Des réformes qui ont tué l’école
Si les réformes successives de notre système éducatif ont raté le coche à plusieurs reprises, c’est parce que, très souvent, les réformateurs se sont intéressés au contenant et ont négligé dans une large mesure le contenu. Entendre par contenant tout ce qui a un rapport avec les aspects matériels de la pratique scolaire, à savoir les salles de classe, les meubles, les supports d’enseignement, les différentes dépendances scolaires (cours de récréation, sanitaire, terrains de sport, internats, cantines, etc.)…
Quant au contenu, il se rapporte au corps de savoir véhiculé par l’école, à l’ensemble des activités qui se déroulent à l’intérieur des salles de classes: l’enseignement, l’éducation, l’apprentissage, ainsi que les personnes qui en sont les acteurs et les destinataires.
Il n’y a pas de doute, les conditions matérielles, l’ambiance, l’environnement scolaire jouent un rôle dans l’instruction et l’éducation des apprenants néophytes. Mais, études, expérience et recherches l’ont démontré, il n’y a pas de doute aussi que ce n’est pas tout, ce n’est pas l’essentiel! L’essentiel, c’est ce qui se passe à l’intérieur des salles de classes. Ce qui s’y passe est le fondement et la raison d’être de l’école. C’est dans ce contexte que sont incubés et façonnés le devenir et l’avenir des apprenants. C’est sur ce contexte que doit être focalisée l’attention de réformateurs pour le rendre efficace, prometteur et générateur de citoyens, non seulement instruits mais également et, surtout, entrepreneurs et dotés d’un esprit critique.
L’école peut échouer dans l’accomplissement de sa mission dans le meilleur des environnements. Comme elle peut réussir cette mission dans un environnement sobre, modeste, j’allais dire frugal. Si vous avez des doutes, revisitez, à travers l’histoire, toute proche de nous, l’école des années 40 et 50. Vous verrez le grand écart et la différence entre l’école « ancienne » et l’école contemporaine, dite, je ne sais pas pourquoi, moderne. D’ailleurs, sans vouloir verser dans la simplicité, mettez face à face un lauréat de l’école « ancienne » et un lauréat de l’école « moderne ». Sans surprise, ce dernier écrira « écart » sans t et peut-être sans accent. Quand au mot « différence », il sera torturé de toute part : l’accent ou l’un des « f » ou peut-être les deux vont sauter et il y a une forte probabilité que le « c » sera remplacé par un « s ». Vous me direz que ce sont là des exemples banals. Je vous répondrai que celui qui ne maîtrise pas l’orthographe, ne maîtrisera pas la construction des phrases. Tout est brouillé dans sa tête. Alors, n’attendez pas à ce qu’il communique! (communiquer est différent de parler).
Et pourtant, l’environnement matériel de l’école ancienne était plus que sobre et frugal. Quant à l’environnement scolaire à proprement parler, il fonctionnait beaucoup plus grâce à la volonté, la conviction et le sacrifice de ceux qui enseignent. Car à l’époque, la recherche dans les domaines de la pédagogie, de l’éducation, de la psychopédagogie, de la didactique, de la sociologie de l’éducation, de l’évaluation, etc. était embryonnaire, peu avancée par rapport aux progrès qu’elle réalise aujourd’hui.
Il y a là un paradoxe qui dépasse l’entendement! L’école moderne, qui baigne dans un environnement matériel sans comparaison avec celui de l’école ancienne, peine à réussir sa mission! L’école moderne, qui vit au milieu d’un énorme flux de productions scientifiques en sciences de l’éducation, vivote, fait du sur place, s’enlise dans des problèmes de tout genre, s’étouffe, je n’ai pas envie de dire, elle agonise. Depuis des décennies, réforme après réforme, d’ailleurs, beaucoup plus administratives, politico-politiciennes que réellement radicales, l’école moderne cherche sa voie, son salut. Aujourd’hui, elle la/le cherche toujours, peut-être la/le trouvera-t-elle en 2030! Espérons-le! Mais entre-temps, le ravage va continuer! Elle cherche sa voie qu’elle n’a pas trouvée des décennies durant, qu’elle ne trouve pas, ni dans son système éducatif, ni dans la société qui l’abrite,ni dans les politiques éducatives (quand elles existent en bonne et due forme)! Le paradoxe, inquiétant, va continuer!
