenir dans ce temps sibérien tel des lames tranchantes, il faut que les poêles maintiennent un minimum de chaleur dans des foyers misérables où les conditions sont inhumaines. Or le bois n’est pas accessible aux habitants dont les moyens sont trop limités et qui doivent en procurer, au moins, trois à quatre tonnes à raison de mille six-cents à 2000 dirhams la tonne. Se chauffer ou s’éclairer devient alors chimère des temps de misère pour ces gens qui n’ont que le droit de survivre. Froid, misère et solitude se liguent donc pour faire de leur quotidien un combat acharné contre la rigueur du climat, la rudesse de la nature et l’impassibilité des dirigeants.

Les hivers se suivent et se ressemblent pour les enclavés

Oui, encore pendant cet hiver, comme tous les autres d’ailleurs, les zones montagneuses sont cruellement agressées par l’offensive brutale du froid glacial et l’isolement, comme pour accentuer la détresse et la misère de cette population foudroyée par le mauvais legs : celui d’être née dans un carré de la terre sans couleurs et sans fards.
Coupures d’électricité, routes impraticables, l’approvisionnement et le ravitaillement en produits  de première nécessité devient impossible et  sont le lot des nécessiteux enclavés acculés à payer pour être issus de zones « inutiles ». Du Rif au Grand Atlas en passant par le Moyen-Atlas, la précarité est le destin de ces habitants de l’arrière plan qui luttent pour subvenir aux exigences de l’hiver et ce n’est que lorsque les instructions royales tombent qu’élus, autorités locales, gouvernement, se rappellent de ces concitoyens oubliés et accourent en secouristes de service.
Or force est de rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une vague de froid ou de tempêtes de neiges passagères. Chaque année, c’est le même calvaire pour ces régions exclues par cet isolement forcé rendu encore insupportable par l’impraticabilité des pistes et des routes quand elles existent. Leur misère s’accentue sous la morsure du froid. Ils n’ont que le droit de prier que la maladie ne s’invite ou qu’une détresse respiratoire d’un nouveau-né qui aurait mal choisi le temps de venir au monde ou encore une complication ne survienne lors d’un accouchement « mal programmé ».

Que fait l’Etat pour aider les enclavés ?

La misère ne se gère pas selon le froid. C’est un combat de toute l’année au lieu de faire dans l’urgence.
Il est vrai que la Fondation Mohammed V pour la Solidarité oeuvre, sur instructions royales,  dans le cadre de son programme d’interventions humanitaires de l’Opération Grand froid-hiver 2018. Il est vrai que des milliers de familles dans des communes rurales ont bénéficié d’un « Kit Grand Froid » composé de produits alimentaires (farine, riz, sucre, thé, sel, huile et lait) et de couvertures. Mais tous les foyers n’ont pas cette chance bien que les dons ne couvrent que quelques jours. Et ce n’est que lorsque les routes sont coupées que les directions provinciales de l’équipement s’attellent à l’aménagement des routes à risque sur lesquelles les responsables pouvaient se pencher bien avant. Normal, les plans d’urgence annoncés à la dernière minute pour atténuer la catastrophe par le ministère de l’Intérieur secouent les autorités locales qui dans leur empressement se donnent l’impression de travailler. Malheureusement, le déploiement des caravanes médicales, des hôpitaux mobiles et des aides alimentaires n’est qu’une solution provisoire qui ne touchent pas toutes les zones et fait même naître un sentiment de dénigrement de la part des lésés.
Par ailleurs, les walis et les gouverneurs ont reçu des instructions pour installer un comité de veille et de suivi de la situation sur le terrain, en coordination avec les autorités concernées. Les responsables ont également pour objectif de réactiver les postes de commandement provinciaux en partenariat avec le ministère de l’Équipement et des transports, le ministère de la Santé, la Gendarmerie royale et la Protection civile. L’intervention rapide prend alors toute sa dimension.
Et c’est là que l’élan de solidarité humanitaire se manifeste plus que jamais. Des associations et bénévoles s’activent pour récolter et faire parvenir le plus de dons possibles, des denrées alimentaires, des vêtements et couvertures qui sont distribués aux villageois afin de leur apporter le soutien dont ils ont besoin. Or ces opérations humanitaires sont parfois refusées et interdites par les gouverneurs pour des raisons sécuritaires bien qu’on n’offre aucune sécurité à ces misérables donnés en pâture au froid et à la misère.
Pourtant, les images impitoyables de la bousculade de Sidi Boulaalam qui a coûté la vie à 15 femmes venues s’arracher des paniers d’aide alimentaire nous hantent encore.

