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Meknès. Une histoire de famille.

    Le berceau familial… Meknès. Une histoire de famille.

    UN ARTICLE DE Dan Assayah. Un peu de littérature pour nos lecteurs ce week-end. Dans quelques jours va se tenir à Tel-Aviv une réunion familiale. Chacun racontera son histoire. Celle que je vais vous raconter est truffée de blancs. En effet, il me sera impossible de tout dire dans ce que vous allez lire, car chacun a ses petits et ses  grands secrets. Autant le dire dès le départ, cet article est écrit sous un pseudo. Ceux qui sont nés juifs à Meknès hésitent toujours à raconter leur histoire. Une pudeur naturelle entoure leur vie.
    MEKNES. Je me suis toujours demandé pourquoi j’ai toujours cette attirance inexplicable pour une petite ville marocaine, Meknès. Je suis né dans cette ville le 25 Novembre 1954. Mon père, footballeur international réputé, y a vécu toute son enfance. Il écrivait l’arabe et le Français avec dextérité. Il est passé du Mellah à la ville moderne dans les années 1950. Mes quatre frères sont en majorité nés dans cette ville. Ma mère, quant à elle, est née à Sidi-Bel Abbès. Elle est française dès sa naissance au travers du décret Crémieux (24 octobre 1870) qui  a offert la citoyenneté française pleine et entière aux juifs d’Algérie.
    Je n’ai jamais connu mon grand-père qui était bijoutier. Ma grand-mère, toujours un châle qui lui couvrait les cheveux, et avec qui je bafouillais quelques mots d’arabe dans les années soixante dans notre nouvelle ville d’accueil, Annecy (Haute-Savoie), ne m’a jamais raconté sa véritable histoire. A ma naissance Meknès n’était qu’un petit bourg agricole sans histoire. Les juifs y vivaient le plus souvent dans le Mellah et dans la pauvreté. Cela n’a pas été le cas pour ma famille qui n’a jamais manqué de moyens.
    Meknès est l’une des quatre villes impériales du Maroc. La ville est célèbre pour son artisanat (tissages, confection, ébénisterie, dinanderie etc…) et sa gastronomie : la menthe et les olives de Meknès ont une renommée internationale. C’est aussi un centre culturel très actif, largement ouvert aux influences andalouse et berbère, et particulièrement connu pour ses musiques religieuses et poétiques (le melhoun). La médina de Meknès est classée depuis 1996 Patrimoine mondial de l’UNESCO.
    Dans les années 1950 et 1960, sous l’action des mouvements sionistes et l’effet de la pauvreté, une très grande partie de la communauté juive a quitté le Maroc pour l’Amérique latine, les États-Unis, le Canada (et particulièrement le Québec) et la France. Mon oncle Gabriel (pharmacien de profession) a été un militant sioniste connu. Ma famille a quitté le Maroc pour la France en 1965. Pour ma part je ne suis retourné au Maroc que dans les années 1980 et après 2000 pour faire des conférences à Skirat et Casablanca sur les « Silicon Valleys du Monde ».
    Pendant la présence française au Maroc (1912-1956), Meknès portait des surnoms tels que « le Versailles du Maroc », ou « le petit Paris », soulignant la beauté de la cité, ce qui lui valut son titre de plus belle ville impériale du royaume ; elle fut un moment le siège de la résidence du Maréchal Lyautey qui y avait son quartier général. Le quartier le plus populaire est celui de l’ancienne médina dite « Mdina Kdima » ; c’est là qu’habitait Moulay Ismaïl. Dans les encyclopédies Meknès est présentée de la manière suivante : « Meknès est une ville située au nord du Maroc. Elle est réputée pour son passé impérial, avec des vestiges tels que Bab Mansour, une énorme porte avec voûtes et carrelage en mosaïque. La porte mène à l’intérieur de l’ancienne ville impériale. Le mausolée du sultan Moulay Ismaïl, qui a fait de la ville sa capitale au XVIIe siècle, comprend des cours et des fontaines. Au sud, le vaste complexe Heri es-Souani abritait autrefois des écuries et des entrepôts d’aliments ».
    A l’époque (de 1954 à 1965) je ne connaissais rien de ce passé antique. Pour moi la ville était ma rue, la piscine, le stade de foot, l’école Paul Doumer, les petits taxis, les odeurs des arbres en fleur et… des ânes, les djellabas pleins la rue. Et surtout le petit magasin magique de mon père : artisan-tailleur.
    ODEUR. Avec les années j’ai découvert le secret de mon amour pour cette ville : les odeurs d’Orient. J’ai retrouvé un texte qui me va très bien pour parler de ses odeurs (1). « Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de la puissance évocatrice des odeurs. Celle qui nous permet d’extraire des souvenirs du passé voire même d’effectuer de véritables voyages dès lors que l’on sache s’arrêter quelques instants sur ce que les odeurs nous évoquent ».
    En ce qui me concerne l’odeur qui me fait du bien est celle des pommiers et des orangers. Reprenons le texte de (1) : »Plus je respire cette odeur, plus les souvenirs réapparaissent et se font progressivement précis… Ce sont les parfums d’intérieur qui m’offrent un passeport pour m’évader. Puisque j’ai conscience que ces émanations volatiles perçues par l’odorat me permettent d’éprouver des liens intimes entre moi, les objets, la nature ou des personnes, j’aime « forcer » ces explorations sensorielles par des jeux d’odeurs.