C’est inquiétant, parce que, durant plus de six décennies, notre pays, le Maroc, a subi, subit et subira les conséquences néfastes de cette errance où personne, ni les gouvernements successifs, ni la classe politique (il vaut mieux dire classe politicardo-politicienne), ni les syndicats (il vaut lieux dire coalition contre l’école), ni l’élite intellectuelle (la vraie!) n’ont trouvé la voie idoine susceptible de faire sortir l’école de son marasme pédagogico-éducatif. Plus le temps passe, plus le marasme s’aggrave et tend vers la banqueroute, ce que personne ne souhaite.
Pour remédier à cette situation, à ce mal, qu’a-t-on fait? Tout simplement, superposer les réformes. La première, n’ayant pas réussi, au lieu de structurer, organiser, harmoniser et bouleverser les paradigmes, laisse derrière elle des séquelles indélébiles. Pour remédier à ces dernières (j’allais dire pour « camoufler »), on préconise une autre réforme, laquelle, au lieu d’apporter des solutions salvatrices et salutaires, approfondit les anciennes séquelles, tout en ajoutant d’autres problèmes et ainsi de suite. Le résultat, on le connaît : un système éducatif sclérosé enfantant une jeunesse mal formée, déformée, ni instruite ni analphabète, laissée pour compte.
A quoi est dû cet échec cuisant, compromettant l’avenir de tout un pays? A mon humble avis, toutes les réformes ont raté le coche parce qu’elles se sont intéressées à tout, sauf à l’être humain, à savoir la ressource humaine et à sa qualification qui constituent la pierre angulaire et le pivot de la réussite de la mission de l’école. Une ressource humaine vue comme une composante d’une nation ou d’une patrie qui prône le bien communautaire et non pas comme l’un des rouages d’un ensemble mécanique discordant et incohérent.
Pour bien comprendre cette déplorable lacune des réformes du système éducatif, essayons de comprendre pourquoi l’école ancienne a réussi sa mission! Comme déjà signalé, cette école était pauvre en moyens matériels et techniques, mais riche en humanisme. L’élément humain, enseignant et apprenant, était au centre de sa mission. L’enseignant est avant tout un citoyen et un patriote, imbu de civisme, qui croit fermement à sa fonction et à son rôle à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. Un enseignant qui, en lui-même, est une valeur très appréciée par la société. A l’intérieur de la classe, il était instructeur et éducateur mais combien attentif à chacun de ses apprenants. Il était un vecteur de valeurs, l’exemple à suivre. La classe était vécue comme une famille dont il présidait à la destinée. Il se souciait de la réussite de chacun de ses membres. Quand il sévissait, ce n’est pas par despotisme, excès d’autoritarisme ou par vengeance. Punir et même châtier corporellement sont considérés par l’enseignant et même par la société comme des moyens qui témoignent de son insistance à voir ses apprenants réussir. Bref, l’école, les enseignants et les apprenants formaient une communauté animée par le désir de voir tout le monde réussir, l’école, sa mission, les enseignants, leur fonction et les apprenants, leur scolarité. La réussite, la formation des futurs citoyens et leur éducation étaient le fil conducteur de la coexistence des uns et des autres, une finalité noble à atteindre collectivement, voire une complicité volontaire.
