Moi, conseiller dans une agence bancaire.


Moi, conseiller dans une agence bancaire.


Un nouveau témoignage d’un lecteur. N’hésitez pas si vous avez envie de prendre la plume…
“Je ne travaille plus dans le milieu de la finance, cependant je m’y intéresse toujours de près, et je pense comme de plus de plus de personnes que le système financier actuel est voué à sa perte.
J’ai lu avec intérêt le post « Moi, conseiller dans une agence bancaire », d’autant plus que je suis passé au cours de ma carrière par le milieu de la banque de détail. Je souhaiterais donc vous apporter mon vécu. Cela a duré cinq années avant que je ne craque. 
Les pratiques devenaient limites et certaines auraient pu s’apparenter de temps à autres à de l’extorsion de fonds.
La banque ? La Banque X, pour ne pas la nommer. 
L’histoire de cette banque est originale, puisqu’elle a été créée par deux commerçants et un artisan à la fin du XIXème siècle, avec le souci d’apporter aux entrepreneurs individuels les services bancaires que les grandes banques commerciales leur refusaient à l’époque (tiens, l’histoire se répète). Je vous rassure (ou plutôt non), je côtoie encore d’anciens collègues qui sont passés par de multiples établissements bancaires (mutualistes ou commerciaux), et les pratiques que vous aller découvrir ont été et sont les mêmes partout. Du copier/coller !
J’ai été affecté début 2006 (soit peu de temps avant l’arrivée de la crise) dans une agence qui comptait pas moins de 20 employés, une belle succursale. 
J’y suis resté 5 années au même poste, et j’ai vu l’évolution du métier aller en se dégradant.
J’occupais alors un poste de Chargé de clientèle Professionnels. Mon portefeuille client était composé d’artisans et commerçants, avec quelques belles prof lib pour ”réhausser le tout” (j’utilise le langage de la DRH qui m’a vendu le poste).
Mon métier consistait à faire de la prospection, visiter les clients, leur proposer les services dont ils avaient besoin pour se développer : Cartes bancaires, Accès internet pour effectuer leurs transactions courantes, TPE, placements et bien sûr des prêts CT ou LT. 
Ma mission, en tant que nouveau, est d’abord apprendre le jargon interne. Entre nous, on ne dit pas « j’ai conseillé à ce client de prendre un Plan d’épargne action », mais on dit « j’ai équipé ce client d’un PEA ». 
Quand on a fait une vente groupée, autrement dit quand le client à pris un pack (ouverture de compte + CB + assurances + Accès à Internet pour ses comptes), on dit j’ai « équipé le client pour l’Hiver ». Quand le client a l’impression d’avoir obtenu un bon taux pour son prêt pro, alors que c’est tout le contraire, on peut dire « aujourd’hui j’ai bossé pour la banque, on lui a collé un bon taux et je lui ai mis le max de frais de dossier, il a pas rechigné, alors j’ai mis les curseurs au max, je vais monter au classement tu vas voir ».
En 2007, la crise pointant le bout de son nez, on nous a rapidement demandé de transformer les découverts professionnels existants et risqués (c’est la direction qui déterminait cet aspect) en Prêts garantis par OSEO. 
Il fallait vendre cela au client, comme une sécurité pour lui… Au bout du compte, il s’agissait essentiellement d’une sécurité pour la banque, car elle pouvait se retrancher derrière un organisme d’Etat en cas de faillite de l’entreprise ou de l’entrepreneur lui-même. Et cela facilitait également le travail du service contentieux, qui n’avait pas à faire saisir les biens du client en passant par de longues procédures judiciaires… En somme, vous aurez compris que la banque avait dans l’idée de ”refinancer” ses futures pertes par les concours apportés par un organisme étatique. En passant, merci à nos impôts !
Les lettres de dénonciation de découvert autorisés fleurissaient, les rendez-vous avec les artisans, commerçants mécontents de cette situation commençaient à prendre de plus en plus de place dans mon agenda. Normal, puisque la souplesse n’était plus la même. Les chèques sautaient. Le directeur d’annoncer fièrement le matin ”Aujourd’hui, je vais faire péter quelques chèques, j’en connais certains qui vont venir pleurer dans mon bureau”. M’enfin, c’était pour leur bien disait le N+2, il fallait ”un peu leur serrer le kiki, car ils avaient trop tirés sur la corde ces dernières années” (avec notre consentement, soit dit en passant).
Le système OSEO n’a duré qu’un temps… puisque la crise arrivant les échéances de prêt OSEO se retrouvaient placées dans un compte d’isolement… en attendant de pouvoir refourguer le compte de l’entreprise au service contentieux (les annonces d’embauche pour ce service fleurissaient sur le site web de la banque).
Autre nouveauté : les assurances ! Objectif : assurer le pro pour TOUT (et surtout rien au final), assurances homme clé, assurance perte d’exploitation, assurance moyen de paiement des pro, RC, décennale, multirisque pro… Ensuite les couvertures, Madelin, … Assurer les enfants, les conjoints, assurances décès, assurance accident de la vie, IARD… Vous me direz s’assurer c’est bien… oui sauf que notre formation de 3 heures ne permettait pas de faire le travail d’un VRAI assureur, le conseil était occulté par la bâtonnite (c’est ce petit bâton qu’on place à la fin de la journée sur sa feuille d’objectif pour dire au N+1 que OK, c’est vendu). Il fallait vendre vite et bien, car l’agence devait être bien classée dans le challenge (de nombreux cadeaux à la clé pour les collaborateurs).