    Des odeurs naissent donc l’émotion et la mémoire. Elles nous rappellent à tous de bons ou de mauvais moments qu’il convient d’apprivoiser et d’écouter pour suivre sa propre route, elles nous influencent, modifient notre humeur, nos comportements. S’il y a bien un lieu où je me sens heureuse c’est celui de l’Afrique du Nord ou je retourne chaque année. Outre la rencontre avec ses habitants, ce qui m’attire le plus là bas, ce sont les bruits de pas dans les ruelles de la médina, les klaxons mêlés au chant du Muezzin, la chaleur qui alourdit encore plus toutes les exhalaisons où se mêlent les épices et la cuisine des échoppes, le lait d’amande parfumé à la fleur d’oranger, les couleurs vives, les visages, la luminosité si particulière de la ville rouge ».
    Cette odeur d’orangers et de pommiers est magique. (La pomme est l’une des principales cultures de rosacées fruitières au Maroc. Elle a une importance toute particulière dans la région de Meknès qui concentre un tiers de la production nationale). 
    MAGIQUE. Très récemment Meknès a fait l’actualité : « Plusieurs vidéos relayées en masse sur les réseaux sociaux montrent des lumières blanches se mouvoir dans le ciel de Meknès. Certains ont cru y apercevoir des anges! La vidéo fait le tour des réseaux sociaux. On y voit de mystérieuses lumières bouger dans le ciel sombre au-dessus d’un quartier de Meknès, à en croire les internautes ayant relayé la vidéo. Certains d’entre eux ont cru voir dans ce phénomène des silhouettes d’anges volant au-dessus de la capitale ismaélienne tandis que d’autres, plus mesurés, pensent que ce ne sont que des reflets de lumières, voire un trucage ». Pour moi la magie de Meknès frappe toujours. Le ciel des cette ville est étrange. J’ai passé des heures dans mon enfance à regarder ce ciel étoilé. Un ciel unique. « Le Petit Prince » de Antoine de Saint-Exupéry est mon livre préféré, et ce n’est pas par hasard. J’ai l’impression de l’avoir vécu.
    SOUVENIRS. Dans mon enfance l’un des souvenirs les plus marquants. La disparition du Roi Mohammed V le a été terrible. Je me souviens des cris de ma mère qui nous a tous rassemblé dans notre Villa de la Rue Joffre (nouvelle ville de Meknès).  Les portes de la maison ont été fermées précipitamment. Un danger que nous ne comprenions pas venait d’arriver. Ma mère pensais que des manifestations allaient secouer la ville. Ce souvenir tenace me donne à ce jour la chaire de poule. « La chair de poule est une réaction de l’organisme face à certaines situations comme le froid, la peur, et la jouissance. C’est un mécanisme réflexe entraînant la contraction des muscles érecteurs reliant les poils à la peau, ce qui a pour effet de dresser les poils à la surface du corps et de créer ainsi une fine couche d’air isolante ». C’est exactement ce que je ressent.
    Autre souvenir : un accident que j’ai eu le 11 février 1960. Un détonateur m’a sauté dans la main, un doigt amputé, et les éclats ont atteint l’oeil droit. Opéré en urgence à Lyon j’ai eu, dans mon malheur, une chance inouïe. L’opération de chirurgie a été faite par Louis Paufique et « la meilleure équipe au monde ». A sa mort le journal Le Monde lui avait consacré un article : « Né le 22 juin 1899 à Lyon, Louis Paufique avait étudié la médecine dans cette même ville, où il devait faire toute sa carrière. Ophtalmologiste des hôpitaux (1942), agrégé d’ophtalmologie (1948), puis professeur de clinique ophtalmologique à la faculté de médecine de Lyon de 1956 à 1969. Louis Paufique a formé un grand nombre d’élèves qui devaient constituer l’école lyonnaise d’ophtalmologie Louis Paufique, par ses activités personnelles et le rayonnement de son école, est à l’origine de progrès décisifs de sa discipline, notamment par ses travaux sur les implantations de cristallins artificiels, les interventions réparatrices des décollements de rétine et les greffes de cornée ».
    Pour l’histoire le détonateur qui m’a sauté dans la main avait été jeté au sol devant mon école par des manifestants marocains opposés aux essais atomiques de la France. Un peu d’histoire : le premier essai nucléaire français, Gerboise bleue, a été effectué le 13 février 1960, sous présidence de Charles De Gaulle. Toutefois, c’est au début d’avril 1958 que Félix Gaillard, premier ministre sous la présidence de René Coty, décide que ce premier essai aura lieu au début de l’année 1960 et que le site de test sera localisé au Sahara. Un champ de tir avait été créé à Reggane, au centre du Sahara algérien et à 600 kilomètres au sud de Béchar. Les tirs ont été effectués à partir d’une tour située plus précisément à Hamoudia, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Reggane.
    La suite, a très bientôt.

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