Il faut s'attendre à davantage de catastrophes liées au climat. ...
Tempêtes, inondations côtières, risques d'incendies de forêt : les événements météorologiques extrêmes en Europe seraient plus fréquents qu'il y a 5 ans... et liés au changement climatique.
Après nous avoir récemment prévenu sur l'inefficacité des solutions technologiques pour endiguer le réchauffement, le conseil consultatif des académies des sciences européennes (EASAC), un organisme qui regroupe les académies des sciences des pays de l'Union européenne plus la Norvège et la Suisse, s'intéresse aujourd'hui aux événements météorologiques extrêmes, favorisés par le changement climatique. Ce rapport, actualisant une publication de 2013, permet également d'intéressantes comparaisons sur l'évolution de la situation durant les cinq dernières années.
4 fois plus d'inondations depuis 1980
"Ce rapport a été publié car dans une perspective économique, les risques ne se situent pas seulement dans des changements dans les moyennes des variables du climat comme la température, les précipitations ou le vent", expliquent les auteurs. "Ils concernent également les changements dans leurs extrêmes."
L'élément principal de cette étude est que "les événements météorologiques extrêmes sont plus fréquents depuis 36 ans, et il y a eu un accroissement significatif des inondations et autres événements hydrologiques (orages, crues de rivière, eaux de ruissellement...) dans les cinq dernières années".
Les inondations auraient ainsi quadruplé depuis 1980 et doublé depuis 2004. Les températures extrêmes (canicules...), les tempêtes, les sécheresses et les feux de forêt ont doublé depuis 1980.
Ces situations catastrophiques ont des coûts : en Amérique du Nord, les tempêtes orageuses causaient moins de 10 milliards de dollars (8,15 milliards d'euros) de dégâts en 1980. En 2015, on se rapprochait des 20 milliards de dollars (16,29 milliards d'euros).
A l'opposé, les dommages dus aux crues de rivières en Europe n'ont pas augmenté malgré leur fréquence croissante, "ce qui indique que les mesures de protection prises ont endigué les pertes dues aux inondations". Mais globalement le rapport met en avant "un accroissement global dans la fréquence et les coûts économiques des événements extrêmes, ce qui met en relief l'importance pour la société d'adapter sa planification future pour inclure ces nouveaux extrêmes".
L'évolution des différents types de catastrophes naturelles dans le monde entre 1980 et 2016 (100% représente le niveau de 1980).
En rouge, les événements géophysiques (tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques). En vert, les événements météorologiques (tempêtes...). En bleu, les événements hydrologiques (inondations, glissements de terrain...) En jaune, les températures extrêmes, les sécheresses, les feux de forêt... (MunichRe NatCatSERVICE)
La canicule de 2003, tous les 2 ou 3 étés ?
L'actualisation du rapport confirme nombre des prévisions de 2013. Parmi les éléments les plus alarmants qui y figuraient, les canicules :
"Les vagues de chaleur en Europe devraient devenir plus fréquentes, intenses et durer plus longtemps, suivant principalement l'augmentation des températures saisonnières."
La canicule que nous avons vécue en 2003, par exemple, pourrait se répéter et même être dépassée tous les deux ou trois étés d'ici la fin du siècle.
Les précipitations sont également concernées, la montée des températures moyennes favorisant l'absorption de vapeur d'eau par l'atmosphère. Il faudrait donc s'attendre en Europe à "davantage de fortes précipitations et moins de précipitations modérées dans l'avenir." Les hivers devraient être plus humides (hors du pourtour méditerranéen) et les étés plus secs. Le nord de l'Europe sera en outre globalement plus humide et le sud plus sec.
Le nombre et l'intensité des tempêtes devraient augmenter dans le nord-ouest et le centre de l'Europe. Un accroissement de la vitesse de pointe des vents est prévu pour une zone allant du Royaume-Uni à la Pologne. Certaines de ces tempêtes "peuvent produire de fortes pluies pouvant être accompagnées de grosses chutes de grêle et par des phénomènes venteux dangereux comme les tornades ou de rafales descendantes."
Le niveau des mers lors des pics de tempêtes devrait présenter un risque encore plus important pour les villes côtières, "avec des millions de personnes et des biens évalués à plusieurs milliers de milliards d'euros exposés".
Nombre de catastrophes naturelles en Europe qui ont causé au moins un mort et/ou des dégâts entre 100.000 et 3 millions de dollars (en fonction de la richesse des pays concernés).
En rouge, les événements géophysiques (tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques). En vert, les événements météorologiques (tempêtes...). En bleu, les événements hydrologiques (inondations, glissements de terrain...) En jaune, les températures extrêmes, les sécheresses, les feux de forêt... (MunichRe NatCatSERVICE)
"Le jour d'après", c'est possible ?
Le rapport de cette année se pose également une question qui a été popularisée (et très exagérée) par le film catastrophe "le Jour d'après"en 2004 : les courants marins qui apportent de la chaleur dans les contrées tempérées de l'hémisphère nord, dont l'Europe occidentale, pourraient-ils être bouleversés par le changement climatique ?
