RH : comment gérer l’hypercroissance dans une boite web ?

RH+ : Comment gérer l’hypercroissance dans une boite web ?

En marge de la dernière édition d’Inbound Marketing France, dont nous étions partenaires, nous avons eu le plaisir de rencontrer Manuel Diaz, qui intervenait dans différentes conférences au cours de la journée. 

Entrepreneur depuis plus de 20 ans et pionnier du digital en France, il est président de l’agence de communication globale Emakina France. Il revient dans cette interview sur son expérience en matière d’hypercroissance des effectifs, d’internationalisation, d’esprit startup et de management horizontal.

Peux-tu nous présenter ton rôle au sein d’Emakina, et l’évolution de la société depuis que tu l’as intégrée ?
J’ai fondé la partie française d’Emakina. L’histoire a commencé en 1997 avec mon frère, à deux. Emakina Group a bien évolué depuis, avec 1000 collaborateurs en Europe. Nous sommes environ 100 en France, avec un siège social à Limoges, là où tout a commencé, et une succursale à Paris. Le digital n’impose pas la centralisation, bien au contraire !
L’agence est toujours indépendante, ce qui est un point très important pour nous, notamment face à l’arrivée de grands groupes sur le marché. La culture digitale est assez peu soluble dans la culture publicitaire, qui s’y est pourtant beaucoup intéressée ces dernières années. Le monde du conseil a également intégré le paysage concurrentiel, avec des entreprises comme Capgemini, EY ou McKinsey. En parallèle, Emakina se développe aussi à l’international, que ce soit en propre ou à travers ses réseaux de partenaires. Nous sommes présents en Asie, aux États-Unis et au Moyen-Orient. Avec ce réseau, nous atteignons les 2 000 collaborateurs.
La croissance semble s’être accélérée ces dernières années…
Cela peut aller très vite, quand certains seuils sont atteints. Dans certains cycles de croissance, on peut ajouter 200 ou 300 salariés en une seule opération, notamment avec des acquisitions qui nous permettent de conquérir de nouveaux territoires plus rapidement. Nous sommes dans un business de la vitesse, où notre enjeu est d’être capable d’accompagner nos clients sur les différentes zones géographiques où ils sont eux-mêmes implantés. Pour que cela fonctionne, il faut un système très décentralisé, basé sur la confiance et la compétence, qui nous permette d’aller vite. Ce sont nos deux leitmotivs dans nos recrutements : s’accompagner de personnes ultra compétentes et très autonomes.
Comment anticiper cette croissance, notamment au niveau des effectifs ? Par une structuration préalable ou par une agilité et une réactivité accrues ?
Nous raisonnons beaucoup en fonction de l’enjeu business de nos clients donc nous essayons d’adapter la croissance de l’agence sur la croissance des besoins de nos clients. Nous avons évidemment des objectifs à deux ou trois ans, mais penser au-delà de cette période est de la science-fiction. On observe les enjeux de nos clients, notamment en termes de cibles géographiques. Nous anticipons en étudiant ces zones, leurs enjeux et besoins spécifiques, en ne nous mettant pas d’impératifs de dates pour d’éventuelles acquisitions sur place. Nous souhaitons driver la croissance par la compétence, pas uniquement disposer d’un numéro de téléphone local. Nous prenons donc le temps qu’il faut pour faire les bonnes rencontres et mener à bien des deals qui ont du sens pour nous et nos clients.
Nous avons également un fort aspect geek : la croissance de l’agence est aussi construite sur un backbone commun d’outils et de méthodologies, qui sont d’ailleurs nourris par l’ADN des réseaux sociaux. Nous construisons une manière de dialoguer et d’échanger des informations à partir de ces outils, quitte à développer nous-même des bots ou des modules complémentaires, pour permettre une culture commune et une transversalité des échanges. Ils induisent un état d’esprit, un travail en réseau, qui rendent la hiérarchie extrêmement à plat. Il est facile d’interpeller n’importe qui, de discuter avec son boss ou avec des collaborateurs d’un autre pays qui font le même travail. Nous nous sommes éloignés de la structure en pyramide, qui peut freiner les projets d’innovation et de transformation d’entreprise, pour arriver à une organisation très orientée network. En résumé, notre objectif est d’être la plus grosse startup de la planète !

