Peut-on accepter une idée sans être d'accord avec ?

Peut-on accepter une idée sans être d'accord avec ?

Suite aux supplications de nombreux enfants impatients j'ai pris la peine de rédiger un petit texte essayant de voir les enjeux derrière cette question qui a fait jaser dans les chaumières. Je remercie ceux qui ont joué le jeu de la pensée sans se braquer par mes remarques et commentaires parfois abrupts voire brutaux. Je dis aux autres qu'ils feront mieux la prochaine peut-être et les invite à prendre cela comme un jeu mais dont les règles apparaissent au fur et à mesure du dialogue. 
C'est un jeu que nous somme censés déjà connaitre donc je parie que les gens sont tous déjà philosophes-praticiens, comme les petits enfants avec lesquels je travaille périodiquement.
Voilà ceci constitue mes étrennes à vous qui m'inspirez, par vos raisonnements et peut-être encore plus par vos non-raisonnements. Bonne Année donc, actuels et futurs philosophes-praticiens.
Jérôme Lecoq
Une première réponse possible : non on ne peut pas car accepter signifie être d'accord. Si j'accepte une idée, j'accepte les arguments qui la soutiennent. Je fais plus que la comprendre, je l'intègre à mon schéma de pensée : cette idée me change, elle me transforme et par conséquent je m'accorde avec elle. Pensons à l'accord en termes d'harmonie comme quand on accorde une guitare ou un piano : on les règles pour que les cordes vibrent sur la bonne tonalité (les musiciens me corrigeront je pense que ce n'est pas la tonalité mais c'est secondaire).
Accepter quelqu'un par exemple c'est s'ouvrir à sa différence et c'est en quelque sorte s'accorder avec lui : si vous acceptez un étranger dans votre maison vous devrez en subir un certain inconfort, vous n'aurez plus votre intimité douillette, il faudra lui expliquer comment fonctionnent les choses. Lui devra s'adapter aux règles de la maison, vous devrez vous entendre sur un langage commun. Cela ne veut pas dire que vous allez fusionner et vous transformez en cet étranger. Non, vous devrez accorder vos violons, il faudra vous mettre d'accordEn ce sens accepter une idée c'est nécessairement, logiquement, être d'accord ou plutôt devenir d'accord avec cette idée sans pour autant perdre son esprit critique.
Cela n'a pas de sens de dire : "j'accepte ce que tu dis mais j'ai mon idée à moi"
Cela n'a pas de sens de dire : "j'accepte ce que tu dis mais j'ai mon idée à moi". C'est un semblant d'acceptation hypocrite qui masque un mépris de la différence : en faisant cela on n'accepte rien, on tolère qu'autrui reste sagement à distance et surtout qu'il ne vienne pas menacer nos idées avec les siennes toutes bizarres. Il sent un peu mauvais cet autre avec ses idées, qu'il les garde pour lui, voilà ce que semble dire cette personne. Mais pour donner à tout le monde l'idée que je suis ouvert et tolérant, je vais dire que je l'accepte : mais ce que je pense vraiment c'est que je la rejette, avec force voire avec violence.


