Frappes en Syrie : flou sur la stratégie, flou sur les cibles, flou sur les résultats.



Frappes en Syrie : flou sur la stratégie, flou sur les cibles, flou sur les résultats.

Pour Donald Trump, c'est "mission accomplie". Mais les frappes occidentales de la nuit de vendredi à samedi font émerger plus de questions que de réponses.

Trump ironise. "Les frappes en Syrie ont été si parfaitement menées que les Fake News médias n'ont trouvé à dénigrer que mon utilisation de l'expression 'Mission accomplie' !" Il faut dire que la référence historique est trop belle. Le dernier président américain à avoir prononcé les mots "Mission accomplished" était George W. Bush, le 1er mai 2003, à bord du porte-avions Lincoln. La guerre d'Irak devait encore durer plus de huit ans. La phrase, elle, est devenue le symbole de l'enlisement américain au Moyen-Orient.

C'est dommage, résume Trump. "On devrait l'utiliser de nouveau, et souvent !" Sauf qu'une fois encore, l'ambiance est au bourbier. Les frappes menées conjointement dans la nuit de vendredi à samedi par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ne clarifient ni la stratégie des puissances occidentales, ni le jeu diplomatique. Leur timing, une semaine après le largage de barils de chlore sur Douma, mais à la veille du début de l'enquête de terrain de l'OIAC, est étrange. Leurs résultats, dont la faible ampleur contraste avec la pompe des discours punitifs, pour le moins incertains.

"Les cibles étaient toutes liées étroitement et spécifiquement à la production ou au stockage d'armes chimiques", "les moyens pour les larguer n'ont même pas été touchés", assure à l'AFP Faysal Itani, chercheur du think tank Atlantic Council à Washington.
"Ces frappes risquent d'envoyer à Assad le message suivant : 'Tu n'as pas le droit de mener des attaques chimiques, mais tout le reste, c'est bon, vas-y.'".

Des clichés satellites montrent les destructions

En l'espace de 45 minutes, la coalition a brûlé près de 50 millions de dollars de missiles. Mais de ces frappes, seuls le symbole et l'écho médiatique semblent subsister : au téléphone, Macron, Trump et May se sont félicités d'avoir envoyé un "message clair". A Washington, on se réjouit aussi de la "coalition" que le président américain "a su former" avec "deux autres membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU", la France et le Royaume-Uni. Il y a un an, les Etats-Unis avaient certes frappé seuls. Mais une semaine de menaces et d'intenses tractations avaient fait naître des spéculations sur la possibilité de raids d'une toute autre envergure. 

Le président du Council on Foreign Relations Richard Haass constate ainsi sur Twitter qu'il "n'y a pas de changement visible dans la politique américaine à l'égard de la Syrie" : "Les frappes américaines sont une réaction légitime mais limitée à l'usage d'armes chimiques. [...] Les Américains n'ont pas agi pour affaiblir le régime", assure cet ex-diplomate respecté.

Signe du caractère déroutant de ces frappes, la Russie semblait hésiter samedi entre dénoncer leur gravité et minimiser leur portée, soulignant qu'elles avaient été pour beaucoup interceptées et n'avaient fait "aucune victime". Les "installations ayant trait au prétendu programme chimique de Damas ont été en partie détruites", reconnaît Moscou, qui affirme néanmoins que les bâtiments "ne sont plus utilisés depuis longtemps et étaient vides de tout personnel ou matériel".
Samedi, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) faisait également état de missiles tirés sur des locaux de la garde républicaine à Damas, sans que cette information soit confirmée par les belligérants.

Le Pentagone a publié samedi des clichés satellites avant / après pour montrer la destruction totale des trois cibles officiellement touchées par les missiles de la coalition :
  • Le centre de recherche de Barzeh, présenté comme le lieu de développement principal des armes chimiques syriennes, au nord de Damas (76 missiles américains)
  • Un centre de stockage et de commandement à Him Shinshar, dans la région de Homs (22 missiles des trois pays)
  • Un autre entrepôt d'armes chimiques à Him Shinshar (7 missiles français)

Les cibles étaient-elles vraiment stratégiques ?

"Les trois complexes sont – ou plutôt, étaient – les composantes fondamentales de l'infrastructure du programme chimique syrien", a expliqué le général américain Kenneth McKenzie en conférence de presse. En particulier le site de Barzeh, réduit à l'état de "gravats" :
"Nous pensons qu'en frappant Barzeh, nous avons touché le cœur du programme d'armes chimiques syrien".
Le général McKenzie a toutefois reconnu que le régime Assad conservait une certaine capacité d'attaque par agents chimiques. "Je ne vais pas dire qu'ils sont désormais incapables de mener une attaque chimique. Cependant, je soupçonne qu'ils y réfléchiront désormais à deux fois", a-t-il conclu face à la presse.

Dans un rapport rendu public par le Quai d'Orsay samedi, les renseignements français affirment leur certitude que "la Syrie n'a pas déclaré l'intégralité de ses stocks" d'armes chimiques en 2013, et a "omis de déclarer un grand nombre d'activités du Centre syrien d'études et de recherches scientifiques". Parmi les sites tardivement déclarés est cité le complexe de Barzeh, où se sont rendus les inspecteurs de l'OIAC (Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, sous l'égide de l'ONU) en novembre 2017.
Sauf que dans son rapport publié le 23 mars, l'agence écrit que "l'analyse des échantillons relevés sur place n'indique aucune présence de produits chimiques interdits", et que "l'équipe d'inspection n'a observé aucune activité incompatible avec les obligations de la Convention".
(Source : OIAC)
Trois semaines plus tard, les trois bâtiments étaient pourtant noyés sous 57 missiles Tomahawk (mer-sol) et 17 missiles JASSM (air-sol). Interrogés par la presse, les responsables américains ont prudemment évité de confirmer que les sites visés étaient actifs au moment de l'attaque de Douma, note le "New York Times". De quoi poser de sérieuses questions sur le caractère stratégique des cibles retenues par l'état-major de la coalition.
Hormis la publication d'une poignée de communiqués prévisibles, le clan Assad semblait d'ailleurs plutôt paisible samedi matin. A l'image de Bachar, le pas tranquille et la cravate impeccable, marchant au son des chants d'oiseaux dans une brève vidéo de propagande intitulée "Un matin comme les autres". Quelques heures plus tard, l'agence Sana annonçait l'écrasement final de la Ghouta orientale. 

T.V.
Par Bendriss Chahid

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