Aujourd’hui, l’école a perdu cet esprit communautaire. Elle n’est plus qu’un lieu sans vie, sans enjeu, sans chaleur humaine, sans affectivité. Des murs et des meubles qui ne signifient pas grand-chose ni pour l’enseignant ni pour les apprenants. Des murs et des meubles qui, autrefois, malgré leur sobriété, participaient implicitement au succès de la mission de l’école. Quand à l’enseignant, il n’est plus qu’une machine dont la tâche se réduit au déplacement des connaissances des manuels scolaires vers les apprenants, d’une manière sèche, mécanique, j’allai dire industrielle. Les apprenants, eux, ne sont plus que des individus impersonnels, dans le meilleur des cas, ils sont là pour subir un enseignement sans ancrage social, un enseignement fait pour la survie de l’école. Un enseignement dont les apprenants ne sont plus les heureux bénéficiaires mais les victimes produites en série. Bref, l’école n’est plus qu’un assemblage d’individus qui fonctionnent dans un système insipide, incolore et inodore. Un amalgame d’enseignants bien formés, formés sur le tas, formés superficiellement, non formés. Des apprenants qui, à peine, savent pourquoi ils fréquentent l’école sauf pour une frange qui cherche la réussite mais sans fournir d’efforts, en fraudant. On a l’impression que l’école n’a plus de toile de fond, ce ciment qui, autrefois, soudait ses composantes et y injectait la sève de l’espérance, de l’aspiration, de la bonne promesse, de la projection dans un lendemain meilleur. L’école s’est déshumanisée et, en se déshumanisant, a sombré dans l’indifférence, l’insouciance voire le scepticisme. Un lieu d’industrialisation de l’enseignement et de l’apprentissage, un lieu de formatage uniforme des crânes. Tout simplement, l’école est en pleine dérive.
Il est temps que l’école retrouve sa place dans la société, se décarcasse, se replonge dans l’humanisme, se revivifie, se préoccupe, non pas de sa survie, mais du devenir, de la métamorphose et du développement social et intellectuel de celles et ceux qui la fréquentent. Sortir de son modèle de production en série de rejetons étrangers à leur environnement social et économique.
En fait, l’école doit changer de paradigme, c’est-à-dire d’anatomie et de physiologie. L’école, en quelque sorte, doit s’assimiler à un organisme vivant dont le bon fonctionnement dépend de la bonne santé de ses organes. Parmi ces organes, l’élément humain revêt une importance capitale. Tout changement de paradigme digne de ce nom passe par cet élément humain. Autrement dit, l’école doit inévitablement centrer son intérêt sur la valorisation de l’être humain, celui qui enseigne et celui qui est enseigné. Comment alors valoriser l’être humain en tant que ressource précieuse du bon fonctionnement de l’école?
S’agissant de la valorisation de l’enseignant(e), elle passe, à mon avis, par 3 conditions incontournables : citoyenneté, bien-être et formation de haut niveau.
Citoyenneté
Un enseignant n’est pas un simple fonctionnaire, salarié, employé ou travailleur. En plus d’exercer un métier rémunéré, il est avant tout, un agent de socialisation et d’éducation des générations montantes. Ce sont là deux missions qui font que l’école n’est pas une usine, une fabrique ou un atelier de production en série mais un lieu où se construisent progressivement le devenir et l’avenir des progénitures du pays. Pour se concrétiser, elles nécessitent de l’empathie, de l’engagement, du dévouement, du sacrifice, de l’abnégation…que seul un enseignant citoyen imbu de civisme possède. Un enseignant qui injecte de l’humanisme dans sa fonction. Car un enseignant qui réduit sa mission à une transmission pure et simple des connaissances est juste un marchand de savoirs dont l’école peut se passer et remplacer par une machine sans émotion, sans affectivité, sans sensibilité. Etre enseignant citoyen c’est ressentir son appartenance à un pays, une nation, une patrie. C’est se sentir concerné par son progrès, par son développement et par l’avenir de ses progénitures. Ce sont là des préoccupations que l’enseignant citoyen doit avoir présentes à l’esprit quand il prépare son activité pédagogique, quand il est sur le chemin de l’école et quand il se rend à celle-ci et quand il entre en classe. Il doit tout simplement considérer sa citoyenneté comme un catalyseur de son activité en classe. Il a sa part, aussi minime soit-elle, dans le développement de son pays en préparant la relève à travers l’enseignement, l’éducation et l’apprentissage. Voilà ce qu’on appelle « injecter de l’humanisme dans sa fonction ». En injectant l’humanisme dans cette dernière, la mission de l’enseignant citoyen devient une cause (idéal) et non seulement une tâche à remplir. L’écart est criant entre une école qui baigne dans l’humanisme et une école qui s’en est départie d’une manière retentissante.
