Monica Lewinsky milite aujourd'hui contre le harcèlement.
Il y a vingt ans, Monica Lewinsky a presque fait tomber Clinton. Depuis l’affaire Weinstein, la stagiaire est devenue une victime.
Début janvier, Monica Lewinsky a obtenu ce qu’elle n’osait pas demander : les excuses de l’Amérique. Elle était à Salt Lake City, dans l’Utah, face à un large public (1 000 personnes) venu l’écouter raconter ses souffrances lors du « Monicagate ». C’était sa première intervention depuis l’apparition du phénomène #MeToo. Selon les organisateurs de la conférence, le « porc » de Monica s’appelait William Jefferson Clinton, 42e président des Etats-Unis.
Stagiaire à la Maison-Blanche, elle avait 22 ans. Leur relation intime a commencé un soir de novembre 1995, alors qu’il n’y avait plus grand-monde dans la « West Wing ». Pour Teri Orr, président de la fondation Park City Institute, qui organisait l’événement de Salt Lake City, Monica a été « victime d’un abus de pouvoir ». Dans le domaine du harcèlement sexuel, l’ex-stagiaire a tout du « patient zéro » : sa vie a été bouleversée. Sur Internet, qui émergeait à l’époque, elle a subi les pires insultes. Il était temps que l’outrage soit réparé. Quand Teri Orr a présenté ses excuses « au nom du public tout entier », toute la salle s’est levée pour applaudir. Monica n’en revenait pas.
Pour elle, l’enfer commence le 16 janvier 1998, dans un centre commercial près du Pentagone, quand des agents du FBI lui tombent dessus. Ce jour-là, elle a rendez-vous avec Linda Tripp, l’« amie » à qui elle s’est confiée mais qui a tout répété à Kenneth Starr, le procureur indépendant. Ce dernier, ennemi juré de Clinton, a organisé le guet-apens pour la faire craquer et provoquer la destitution du président. L’opération échoue : Clinton termine son mandat avec une popularité record. Pour Monica, c’est une autre histoire. De peur d’être prise en flagrant délit de parjure, elle révèle les détails les plus scabreux de son histoire : le cigare, les fellations, les conversations salaces au téléphone… Elle est la cible d’attaques ignobles, largement orchestrées par la Maison-Blanche qui a tout intérêt à la faire passer pour une folle. C’est le président, alors, qui est une victime. « Quand je l’ai rencontrée, juste après l’affaire, elle était dévastée », me dit Laurent Dufourg, coiffeur de stars à Hollywood. Sans l’avoir voulu, Monica est devenue une des personnes les plus célèbres des Etats-Unis. « Les gens se bousculaient pour la photographier après les Oscars, se souvient-il. Même Uma Thurman, avec qui je me trouvais, voulait la rencontrer ! »
Pendant des mois, elle a été la cible d’attaques ignobles orchestrées par la Maison-Blanche qui l’ont fait passer pour une folle
Monica tente d’abord de monétiser sa célébrité. Elle pose pour des revues de mode genre « InStyle », lance une marque de sacs à main – qui ne durera pas – et se confie dans un livre écrit par Andrew Morton, le confesseur de Lady Di et autres âmes en peine. L’ouvrage lui rapporte des millions de dollars. Mais elle peine à se remettre de son chagrin d’amour avec Bill Clinton. « Elle l’a vraiment aimé et en parlait ouvertement », se souvient le coiffeur qui la décrit comme « adorable, intelligente, mais tellement jeune ». Un jour, elle craque devant lui, quand elle apprend par un de ses oncles, médecin bénévole en Afrique, que son patronyme est à jamais associé à la fellation. « Elle me disait, en larmes : “Regarde ce que j’ai fait à ma famille.”»
Sans trêve, Monica Lewinsky a lutté pour obtenir sa réhabilitation. En 2001, elle tente courageusement de s’expliquer devant une assemblée pourtant ouverte d’esprit, dans la grande salle du Cooper Union College, à Manhattan. Grosse affluence. On attend jusque sur le trottoir. Elle se présente seule, s’assied sur la scène vide, dans la position du bouddha, et répond sans se dérober aux questions qui n’ont pas été filtrées, devant les caméras de la chaîne HBO. La « conversation » dure trois heures, avec des interruptions de séance, notamment quand Monica évoque son arrestation par le FBI, traumatisme qu’elle n’a pas surmonté. Un homme lui demande encore ce que ça fait d’être la reine de la fellation. Il a l’air très content de sa provocation. « Je n’ai jamais compris pourquoi mon histoire a été résumée à ça. Est-ce le résultat d’une société dominée par les mâles ? Vous êtes probablement le mieux placé pour répondre à cette question », lui rétorque-t-elle du tac au tac. Bien vu ! Le type est mouché. Le public ricane. Mais, visiblement, l’Amérique n’est pas encore prête à accorder son pardon à la jeune femme.
En 2005, elle décide de disparaître des écrans radars et met le cap sur Londres. Là, elle reprend ses études à la London School of Economics, section psychologie sociale, un domaine qu’elle connaît d’expérience. Elle passe des heures à la bibliothèque de la fac où personne ne risque de la déranger. Un des rares moments de tranquillité dans son existence de paria. De retour de Londres, son diplôme en poche, elle s’installe à Los Angeles, dont elle est originaire, et cherche du boulot. En vain. Un jour, elle se présente dans une célèbre agence de publicité. Le regard suspicieux de la réceptionniste à qui elle épelle son patronyme la met mal à l’aise. Le job lui échappe. On lui explique que son nom est radioactif, qu’il risque de faire perdre des clients.
