Davos, le sommet de l'hypocrisie

Davos, le sommet de l'hypocrisie. 


Dans un remarquable accès de lucidité, les éminences en limousine réunies au sommet de Davos estiment qu’il est temps de «remoraliser» la globalisation (dixit Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum) et de rechercher les voies d’une économie mondiale «plus inclusive»

Gigantesque percée conceptuelle… 
Au moment où les obscurantistes chauvins ont conquis le pouvoir aux Etats-Unis, aux Philippines, au Brésil, en Hongrie, en Italie et dans divers pays de moindre calibre, tandis que les partis nationalistes et xénophobes font leur pelote dans la plupart des démocraties de la planète, il est effectivement temps pour les dirigeants de l’économie mondiale de laisser percer un soupçon d’inquiétude. 
Laquelle inquiétude est le fond de sauce de la moitié au moins des éditorialistes de la planète depuis de longues années. Si bien qu’on en vient à poser la question qui dérange : est-il besoin de se jucher en majesté sur des pics enneigés pour débiter de telles platitudes ? 

On croit avoir affaire à un symposium de haute tenue dans les montagnes suisses, on craint surtout d’assister à un meeting de crétins des Alpes.
Contrairement à ce qu’affirme parfois la littérature altermondialiste, toujours sujette à des formes de complotisme, le Forum de Davos n’est pas l’état-major secret de la mondialisation libérale. Nulle décision n’en sort, nul pacte obscur, nulle stratégie commune. 

Au demeurant, les participants sont plus divers qu’on le croit, puisqu’à côté des PDG et hauts managers qui se pressent en foule dans les rues obstruées de bouillasse neigeuse de la station de ski, on trouve beaucoup d’universitaires, de chercheurs, d’artistes, d’élus de tous les partis et de dirigeants d’ONG très respectables, même si chefs d’Etat et sommités des multinationales à la Bill Gates tiennent en général le crachoir dans les séances plénières. Il s’agit plutôt d’un colloque privé à grand spectacle, sans objet opérationnel, où les dirigeants de la planète viennent prendre la température du globe et pratiquer, au cours d’innombrables débats sur les sujets les plus variés, une sorte de séminaire d’intégration idéologique à l’échelle mondiale.

Il a aussi une fonction plus triviale : arrondir régulièrement le patrimoine de Klaus Schwab, professeur suisse qui s’exprime en anglais germanique, comme le capitaine Schultz dans To Be Or Not to Be, devenu au fil des ans milliardaire en francs suisses, dans la mesure où chaque entreprise participante (il y en a plusieurs centaines) verse à l’organisateur quelque 60 000 euros pour figurer dans les tables rondes et déléguer ses hauts cadres dans les hôtels cossus qui accueillent le Forum.

Chaque année, en fait, les stars de Davos se lancent dans un numéro de violon émouvant sur les excès regrettables de la mondialisation, sur les rémunérations excessives des PDG, sur les inégalités qui se creusent à l’échelle planétaire. 
Ils reviennent ensuite de Davos nimbés de ces fortes paroles, mais, à l’inverse de Moïse descendant du mont Sinaï avec les dix commandements, ils reviennent de leur nid d’aigle sans aucune maxime impérative et continuent comme devant à conduire la mondialisation à leur guise, c’est-à-dire en fonction de leur strict intérêt de PDG ou d’actionnaires.

En 2008 et 2009, déjà, ils avaient juré, croix de bois, croix de fer, qu’ils mettraient bon ordre aux extravagances de la finance mondiale. 

Paroles, paroles… 
Ce sont les gouvernements élus qui s’y sont collés, tandis que les banquiers hurlaient à la mort devant les prudentes réglementations édictées par les gouvernements et que les industriels continuaient à pratiquer à haute dose l’optimisation fiscale et l’augmentation continue de leurs émoluments déjà himalayesques. 

Pourtant cette fois les dangers politiques sont bien réels. 
L’Europe unie est menacée, les Etats-Unis sont aux mains d’un père Ubu à mèche peroxydée, les nationalistes sont partout à l’offensive. 
Pendant ce temps, les grands prêtres du libéralisme ouvrent la voie aux démocraties illibérales et se satisfont de quelques prêches lénifiants. Ils croient penser sur une montagne. Ils enfilent des perles sur un volcan.



Commentaires