Le Sionisme et Antisionisme.

Le Sionisme et Antisionisme.


Une salle pleine ce soir au CSP pour écouter la critique d'Alain Wagner sur Alain Soral. Le Conseil de rédaction de Monde et Vie ayant été déplacé du mercredi au mardi, je n'ai pas pu assister à la conférence et me suis contenté de proposer un petit prélude sur le sionisme et l'antisionisme. 
En rentrant, ce soir, je trouve dans ma boîte "Trois remarques" de mon ami G. sur "mon avant propos" de ce soir. Elles sont stimulantes, comme toujours, elles méprisent toute correctness, ce qui n'est pas pour me déplaire, même si, sur ce point, je crains que nous restions en désaccord.

Quant à Alain Soral, objet de notre propos de ce soir, dont on appréciait la vis polemica (voir son Jusqu'où va-t-on descendre ?), je dirais qu'il considère l'antisionisme comme la clé universelle - le passe partout - qui explique tous les sujets, que ce soit le sort de la Planète ou l'horreur pédophile. Cette obsession entraîne évidemment une sorte de strabisme, qui finit par transformer l'horizon en un point. Un point c'est tout. Cette simplification peut faire passer les auditeurs de l'antisionisme à l'antisémitisme - c'est-à-dire à la détestation ponctuelle de la culture ou de la race juive.

L'antisionisme ? Je n'ai vu que deux sens à ce mot tout à l'heure. G. m'en propose un troisième. Il a raison.

Le premier c'est "l'opposition au projet sioniste d'établissement d'un projet national juif en Palestine" (merci Wikipedia).
Pour moi, ce premier antisionisme est absurde puisque les juifs ont créé "un foyer national" en Israël depuis 1947. Il y a 8 millions de citoyens israéliens aujourd'hui dont 6, 5 millions de juifs. On ne peut pas revenir sur ce fait. Il ne s'agit pas "d'idolâtrie du fait", il s'agit simplement de reconnaître qu'en politique, comme dit Aristote, "les faits sont principes" (et non les idées). G. me dit : "La Révolution est un fait, la colonisation a été un fait".

Je crois que ces deux exemples sont parfaitement bien choisis. Je passe sur la colonisation mais j'entends encore le président Bongo refuser la création d'un Lycée français à Libreville en disant : "Tous les lycées de Libreville sont des lycées français". Il ne maniait pas vraiment la langue de bois, le vieux ! Mais le fait est ! On ne peut pas, quand on exerce le pouvoir, s'écrier comme Jean-Jacques : "Ecartons tous les faits". La colonisation française a été un fait. Elle demeure dans ses conséquences culturelles, linguistiques d'abord. Même pour un membre du CRAN !

Pareillement, on ne fait pas de la politique française de la même façon avant et après la Révolution., même et surtout quand on est contre-révolutionnaire. Les démocrates chrétiens et autres MRPistes ont voulu croire que la République n'existait pas vraiment avec son passé passif, que la démocratie seule triomphait, que la Révolution était une parenthèse que l'on pouvait refermer. Leur pacifisme politique ne convainc personne ni à droite ni à gauche. Ils me font penser à ces chrétiens (qui furent très attirés par le pape Benoît) et qui voulait faire comme si le concile Vatican II n'avait pas eu lieu. Comme si on pouvait vivre dans l'Eglise sans avoir à prendre son parti de cet événement. Le pape François, arrivé au Souverain pontificat, a démenti tout cela en cinq sec. Je ne dis pas que François est mieux que Benoît, mais je dis simplement qu'il faudra bien s'atteler à Vatican II et que les propos du Pontife régnant sur la liberté de conscience (voir notre article Une critique cinglante) ont eu l'avantage de reprendre Vatican II dans tout ce qu'il a de plus contestable. Plus question de tout planquer sous les tapis du Vatican !

Eh bien ! Israël est un fait. Peut-on être contre ? Ni pour, ni contre... Il faut simplement trouver des solutions au conflit israélo-palestinien en tenant compte de ce fait.

Deuxième définition : l'antisionisme est l'opposition à certaines positions politiques d'Israël et à son extension, qui va jusqu'à l'opposition à l'existence même d'Israël. La deuxième définition (toujours prise de Wikipedia) tend à rejoindre la première, tant les passions que déclenche ce sujet sont vives.

La question de l'extension d'Israël est extrêmement sensible. Je ne crois pas que ce soit de l'antisionisme de dire, avec ce sioniste spirituel que fut Yeshayaou Leibowitz que le triomphe israélien lors de la Guerre des Six jours, qui entraîna une exaltation nationaliste juive, fut "une catastrophe pour l'Humanité et pour l'Etat d'Israël". D'ailleurs, lorsque en 1974, Israël accepte la résolution 242 des Nations Unies sur le retour aux limites de 1967, Israël n'est pas... antisioniste. On est très loin aujourd'hui de cette ligne et même l'évacuation de la Bande de Gaza en septembre 2005 peut être considérée comme un prélude à la Guerre de 2009. Il est clair que la volonté de paix est difficile à trouver ailleurs que dans quelques individus héroïques de part et d'autre. Pour les Israéliens, peut-on faire la paix avec des gens qui, durant les prêches du vendredi, ne cachent pas (je parle des islamistes de plus en plus nombreux) qu'il faut "anéantir Israël" (Je l'ai entendu une fois de la part d'un Taxidriver parisien barbu... Ca calme !)... Pour les Arabes, musulmans et chrétiens, peut-on supporter les humiliations quotidiennes des check-points et la paralysie qu'ils engendrent ? Et puis... "18 000 maisons palestiniennes détruites, 750 000 Palestiniens arrêtés à un moment ou à un autre depuis 1967, 11 000 détenus pour l'heure, 600 barrages en Cisjordanie, "lieux de vexation ou de brutalité gratuite". C'est Régis Debray qui donne ces chiffres et qui s'indigne (cf. A un ami israélien, avec la réponse d'Elie Barnavi, Flammarion 2010).