Bien sûr, il ne s'agit pas d'évoquer un âge glaciaire s'installant en quelques minutes comme dans la production hollywoodienne, mais de savoir si le fameux Gulf Stream (ou circulation méridionale de renversement de l'océan Atlantique, AMOC en anglais) peut s'arrêter dans un futur proche et avec quelles conséquences.
"L'un des points de discussion majeurs est de savoir si le Gulf Stream va simplement décliner ou s'il pourrait complètement s'arrêter, avec des implications substantielles sur le climat du nord-ouest de l'Europe", s'interroge le rapport.
Les modèles cités divergent dans leurs conclusions, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer un arrêt complet du courant. Les modèles envisageant le pire évoquent "un refroidissement des terres au Groenland, en Islande, au Royaume-Uni et en Scandinavie qui pourrait aller jusqu'à 9 degrés."
Il y a cependant de nombreuses incertitudes, notamment sur l'influence possible de la fonte des glaciers du Groenland et son effet sur le Gulf Stream. Dans le scénario du groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (Giec) où les émissions de gaz à effet de serre sont les plus hautes, le Gulf Stream s'affaiblirait de 37% d'ici 2100, et cela pourrait descendre de 74% d'ici 2300. Mais une autre étude considérée dans le rapport estime que la fonte des glaces groenlandaises affaiblirait le courant "de manière considérable d'ici quelques dizaines d'années."
Malgré les incertitudes, le rapport de l'EASAC signale une association entre "le rapide réchauffement de l'Arctique et les événements de froid extrême plus au sud (ce qui comprend l'Europe et l'est des USA) dus à un courant-jet affaibli et plus erratique." Au final, le refroidissement (relatif) est toujours possible, sans bien sûr aller jusqu'à l'Age de glace, mais davantage d'études sont nécessaires.
Carte topographique de la circulation des courants océaniques en surface (traits pleins) et en profondeur (pointillés) qui composent une partie de la circulation méridionale de renversement de l'océan Atlantique. La couleur des traits indique les températures approximatives (R. Curry, Woods Hole Oceanographic Institution/Science/USGCRP via Wikimedia Commons)
Ce qu'il faut faire
Tout en insistant sur l'urgence de s'adapter au changement climatique, l'EASAC livre une série de recommandations pour tenter de minimiser ses effets les plus dévastateurs :
- L'information. Il est nécessaire de rechercher le plus de données possibles sur les phénomènes extrêmes et leur évolution avec le changement climatique.
- Les académies des sciences européennes appellent également au renforcement de nos connaissances sur le climat et sa surveillance. "La dissémination du savoir et l'innovation sont cruciales pour nous aider à surmonter les défis associés au changement climatique," ajoutent-ils. Il faudrait soutenir les réseaux scientifiques interdisciplinaires et améliorer les modélisations du climat, notamment à l'échelle régionale pour réduire les incertitudes et améliorer les prévisions permettant la prévention.
- De nouvelles études sont également nécessaires sur la manière dont les canicules affectent la santé humaine.
- Il est nécessaire de mettre en place des protections contre les crues et des systèmes d'alerte préventive en amont. Les bonnes pratiques devraient être partagées entre les pays européens.
- L'agriculture. "Des actions urgentes sont nécessaires pour améliorer la résistance de l'agriculture européenne" aux événements climatiques extrêmes, avertissent les scientifiques.
- Prendre en compte le facteur humain. Pour l'EASAC, "il peut y avoir de nombreuses barrières à l'adaptation, y compris physiques, techniques, psychologiques, financières, institutionnelles et au niveau de la connaissance. Pour l'adaptation au changement climatique, il est important de considérer l'éventail des facteurs qui affectent la vulnérabilité, ce qui comprend les facteurs humains, et utiliser la meilleure information possible pour contrer cette vulnérabilité".
- Reste bien sûr à freiner le plus possible le changement climatique. Là, pas de miracle : "Les risques associés ne pourront être amoindris que par des mesures d'atténuation (du changement climatique). Cela nécessite des décisions gouvernementales," concluent les scientifiques.
Tempêtes, inondations, canicules et coups de froid : de quoi parle-t-on ?
Les événements extrêmes, comme leur nom l'indique, sont des phénomènes de forte puissance et susceptibles de causer des dommages matériels ou humains. Ils sont de plusieurs types :
- les événements hydrologiques : ce terme recouvre les inondations (côtières, crues de rivières...) ainsi que les mouvements de terrain causés par la pluie comme les coulées de boue, les glissements de terrain...
- les tempêtes et autres coups de vent, caractérisées par les dégâts causés par les déplacements d'air, mais aussi souvent associés à des événements hydrologiques
- les orages, qui peuvent provoquer des dégâts importants par l'intensité de la pluie, du tonnerre et de la grêle
- les sécheresses, qui induisent un déficit en eau préjudiciable à l'approvisionnement humain, à l'agriculture et à la nature en général
- les températures extrêmes avec leurs conséquences néfastes, comme les canicules et les incendies de forêt, mais aussi les vagues de grand froid hivernal. Paradoxalement, ces dernières sont issues d'un phénomène similaire à celui qui amène les canicules estivales : des hautes pressions persistantes peuvent à la fois bloquer les nuages qui pourraient retenir une partie de la chaleur la nuit et favoriser des descentes vers le sud de flux d'air arctiques.