En effet, l’école d’aujourd’hui, ayant perdu tout humanisme, n’est plus qu’un assemblage de bâtiments, de meubles et de personnes individuelles qui s’ignorent et qui, dans le meilleur des cas, sont mues par la routine, le pragmatisme pour ne pas dire l’accoutumance. Aucune cause à exalter, aucun idéal à atteindre, aucun esprit communautaire. Ne pas s’étonner si l’école est devenue un réceptacle de violence, de tricherie, de drogues, de comportements infâmes, etc.
Bien-être
Entendre par bien-être tout ce qui facilite l’accomplissement de la mission de l’enseignant citoyen. Tout ce qui l’encourage à accomplir cette mission avec enthousiasme et fierté. A ce propos, l’enseignant citoyen a besoin d’être valorisé sur les plans moral et matériel.
Moralement, il a besoin de reconnaissance et en particulier reconquérir sa place dans la société, celle qu’il avait autrefois lorsqu’on lui attribuait l’étiquette de Moudarriss. Autrefois, lorsque « être enseignant » signifiait jouir d’un statut social où respect, prestige et dignité faisaient bon ménage. L’enseignant, en plus de son rôle d’instructeur, était une autorité morale, c’est-à-dire qu’il avait sa part dans l’éducation de l’apprenant. Cette autorité n’était pas limitée au strict milieu de la pratique pédagogique (La classe). Elle allait au delà de la classe suivant ainsi l’apprenant dans le milieu extrascolaire et même au sein de sa famille. L’enseignant était en même temps éducateur par son enseignement et par son attitude et son comportement à l’intérieur et à l’extérieur de la classe. Malgré les moyens pédagogiques limités mis à sa disposition (Prédominance du tableau noir, de la craie et du manuel scolaire), l’enseignant réussissait fort bien la conciliation entre la fonction d’enseignement et la mission d’éducation. Il était tout simplement un citoyen (Patriote) imbu de civisme.
C’est ce statut social que l’enseignant doit nécessairement retrouver pour mêler citoyenneté et professionnalisme, deux ingrédients dont l’école d’aujourd’hui a besoin pour sortir de son marasme chronique.
En plus du statut social, l’enseignant citoyen a besoin d’une reconnaissance matérielle. Tout pays qui a atteint un haut degré de civilisation, de progrès, d’avancement, de développement sur les plans économique, social et culturel, le doit à la qualité des prestations de son système éducatif. Les prestataires ici sont les enseignants. Ce sont les services qu’ils rendent à la communauté qui sont de qualité. Cette dernière ne se décrète pas. Elle s’invente, se construit, découle des efforts considérables fournis par les enseignants citoyens pour être à la hauteur de la mission qui leur est confiée par la société : former et éduquer les générations montantes. Elle est le résultat de l’implication corps et âme des enseignants citoyens dans l’exercice de leur métier. Pour se consacrer corps et âme à leur métier, les enseignants citoyens doivent être récompensés matériellement. Leur métier est noble et c’est sur eux que repose l’espoir de toute une nation. S’ils méritent d’être valorisés moralement, ils le méritent également d’être valorisés sur le plan de la rémunération. Leur salaire actuel doit être au moins doublé. Plusieurs études, notamment celles faites par l’OCDE ont montré que « les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux qui offrent des salaires élevés à leurs enseignants ». Il est bien évident que cette performance se répercute sur le rendement des apprenants. Là aussi, les enquêtes menées dans le cadre du programme PISA (Programme International du Suivi des Acquis des élèves).