On peut se demander si un accord politique est possible, ce n'est pas de l'antisionisme de poser la question. Les Accords d'Oslo ne sont plus qu'un lointain souvenir. Et alors que Bibi Netanyahu est régulièrement réélu, on cherche qui peut bien porter non pas la paix mais l'apaisement. Est-il vrai par exemple qu'Israël aujourd'hui abrite des Jihadistes en repli stratégique dans le Golan ? Quand on en vient à la négociation elle-même, le statut de Jérusalem reste une pomme de discorde. Il me semble que la politique des papes, si profondément rationnelle, si volontairement dépassionnée dans ce domaine - politique qui n'est ni sioniste ni antisioniste - pourrait être comme le retour de la colombe, un brin d'olivier dans le bec, qui annonce la fin du Déluge.

Significatif en tout cas est l'opposition fin août 2013 entre Laurent Fabius, notre ministre des Affaires étrangères et Benjamin Netanyahu, l'un disant que le conflit israélo-palestinien est "le père de tous les conflits" (au cours d'une émission chez Bourdin sur RMC) et l'autre lui répondant quelques jours plus tard de visu à la Knesset que les conflits sont dans tout le Proche Orient et refusant de voir le conflit israélo-arabe comme un conflit matriciel. Qu'il existe un tel désaccord à ce niveau entre deux juifs, l'un ministre français, l'autre premier ministre en Israël montre bien dans quelle impasse sont les politiques.

C'est sans doute pourquoi la religiosité n'est pas absente de ce conflit, même lorsqu'il s'invite dans nos Banlieues ou dans les déclarations de nos hommes politiques. Dans nos Banlieues ? Les prêches incendiaires en arabe qui tendent à fanatiser une population qui ne veut pas apprendre à vivre à l'Occidental (ou qui ne veut pas s'intégrer) et qui cherche un Bouc émissaire... A supprimer. Dans les déclarations de nos hommes politiques ? L'image de Fabius sur la paternité universelle de ce conflit est vraiment trop forte : surinterprétée. Mais que penser d'un Manuel Valls disant qu'il est "éternellement attaché à Israël" ? Eternellement ? Il y a dans cet attachement quelque chose qui n'est pas purement politique. Pas purement tactique comme serait purement tactique l'assistance à un dîner du CRIF par exemple. Le sionisme et l'antisionisme sont-ils en train de devenir des religions jusqu'en Occident ? Si l'antisionisme se fait religion, ce sera la religion du Bouc émissaire, une religion génocidaire.

Si le sionisme se fait religion... Aujourd'hui c'est le nihilisme qui gagnerait. La France, toujours paroxystique en politique, est un bon test. Ce serait la religion de la Shoah que critique âprement Imre Kertesz. Comme dit Jean-Christophe Attias, "la mémoire du génocide érigée en religion est une religion sans Dieu et sans espérance. Admettons qu'une religion puisse se passer de Dieu... Mais de l'espérance ? Une religion ne saurait tourner seulement autour de la mort" (in Les Juifs ont-ils un avenir ? avec Esther Benbassa, éd Lattès 2001 p. 113). Esther Benbassa ajoutait alors : "Je dirais aussi que cette religion est entièrement fermée sur elle-même et s'auto-alimente, et que cette sacralisation clôt le débat. Il est à souhaiter qu'il ne s'agisse là que d'un moment critique susceptible de dépassement". Quel dépassement ? Evidemment pas le révisionnisme, mais bien l'universalisation. Esther Benbassa explique : "Je ne vois de salut que dans l'universalisation. Universaliser n'est pas oublier. C'est de l'excès de paroles que découle l'oubli, la normalisation". Ce discours évoque mot pour mot les thèses défendues merveilleusement par Imre Kertesz dans toute son oeuvre romanesque mais spécialement dans La Shoah comme culture. Elles sont non pacifistes mais pacifiantes. Question ; que signifie cette universalisation à l'heure du conflit israélo-palestinien ?

Il me semble vraiment que, comme pour tout paroxysme humain, le conflit israélo-arabe n'est pas purement politique. Il porte en lui non pas je ne sais quelle religion séculière de substitution, comme serait la religion de la Shoah, mais l'incandescence religieuse de cette région et sa spécificité historique... C'est le message de paix que portent les chrétiens (ces deux pour cents de Palestiniens chrétiens restant envers et contre tous) qui devra l'emporter pour que le calme s'établisse vraiment au Proche-Orient. Plus le temps passe, plus on se rend compte qu'en Syrie, au Liban, comme en Israël, les peuples ne veulent pas la guerre. Seuls un petit nombre d'irréductibles, politiques d'un côté qui la font rentrer dans leurs calculs, jihadistes de l'autre pour qui elle est une religion, continuent à l'appeler de leurs voeux. L'échec de la Communauté internationale à imposer la guerre en Syrie (comme elle l'avait fait en Libye quelques mois auparavant) est caractéristique d'une nouvelle donne, qui donne tort aux Faucons et autres théoriciens du Chaos. L'équilibre de la terreur est précaire pour tout le monde. Il faut convertir la classe dirigeante... côté salafiste (Arabie saoudite etc.) côté israélien (où le discours faucon est dominant) et côté occidental (De BHL à Sarko, y a du bouleau ne serait-ce qu'en France). Mission impossible ? Reste à trouver des porteurs de paix, comme le fut Isaac Rabin au mépris de sa vie, après avoir été un partisan de la guerre lors de la Première Intifada.

Commentaires