Côté vie privée, elle n’est guère mieux lotie. Il y a trois ans, un homme beaucoup plus jeune qu’elle la drague. Elle se sent flattée, jusqu’au moment où il lui dit : « Je vais te faire revivre les sensations de tes 22 ans », l’année Clinton. « Non merci », répond Monica. Un autre jour, ayant enfin trouvé un petit ami, elle va au stade avec lui, mais l’idée d’être photographiée la terrifie. Là encore, ça tourne court. Aujourd’hui, âgée de 44 ans, elle n’a ni mari ni enfants. Mais elle s’est inventé un destin.
Côté vie privée, elle n’est guère mieux lotie. Il y a trois ans, un homme beaucoup plus jeune qu’elle la drague. Elle se sent flattée, jusqu’au moment où il lui dit : « Je vais te faire revivre les sensations de tes 22 ans », l’année Clinton. « Non merci », répond Monica. Un autre jour, ayant enfin trouvé un petit ami, elle va au stade avec lui, mais l’idée d’être photographiée la terrifie. Là encore, ça tourne court. Aujourd’hui, âgée de 44 ans, elle n’a ni mari ni enfants. Mais elle s’est inventé un destin.
Monica ouvre un compte Twitter sur lequel elle se présente comme « activiste »
Le déclic a lieu en septembre 2010. Le suicide de Tyler Clementi, un étudiant âgé de 18 ans, la bouleverse. Tyler était un homosexuel « dans le placard ». A l’université, il était la risée de ses camarades. L’un d’eux est parvenu à accéder à la Webcam de son ordinateur et à le filmer alors qu’il embrassait un garçon. La vidéo a été balancée sur Internet. Mortifié, Tyler s’est jeté du haut d’un pont. Monica raconte que sa mère est encore plus bouleversée qu’elle par le drame. « Elle revivait le moment où elle exigeait que je prenne ma douche la porte ouverte pour éviter tout acte fatal », expliquera-t-elle plus tard. Par une connaissance commune, Monica rencontre Jane Clementi, la mère de Tyler, qui a créé une fondation pour défendre les victimes de harcèlement en ligne (tylerclementi.org). « C’est le nouveau cheval de bataille de Monica », nous dit Jane Clementi, qui s’est tout de suite très bien entendue avec elle. Monica ouvre un compte Twitter sur lequel elle se présente comme « activiste ».
En 2014, elle publie une longue tribune libre sur le sujet dans le mensuel américain « Vanity Fair » : elle explique qu’elle ne changerait de nom pour rien au monde, même si on le lui a conseillé. « C’est quelqu’un de très moral », affirme son éditeur David Friend, auteur de « The Naughty Nineties » (« La décennie 1990. Les années coquines »). « Il faut qu’elle la ferme et qu’elle disparaisse », vocifère pourtant Andrea Peyser, éditorialiste star du « New York Post », un tabloïd de droite qui n’a jamais été tendre avec Monica.
Le phénomène #MeToo a tout changé. Le 29 novembre 2017, vingt-quatre jours après l’article du « New York Times » qui mettait en cause Harvey Weinstein, la chaîne câblée HLN, filiale de CNN, annonce en fanfare la diffusion d’un documentaire sur le « scandale Monica Lewinsky ». Dans un Tweet, elle réclame un changement de titre : « L’enquête de Kenneth Starr, la destitution de Bill Clinton ». Le lendemain, la chaîne fait amende honorable et rebaptise le docu « Le scandale Clinton-Lewinsky ». Voilà qui est plus neutre. Forte de cette victoire personnelle, Monica récidive le 16 janvier, vingt ans après son arrestation. Elle twitte sur sa « survie ». Pour elle, ça y est : la blessure de l’humiliation s’est refermée ! Même l’éditorialiste Andrea Peyser reste silencieuse. Fustiger l’ancienne stagiaire est passé de mode.
Monica n’est pas la seule à célébrer le vingtième anniversaire du scandale qui faillit emporter la présidence Clinton. Linda Tripp, l’amie qui l’a trahie, est, elle aussi, sortie du bois. La méchante du scénario a le physique de l’emploi. Par elle, on a su l’existence de la petite robe bleue Gap. Elle avait enregistré Monica au téléphone, puis avait confié les bandes au procureur Starr. Début décembre 2017, elle a affirmé s’être sentie touchée par les femmes qui ont récemment dénoncé leur « porc ». « Ça m’a ramené vingt ans en arrière. Bill Clinton était un prédateur ; Monica, une enfant. J’étais dégoûtée de la voir dans cet état de déprime », dit-elle. Sauf que l’ancienne stagiaire ne lui a pas donné quitus. Elle a beau soutenir le mouvement #MeToo, elle ne s’estime « pas concernée ». « Notre relation était consensuelle. C’était irresponsable, mais drôle. »
Aujourd’hui Monica a réussi sa rédemption mais elle sera toujours romantique.
Par Paris Match / Bjorn Joos
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