Les bureaux d’Emakina à Paris
Comment garder un esprit start-up, justement, dans un contexte de forte croissance ?
On entend souvent qu’une startup, c’est une boite qui est par défaut en faillite. 
Ce n’est pas notre cas : nous avons plus de 20 ans, nous sommes côtés en bourse… 
En revanche, au niveau de l’état d’esprit, nous avons beaucoup de points communs. Une startup, c’est une boite qui autorise l’échec, dans laquelle on ne fait pas le même job linéaire pendant des années, mais où on peut changer de scope et changer de job au gré de son apprentissage. 
Une startup, c’est une boîte dans laquelle on est obligé d’apprendre parce que l’on sent une opportunité. On n’est pas prêt à l’adresser complètement, on n’a peut-être même pas toutes les compétences pour le faire, et il va falloir que l’on apprenne, avec humilité, pour y arriver. Nous essayons de conserver cet état d’esprit depuis plus de 20 ans.
Quelle est votre stratégie pour réussir à intégrer des personnes qui se fondent dans cet état d’esprit ?
Une stratégie basée sur la chance n’est pas une stratégie. C’est donc en partie une affaire de rencontres, mais le réseau n’est pas scalable. On utilise en revanche un certain nombre de critères de bon sens dans le choix des collaborateurs. Nous avons fait le choix de ne pas avoir de RH. Nous avons une personne qui est en charge de ce que l’on appelle l’expérience client et l’expérience employé. Nous souhaitons faire vivre aux équipes la même expérience que l’on promet aux clients. Trop de sociétés connaissent des réalités très éloignées entre le marketing et la réalité au quotidien. Avoir une personne à mi-chemin entre ces deux tâches permet de donner de la cohérence.
Un autre point important chez nous est le mix des générations. Nous recrutons des gens jeunes à qui on propose un parcours en quatre ans maximum pour devenir senior. Au-delà de ce seuil, nous n’avons que des parcours individualisés. Nous considérons qu’une fois devenu senior, on a la maturité et la connaissance de la culture de la boîte suffisantes pour travailler de cette manière. Ces parcours individualisés sont composés de cycles de 12 à 24 mois avec des challenges, des zones d’apprentissage et pourquoi pas des changement de pays. Nous avons la chance d’être présents dans de nombreux pays, c’est une réelle opportunité pour beaucoup de gens.
Comment se passe la gestion des équipes au quotidien sans DRH ?
Ce sont les managers de proximité qui gèrent les équipes. Cela permet d’être au plus près des collaborateurs. La réalité, c’est que la personne qui vous connait le mieux, c’est celle à côté de qui vous bossez, avec qui vous partagez des projets, qui vous aide à grandir. C’est donc lui qui est le plus à même de vous proposer des cycles d’apprentissage ou vous inspirer sur vos parcours et vos challenges.
Pour que cela fonctionne, il faut avoir l’organisation la plus flat possible. Je pense qu’à Emakina, personne ne doit être séparé de plus de 2 ou 3 degrés maximum du top management, des associés. Tout le monde peut aller parler avec les associés ou avec les managers des différents pays. On y tient beaucoup. C’est comme cela que les juniors peuvent apprendre rapidement.
Quand on est dirigeant et que l’on a l’habitude de travailler au plus près des dossiers, n’est-ce pas difficile de passer la main quand ils deviennent trop nombreux ?
Je suis un pur produit du digital. J’ai commencé à 18 ans en autodidacte et je viens du code donc je n’arrivais pas à intellectualiser des choses que je ne faisais pas. J’aime bien avoir les mains dans le concret, m’asseoir à côté des équipes, parler des problèmes dans les projets et essayer de comprendre quel est leur problème pour essayer de le résoudre. Je considère que tu ne peux pas résoudre les problèmes de loin, de haut, avec des reportings dans des fichiers Excel, en regardant des graphiques.
C’est important de monitorer, d’avoir une idée, de sentir d’où vient le vent, mais si tu veux vraiment aider tes équipes, il faut aller t’asseoir à leur table et ça, ce n’est pas scalable. 
Tu ne peux pas aller t’asseoir à la table de tous les projets dans tous les pays donc il faut que tu recrutes des gens qui ont des « hard skills » importantes, mais qui ont surtout des soft skills très développées. 
Des personnes qui demandent pardon plutôt que de demander la permission, à qui tu autorises à apprendre, à qui tu donnes un terrain de jeu où ils sont autonomes et responsables de ce qu’ils font. On en revient à l’essence même de ce que doit être à mon avis un dirigeant.

Plus un leader qu’un manageur. 
C’est quelqu’un qui inspire, qui donne envie aux gens de s’inscrire dans un projet, mais qui ne va pas les infantiliser au point de leur dire ce qu’ils ont à faire au quotidien.



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