Bien-être moral (social) et bien-être matériel sont deux conditions indissociables et incontournables à la réussite de la mission des enseignants citoyens (du système éducatif).
Formation polyvalente de haut niveau
Certes, la citoyenneté et des conditions matérielles satisfaisantes dans l’exercice du métier d’enseignant ne peuvent, à elles seules et en aucune manière, garantir un professionnalisme de haut niveau qui, à son tour, garantit des prestations de qualité. Le professionnalisme qui signifie expérience, compétence, efficacité, rendement, performance, rentabilité, etc. ne peut être le résultat d’une simple formation sur le tas ou même d’une vocation. Il nécessite de s’enquérir des ficelles du métier et, surtout, donner à la formation une base scientifique solide notamment en sciences de l’éducation. L’enseignant citoyen, étant membre d’une société, du système éducatif et acteur principal de la pratique pédagogique, sa formation doit être polyvalente. Si changement il y a dans le monde scolaire, c’est l’enseignant citoyen qui doit le porter. La mission de l’enseignant citoyen, la véritable mission, commence dans la société, se poursuit à l’intérieur de l’école, de la classe et à l’extérieur de celle-ci. Révolue l’époque où l’enseignant était juste une courroie de transmission. Malheureusement, toutes les politiques de formation des enseignants (quand elles existent en bonne et due forme), en vigueur depuis l’indépendance, ont visé la production en série de ce genre de profil à savoir produire des courroies de transmission. Comme on le dit couramment : « on ne peut donner que ce qu’on a » et compte tenu du fait que les apprenants sont à l’image de leur enseignant (psycho pédagogiquement parlant), il ne faut pas s’étonner des rendements scolaires en deçà des attentes.
L’enseignant, en tant que membre d’une société qui attend beaucoup de l’école est avant tout, comme cela a été signalé, un citoyen traversé par une fibre de patriotisme et de civisme. Il est aussi un levier du développement (Puisque c’est toujours l’activité et l’action humaines qui sont derrière le développement – Cela doit donc commencer à l’école). Il est également un vecteur de culture et de valeurs, un bon exemple à suivre.
En tant que membre du système éducatif, il doit être conscient que la réussite de sa mission passe par une formation de haut niveau. Il doit connaître ce qu’est un système éducatif, en particulier son organisation, les textes législatifs qui le régissent et la place cruciale qu’il y occupe. Il doit être au courant de la politique éducative du pays, et, surtout, ne pas oublier qu’il est un rouage important de la mise en application de cette politique. A ce propos, il doit faire sienne la fonction sociale, économique et culturelle de l’enseignement et de l’éducation, en plus d’être au fait du fonctionnement d’un établissement scolaire. Son rôle fondamental est évidemment instruire et éduquer mais aussi et, surtout, conduire l’apprenant à la réussite et à l’insertion sociale et professionnelle. L’appropriation, dans ce cas, de l’interaction école/famille et école/société est primordiale. Enfin, la mission de l’enseignant citoyen ne saurait être bien à-propos dans le milieu scolaire sans que ce dernier n’intériorise le rapport de son métier à la déontologie, à l’éthique et à la responsabilité. L’enseignant n’est pas un être venu de je ne sais quelle planète pour donner un enseignement à des apprenants appartenant à une autre planète. L’enseignant et les apprenants sont tous des êtres socialement situés. Réduire le premier à une machine de transmission des connaissances et les seconds, sèchement, à des récepteurs passifs, est la garantie bien garantie de l’échec de l’école dans l’accomplissement de sa mission. Comme ils ne peuvent pas se défaire de leur socialité, celle-ci doit les suivre à l’école.