Bref, le pauvre commerçant ou l’artisan du coin, ne savait plus si j’étais son banquier ou son assureur. Je lui assénais à coup de rendez-vous que j’étais désormais les deux : banquier et assureur, pour son plus grand confort (mais en réalité surtout de celui de la banque). Bref, ”le ménage doit être fait” nous assure le N+2.
Encore du nouveau : changement de logiciel et avec cela changement radical de méthodes de travail. Avant, nous rétrocédions commercialement un grand nombre de frais (frais intervention, agios, cotisation carte à moitié prix…). On passait donc pour le gentil banquier qui disait après quelques minutes de négociation avec le client « Mais oui, Monsieur Y, je vais faire un geste, je vous enlève la moitié de vos agios… Voilà c’est fait, ils sont sur votre compte. Alors, content Monsieur Y ? ».
Avec ce changement de logiciel, le N+2 nous confie le matin même ”Désolé messieurs les conseillers, les rétrocessions ne fonctionnent plus avec le nouveau logiciel, tout est manuel maintenant”. Les conseillers et directeurs doivent donc passer par des feuillets papier, à faire signer par N+1 voire N+2 selon les montants. Impossible de rétrocéder automatiquement en un clic, comme cela était possible avant.
Bref, vous l’aurez compris, le but était d’épuiser les Conseillers et les Directeurs par le remplissage scolaire de ces petites feuilles de papier (taille A5) ; sans parler de la gestion bureaucratique, passant par le siège pour certains, d’autres à la direction locale… des feuillets perdus ou volatilisés… Les collaborateurs se sont donc rapidement cachés derrière la facilité (l’humain est faible, le commercial l’est encore davantage), à savoir que le système de rétrocession ne fonctionnait plus avec le nouveau logiciel, et que les frais d’intervention (certains clients artisans voyaient parfois leur bilan grevé de 5000 voire 8000 euros par an de ces frais) étaient un juste retour du travail de leur conseiller bancaire (argument commercial donné par une note interne).
Avec ce nouveau logiciel, nous pouvions également vérifier au millimètre les flux entrants et sortants (pour faire simple l’argent qui entre et qui sort du compte professionnel), avec des alertes journalières à traiter… Une gestion militaire des flux ! Il fallait à tout prix éviter qu’un client ne nous échappe, et qu’il confie son flux à la banque voisine, même partiellement… Le flux c’est le nerf de la guerre, il faut que le client ait de l’argent frais sur son compte, c’est bon pour la banque et son bilan, ça fait grossir les chiffres. Autre directive : bloquer l’argent superflux (le trop plein non utilisé des comptes professionnels), en faisant souscrire aux entreprises les fameux Compte à Terme, bloqué pendant 1 mois, 2 mois … 6 mois, voire 5 ans. C’était bon pour la banque ! Les objectifs de collecte grossissaient… et sur du long terme.
Nouvelle année, nouveau crédo ”vendre au particulier”. Des objectifs « particulier » apparaissent sur les fiches des pro. Je m’étonnais ”Enfin, j’ai été embauché pour faire du PROFESSIONNEL”… En me répondait ”Ben oui, mais derrière tout client professionnel il y a un client particulier, et c’est bon pour la banque”. J’obéissais en bon petit soldat bancaire, d’autant plus que mon cadre me faisait miroiter un bon petit pactole à se partager si les objectifs de l’agence étaient atteints. Il fallait donc l’équiper en carte bancaire et assurance perte et vol ”pour passer l’hiver”, l’équiper en compte bancaire pour ses enfants, en livret A, en PEL… et pour finir en assurances.
En 2008-2009 au plus fort de la crise s’en sont suivis de très nombreux RJ ou LJ, de belles entreprises, de beaux artisans et commerçants, rentables auparavant, coulées par le monde impitoyable des financiers et de la Banque X, qui rappelons-le avait été créée par un artisan et deux commerçants il y a plus d’un siècle, car ils ne trouvaient pas de financement. Les rendez-vous ressemblaient bien souvent à des enterrements… Mais bon, le Produit Net Bancaire (PNB) de l’établissement grossissait… et la banque disait que c’était BON, alors nous foncions !!!!
Ceci n’est qu’un aperçu du travail de sape accompli par les banques, qui jouent le bon rôle dans leur publicité en parlant local et financement… mais qui une fois passé dans leur arrière-boutique se révèlent être des monstres avides de rentabilité, et cela à tout prix… et surtout avec quel but final (je me le demande toujours).
En 2012, je n’ai plus supporté les objectifs toujours plus lourds et les rendez-vous journaliers dans le bureau de mon N+1 pour lui donner les résultats bâtonnités de la veille. Après un Burn-Out, j’ai décidé d’en arrêter là. ”I’m free, like a river…” Aujourd’hui, je travaille pour une association à but non lucratif en tant que support comptable.
Bref, mon expérience me fait dire qu’il faut passer à un autre système, plus sain, plus personnalisé, plus proche, plus HUMAIN ! En espérant avoir aidé certain à ouvrir les yeux sur certaines pratiques…
Vous vous demandiez peut être pourquoi votre banquier veut à tout prix vous ouvrir un PEL alors que vous êtes à découvert en permanence… Rien n’est innocent, soyez-en certain !”
Signé : un lecteur du blog. …

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