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Quand la liberté d'expression est galvaudée.
ALLONS-NOUS DROIT VERS UN ENGRENAGE SOCIAL ?
Doit-on, au nom de la liberté d'opinion, laisser dire ou écrire n'importe quoi, sur n'importe qui, sans aucune limite, en toute impunité ?
La question des libertés aujourd'hui rebondit ce temps-ci à la faveur de certaines affaires médiatiques et judiciaires.
Ce serait sain, pourrai-t-on dire, puisque ce serait l'illustration d'une vitalité de la vie démocratique et politique.
N'est-ce pas en effet l'apanage des pays ouverts, libéraux, que de s'intéresser publiquement à cette problématique conduisant à l'interpellation de l'Etat et de ses organes délégués ? Mais cette effervescence ne traduit-elle pas aussi -et plutôt ?- un rétrécissement des espaces d'opinion et de liberté nourrissant en retour une mobilisation de militants associatifs et de réseaux sociaux ? Il faut parler concret. Un blogueur, un certain Omar Radi, devait-il être arrêté, le 26 décembre 2019 puis relâché cinq jours plus tard pour un tweet d'avril dernier ?
Poursuivi pour «outrage à magistrat», il sera jugé dans deux mois, le 5 mars. Personne ne peut se réjouir de la détention de quiconque et, en l'espèce, la libération de ce blogueur ne peut donc que réjouir.
Justiciers blogueurs
Mais pour autant, la liberté d'opinion dans un support digital est-elle un absolu ? Qualifié de «bourreau», un magistrat de la cour d'appel de Casablanca n'a-t-il pas droit à la protection de la loi alors qu’il a été également décrit comme «sans dignité» ? Dans quel système judiciaire serions-nous si des «justiciers» blogueurs s'arrogeaient le droit de juger et de condamner telle ou telle personne dépositaire d'une autorité publique et, globalement, tout citoyen ? Assurément, le climat prégnant aujourd'hui est plutôt la crispation.
Ces jours-ci encore, un jeune lycéen a été condamné à 3 ans de prison terme pour avoir posté sur Facebook un texte d'un rappeur lui-même placé en détention.
Pour l'année 2018, six journalistes ont été condamnés à des peines d'emprisonnement.
Ce qui place le Maroc, selon Reporters sans frontières, au 135ème rang en matière de liberté d'opinion sur 180 pays.
Un classement recyclé par l'AMDH, qui met en cause «une campagne féroce de l'Etat contre la liberté d'opinion» ou encore par Human Rights Watch, pour qui le procès du blogueur Radi est «injustifié dans une atmosphère de plus en plus suffocante» pour les journalistes, les dissidents ou les artistes.
Cette association est mois sourcilleuse quant à la situation des Palestiniens dans les territoires occupés- elle regarde toujours ailleurs. Rien de bien nouveau donc dans sa ligne éditoriale.
Cela dit, la rubrique judiciaire actuelle, nourrie par une multiplication d'affaires, pose des problèmes de principe.
Doit-on, d'un côté, au nom de la liberté d'opinion, laisser dire ou écrire n'importe quoi, sans aucune limite? Cet absolu- là n'existe nulle part dans le monde! Des limites y sont apportées relevant de domaines particuliers (sécurité, santé, environnement, vie privée...). Dans l'ancien monde, si l'on ose dire, avant Internet, c'était plus simple parce que le mode d'expression était réglementé par la loi, tant pour l'édition, la presse que l'audiovisuel. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, où la place du numérique voit la confrontation de la liberté d'expression à de spectaculaires avancées technologiques.
Dérives et réglementation
Comment le droit peut-il assurer sa mission et canaliser ce mouvement irrépressible et irréversible avant que des dérives ne se produisent? Pour l'heure, la réglementation s'avère peu opérante pour les pouvoirs publics, lesquels se replient pratiquement sur le bon vieux code pénal pour en tirer d'ailleurs la lecture la plus sévère et la plus restrictive -3 ans de prison frappant un jeune pour une reprise d'un clip d'un rappeur lui-même condamné, la main de la justice est un peu lourde...
Il est vrai que l'on ne pouvait pas non plus laisser faire parce que ce serait la porte ouverte à tous les excès et un encouragement à voir un «système» digital s'en prendre à des corps constitués et à des institutions.
Les acquis fragilisés
Dans la nouvelle Constitution, tout un bloc de droits fondamentaux et de libertés a été consacré dans pas moins d'une vingtaine d'articles.
Il s'agit d'une grande avancée, exemplaire, marquant bien l'arrimage du Maroc aux standards internationaux les plus avancés.
Les réseaux sociaux sont en avance sur les textes en vigueur, ils ouvrent largement la voie à une totale liberté d'expression.
Mais celle-ci doit-elle pour autant générer et conduire à l'irresponsabilité ? Que dire aussi de l'exigence de la protection de la vie privée ?
Ce principe a été lui aussi constitutionnalisé.
Et les données personnelles sont une partie de ce principe.
L'évolution chaotique qui s'est développée ces dernières années a forgé, par touches successives, un paradoxe : l'usage sans limites de la liberté d'expression a fait réagir les pouvoirs publics estimant que des abus avaient été commis et qu'il fallait actionner la loi pénale.
C'est là une sorte d'engrenage répressif, se voulant dissuasif sans doute, mais qui fragilise en même temps les acquis politiques et constitutionnels de la liberté d'expression et des autres libertés individuelles et publiques. Le procès fait à cette occasion à l'institution judiciaire est-il la bonne réponse ?
N'est-ce pas ce même pouvoir qui est -et qui doit être- le garant du respect de la légalité et de l'Etat de droit? Un recadrage et un ajustement sont à faire, sans doute, mais aussi du côté des réseaux sociaux, qui ne bénéficient d'aucune immunité ni de privilège d'exemption de responsabilité.
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