Par ailleurs, la formation polyvalente de l’enseignant citoyen ne saurait être complète sans permettre à ce dernier de prendre du recul par rapport à tout ce qu’il fait en classe. Pour prendre ce recul, il ne suffit pas d’être un bon transmetteur du savoir. Bien au contraire, cette prise de recul nécessite l’existence chez l’enseignant, d’abord, d’un esprit critique et, ensuite, d’une base scientifique des tenants et aboutissants de son métier, qui ont un rapport avec son intervention en classe. A ce propos, il doit avoir sa propre conception à l’égard du savoir (des connaissances), des programmes scolaires, de l’apprenant, des méthodes pédagogiques, de l’évaluation, de la communication, des manuels scolaires, de la pédagogie, la psychopédagogie, la didactique, les théories d’apprentissage, etc. Un enseignant qui se contente d’être un bon consommateur de tous ces ingrédients, finit par tomber dans la routine qui inhibe l’esprit d’initiative, d’innovation et de créativité. D’où l’importance cruciale pour l’enseignant d’assoir son activité et son action en classe sur une base scientifique. Cette base scientifique passe par une formation où les sciences de l’éducation occupent une place de choix. Il n’est pas normal qu’un enseignant exerce un métier dont il ne maîtrise pas les ficelles. Et il est encore plus anormal qu’il soit un rouage primordial du système éducatif alors que sa connaissance (conception) de ce dernier reste superficielle. C’est évidemment inadmissible que l’école et la classe soient conçues par lui juste comme des contenants inertes sans lien avec la société, l’économie, la culture, etc.
La formation en question doit porter sur :
– Education comparée (Connaissance et fonctionnement des systèmes éducatifs),
– Politique de l’éducation,
– Administration, organisation et orientation scolaires,
– Histoire de l’éducation,
– Sociologie de l’éducation,
– Philosophie de l’éducation,
– Psychologie de l’éducation
– Philosophie des sciences,
– Economie de l’éducation,
– Histoire des sciences,
– Sociologie des sciences
– Épistémologie,
– Didactique des disciplines,
– Psychopédagogie,
– Mesure et évaluation, etc.
Il n’est pas question de former des érudits en sciences de l’éducation mais de permettre aux enseignants, à travers une initiation à ces dernières, de comprendre, de maîtriser et de s’approprier les fondements théoriques de la pratique de leur métier. Les sciences de l’éducation constituent un instrument d’analyse et de connaissance des différentes composantes du système éducatif et en particulier de la classe, lieu où ils sont quotidiennement actifs et ce, d’une part, pour bien saisir les interactions entre ces dernières et, d’autre part, pour ajuster et adapter leurs actions et leurs interventions aux exigences que nécessite la réussite de leur mission d’éducateur. Ils élaboreront ainsi un cadre de référence, en l’occurrence, un cadre théorique ou conceptuel dans le but de décortiquer chacune de ces composantes afin de se les approprier intellectuellement mais avec du recul.
L’importance des sciences de l’éducation dans la formation des enseignants est incontestable. Leur absence ou presque pendant des décennies dans leurs cursus de formation a eu, à leur insu, un effet inhibiteur de la qualité des prestations pédagogiques. Croyant que leur enseignement a atteint ses objectifs, les enseignants ne se doutent même pas de l’existence des répercussions négatives de cette absence. Ces dernières sont alors entretenues et perpétuées sur une grande échelle à travers le nombre élevé d’enseignants, de classes et de niveaux scolaires. Elles constituent alors un ensemble latent de déficiences qui sont véhiculées par la pratique pédagogique et qui impactent la qualité de l’enseignement.
La recherche en sciences de l’éducation qui, normalement, devrait rectifier le tir et apporter des solutions aux lacunes de formation des enseignants, ne fait l’objet d’aucune préoccupation de la part des décideurs. Dans un pays où l’enseignement est en crise chronique, cette recherche est paradoxalement absente. Je parle de la recherche institutionnalisée, subventionnée, planifiée et reconnue sur les plans national et international.
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