Le froid s’en va mais la misère demeure

Pour que la situation des plus modestes s’améliore, encore faudrait-il s’y intéresser. Ces populations n’ont pas besoin de compassion ni de charité mais de plans d’urgence pour pallier leur précarité et pour cela la volonté des décideurs est à remettre en cause. Ceux-là mêmes élus pour gouverner le pays et faire en sorte que tous les citoyens s’y sentent bien. Mais le pouvoir leur fait oublier la détresse humaine que leur confort personnel supplante. Ils dorment sur leurs lauriers et  attendent  –comme il est de coutume- que le Roi les somme de ses directives et appelle à une forte mobilisation pour qu’ils accourent apporter l’aide urgemment nécessaire aux populations en crise.
Il est vrai aussi qu’un plan national est mis en œuvre ciblant plusieurs douars mais à quand une vraie stratégie de développement de ces régions laissées pour compte ? Le gouvernement continue malheureusement à remettre à un temps indéterminé la création d’une véritable agence de développement des zones montagneuses, qui s’impose aujourd’hui plus que jamais, à l’instar de celle du Nord et des provinces du Sud. Au lieu de cela on nous rabat les oreilles avec une  régionalisation avancée qui n’est finalement pas aussi avancée que cela !
Les quelques caravanes médicales et humanitaires de circonstances n’ont qu’un effet narcotique pour les fragilisés et un faire-valoir devant l’opinion publique, puisque seuls quelques villages en bénéficient. Sauf que les problèmes structurels sont ancrés dans les racines de ces zones sinistrées qu’on ne cherche pas vraiment à sauver. On ne peut faire du développement avec quelques couvertures ou vêtements chauds octroyés sous les projecteurs. Mais cela reste des solutions d’urgence, momentanées. La question est : à quand une vraie politique de désenclavement de ces régions afin qu’elles ne soient plus isolées et exclues de leur Maroc ?
Ne faudrait-il pas plus d’engagement pour que la dignité et le droit à une vie décente pour tous soient respectés au lieu de peigner la girafe ?
Seulement, ces habitants le crient haut et fort : ce n’est pas de charité qu’ils ont besoin ! La priorité est à des routes qui fonctionnent, à des projets qui seraient au service de la population. Il faut que le gouvernement lance, au plus vite, un plan d’urgence pour créer des infrastructures afin de désenclaver cet autre Maroc oublié du plan économique. Des « interventions rapides » devant le fait accompli ne fait changer en rien les choses puisqu’aucune anticipation ni projet de développement ne sont entrepris dans ces zones écartées qu’on oublie dès que le temps se radoucit.
Ces citoyens qui manquent de tout, ont besoin pour commencer que le bois de chauffe soit subventionné durant l’hiver. Ou pourquoi ne pas faire travailler des ouvriers de Jerada pour extraire le charbon et le distribuer avec des fours adaptés quitte à ce que l’Etat perde dans cette opération bénéfique toutefois  des citoyens qui vont travailler pendant un certain temps et à d’autres qui vont pouvoir éviter de mourir d’hypothermie ? Cela servira même à épargner les ressources forestières en substituant d’autres sources d’énergie au bois et du coup à améliorer les conditions de vie des populations rurales.
Faut-il rappeler que les provinces de la région Fès-Meknès sont ouvertes  à tous les vents et donc fortement les plus touchées par la vague de froid ? Bien que des mesures préventives aient été mises en place, certaines régions risquent d’être ensevelies, des toits risquent de s’écrouler sur des vies laissées en souffrance. Et dire qu’à plein régimele président de la région qui s’est permis de se servir généreusement des deniers publics pour le luxe de ses élus ne daigne pas penser à apporter de l’aide aux citoyens démunis de la région la plus pauvre. Toutefois, on n’en fait pas grand cas.
En somme, ce qui assassine ce sont les choix politiques et économiques et même l’annonce du redoux des températures ne saurait faire oublier le nombre impressionnant de villages et de douars vivant dans des conditions de survie luttant contre la misère, le froid et la négligence des responsables irresponsables qui n’hésitent pas à ouvrir le parapluie face à leurs manquements.
« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. » Cet appel du Père Joseph Wresinski, fut inscrit le 17 octobre 1987, sur le Parvis des Libertés et des droits de l’Homme, à Paris. Or aujourd’hui, parler du désarroi de ces « citoyens » relève pour certains du lamento voire du misérabilisme.
Bien sûr, encore quelques semaines à tenir, l’hiver sera passé et la misère oubliée. Anfgou s’étend de plus en plus, faisons, avant que l’urgence ne soit dépassée, que la rage d’al-Hoceima et de Jerada n’atteignent pas les montagnes et que les enclavés, au bout du rouleau, ne jettent feu et flamme.
Sa Majesté l’a bien dit : que les responsables accomplissent leurs devoirs ou qu’ils jettent la soutane aux orties.

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