Accepter une idée c'est donc nécessairement être d'accord.
Si vous n'êtes pas d'accord c'est que vous ne l'acceptez pas et si vous ne l'acceptez pas c'est pour une bonne raison : cela peut "heurter vos valeurs" comme on dit communément sans savoir vraiment ce que cela signifie. Et c'est là que cela devient intéressant : cela vous oblige à dire ce qu'il y a d'inacceptable pour vous, à montrer en transparence ce qui pose problème dans le raisonnement d'autrui : donc vous êtes obligé d'aller chez autrui pour voir sa maison et trouver les failles ou craquelures au plafond s'il y en a, et peut-être les trouver belles qui sait ? Cela s'appellerait changer d'avis mais c'est un tel effort, il y a tellement de gravats qu'il faudrait déplacer dans votre propre maison que cela vous paraît insurmontable.
Ou bien cela vous oblige à vous révéler : à montrer vos valeurs, vos croyances. Mais là attention danger ! tout le monde me voit, le roi est nu ! Et si on me montre que je suis en contradiction avec mes propres valeurs...là patatras, tout l'édifice s'écroule tel un château de sable et je m'effondre, je m'écroule, je me désagrège.
On voit donc le très fort enjeu à dire "je n'accepte pas" et c'est pour cela à mon avis que la plupart des gens disent qu'ils acceptent : ils ont tout simplement peur.
On voit donc le très fort enjeu à dire "je n'accepte pas" et c'est pour cela à mon avis que la plupart des gens disent qu'ils acceptent : ils ont tout simplement peur. Avec l'être humain il ne faut jamais chercher trop loin les explications ni les multiplier. Encore ce sacré rasoir d'Ockham qui vient à la rescousse (c'est un rasoir ce qui ne veut pas dire qu'il est ennuyeux).
Fort bien.
Ceci étant dit on peut aussi répondre oui à cette question. Oui on peut accepter une idée sans être d'accord avecC'est le cas lorsque l'on se soumet volontairement mais tristement je dirais à une contrainte, qu'elle soit interne ou externe. Cette contrainte peut-être la prise en compte d'un intérêt supérieur, un calcul pragmatique, une stratégie. Comme le disait une commentatrice, Marie je crois : "j'accepte l'idée que mon fils de 16 ans boive des bières parce que 'il faut bien que jeunesse se passe".
Mais là me direz-vous : "oh problème !" Car si elle dit cela alors elle est d'accord avec l'idée selon laquelle "il faut que jeunesse se passe" et elle accepte donc cette idée. Donc on pensait qu'elle acceptait l'idée que son fils boive de l'alcool sans être d'accord mais en fait en coulisse se tramait autre chose. L'idée qui a pris le pas sur l'idée que son fils boive de l'alcool c'est l'idée que l'on doit faire des concessions à la jeunesse au nom de l'éducation : sous-entendu une fois qu'il aura fait ses bêtises il en reviendra et pourra devenir un adulte responsable.
c'est un "oui c'est possible" mais qui est englobé par un "non ce n'est pas possible"
Donc en fait il semblerait que cela soit possible d'accepter une idée et de ne pas être d'accord uniquement au nom d'une idée supérieure qu'à la fois nous acceptons et avec laquelle nous sommes d'accord. Donc c'est un "oui c'est possible" mais qui est englobé par un "non ce n'est pas possible" ce qui est une situation assez bizarre à laquelle je n'avais jamais pensé.
Autre manière de répondre "oui c'est possible" fut pour de nombreuses personnes de parler de la collectivité, de la politique, du pouvoir, de la démocratie. En gros l'argument était de dire : "j'accepte la décision d'un vote de la majorité et je me plie à ses conséquences mais je ne suis pas d'accord avec cette décision.
Éventuellement je peux lutter contre cette idée (en me lançant dans l'action politique par exemple) tout en me soumettant à la décision qui a force de loi. Et comme chacun sait dura lex sed lex. Pourquoi suis-je prêt à faire cela ? Parce que j'ai accepté la démocratie et c'est un "package" que l'on doit prendre "en bloc" Mais prenons un exemple, le mariage gay, pour prendre un sujet qui ne fait pas polémique.
Si je suis contre le mariage gay, donc que je ne suis pas d’accord avec cette idée, peu importent les raisons d'ailleurs et que j'accepte que le mariage gay soit légalisé, peut-on dire que j'ai accepté l'idée du mariage gay ou que j'ai accepté de me soumettre à la loi qui régit mon pays démocratique ?
Encore une fois il semble que la question du mariage gay devienne secondaire par rapport à une autre question qui prend le dessus : est-ce que j'accepte la démocratie ? Si oui alors nécessairement je dois être d'accord avec la démocratie et d'accord avec l'ensemble des droits et devoirs qu'elle entraîné.
Mais je pense que la personne qui dit qu'elle a accepté l'idée du mariage gay sans être d'accord commet une forme de mensonge : elle n'a pas accepté l'idée et le montrera dans son comportement. Elle a accepté la démocratie. D'ailleurs certains pourront aller jusqu'à changer de démocratie lorsqu'ils n'acceptent tellement pas une idée qu'elle les pousse à ne plus accepter même l'idée de la démocratie dans laquelle ils vivent.
Pourtant en écrivant ces mots même j'ai un sentiment contradictoire : je me dis que cela fait bizarre, il y a quelque chose de gênant à dire cela, quelque chose qui me choque, qui me dérange
Donc encore là je pense que cela montre qu'accepter une idée c'est nécessairement être d'accord avec. Pourtant en écrivant ces mots même j'ai un sentiment contradictoire : je me dis que cela fait bizarre, il y a quelque chose de gênant à dire cela, quelque chose qui me choque, qui me dérange. Oui mais voila un sentiment n'est pas un argument donc pour l'instant je ne peux qu'en rester là et me déclarer impuissant et frustré : je me soumets à la raison et finalement je suis d'accord.
Vient enfin une autre idée qui m'est venue en lisant vos commentaires, chers philosophes-praticiens en devenir : et s'il y avait deux formes d'acceptation ?
Il y aurait une acceptation joyeuse, heureuse, facile et légère qui nécessairement entraînerait notre accord (et qui d'ailleurs ne laisse pas de place pour l'esprit critique car on y adhère spontanément, naturellement, c'est comme une évidence) et puis il y aurait une acceptation malheureuse, triste : on pourrait appeler cette dernière une forme de résignation voire de reddition sans conditions (car il faut soit tout accepter, soit refuser, il ne s'agit pas ici de négocier avec l'idée ni avec soi-même ce qui serait une forme de complaisance et de mensonge à soi). Le sujet voit bien la contrainte, il l'accepte parce qu'il n'a pas vraiment le choix (ou ne pas l'accepter aurait des conséquences trop néfastes pour lui ou les autres). Il se soumet, courbe l'échine mais n'est pas d'accord. Il a des arguments contre mais il ne peut simplement pas les faire valoir. Ou bien ? Pourquoi ne peut-il les faire valoir ? Peut-être qu'il les a faits valoir mais qu'ils n'ont pas convaincu. Mais encore une fois ce n'est pas l'idée qu'il accepte c'est la décision qui s'impose à lui. Donc cela semblerait montrer qu'une acceptation malheureuse est une contradiction dans les termes : pour accepter il faut une forme de joie, de légèreté, d'harmonie. Et cette harmonie c'est justement l'accord que nous recherchions.
Par conséquent on peut raisonnablement répondre non, au moins provisoirement, à cette question, en attendant que de nouveaux arguments nous fassent peut-être changer d'avis.

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Dans: Dissertation

Par jerome lecoq

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