Au Maroc, le coronavirus fait exploser la facture de l’école à distance.

Au Maroc, le coronavirus fait exploser la facture de l’école à distance.
L’école africaine à l’heure du coronavirus (1). 
Malgré la mise en place de cours gratuits en ligne, les parents n’ont pas d’autre choix que le téléphone pour rester en contact avec les enseignants.

A Casablanca, le 9 mars 2020. FADEL SENNA / AFP
Jamais les inégalités scolaires au Maroc n’ont été aussi criantes qu’en temps de confinement. Depuis la fermeture des écoles, le 16 mars, 8 millions de jeunes Marocains doivent relever le défi de l’enseignement à distance. Il y a les élèves pour qui l’apprentissage sur écran est une évidence, qui ne manquent jamais un cours en ligne ou une visioconférence. 
Et ceux pour qui chaque connexion, chaque mail envoyé, chaque devoir numérique est une épreuve. 
Et surtout un coût pour la famille.
Présentation de notre série L’école africaine à l’heure du coronavirus

« Je dois payer cher la connexion Internet pour que ma fille puisse suivre l’école à distance. » Fatima-Zohra, une femme de ménage de 42 ans, habite un douar pauvre près de Casablanca. Depuis que le royaume a instauré un confinement obligatoire pour endiguer l’épidémie du coronavirus, l’enseignement à distance est assuré sur des plateformes éducatives numériques gérées par le ministère de l’éducation. 
Lundi 20 avril, le Maroc, qui compte 2 990 cas de contamination et 143 décès, est le troisième pays le plus touché du continent derrière l’Egypte et l’Afrique du Sud et devant l’Algérie.


Mais ni Fatima-Zohra ni ses voisins n’ont une connexion Wi-Fi. Au Maroc, si le taux de pénétration a atteint le chiffre record de 71,33 % en 2019, selon l’agence nationale de réglementation des télécommunications, 93 % de l’accès à Internet se fait par mobile. « Les infrastructures internet fixes sur le territoire marocain sont insuffisantes, notamment dans le milieu rural, où il y a très peu d’ADSL, explique Khalid Ziani, expert en télécoms. 
En plus, 90 % du parc Internet mobile est en prépayé, c’est-à-dire que les clients achètent des recharges selon leur consommation. Or le prix de la data en prépayé est quatre fois plus cher qu’en abonnement. 
Mais les gens qui ont des revenus irréguliers n’ont pas le choix, et la moitié des Marocains n’ont pas de compte bancaire, il leur est impossible de souscrire à un abonnement. »

Don de recharges prépayées
Ainsi, en consommant plus, Fatima-Zohra paie plus. « Avant, je payais 100 dirhams (environ 9 euros) par mois. Depuis que ma fille étudie sur mon téléphone, c’est 100 dirhams par semaine, soit un quart de mon salaire hebdomadaire maintenant qu’il n’y a plus de boulot », regrette la mère de famille. « C’est un scandale que ce soient les plus démunis qui paient le plus lourd tribut de l’école à distance. 

La fracture numérique est en train de s’aggraver : une petite partie de la population a accès à une connexion illimitée à prix abordable tandis que la majorité a accès à une connexion limitée et très chère, abonde M. Ziani. Les opérateurs devraient rendre l’accès à Internet gratuit pour les titulaires d’une carte prépayée pendant le confinement. »

Face à ces difficultés, les trois opérateurs marocains, en collaboration avec les ministères de l’éducation et de l’industrie, ont décidé d’offrir temporairement l’accès à tous les sites et plateformes officielles d’enseignement à distance. Une initiative jugée insuffisante par les parents d’élèves. « Les sites web, c’est trop compliqué
Pour toutes les écoles, on sait très bien que le moyen de communication principal, ce sont les groupes Whatsapp. 
Les professeurs utilisent l’application pour envoyer des notes vocales. 
Mais chaque téléchargement me coûte ! », proteste Fatima-Zohra. 
Et même si les cours sont aussi diffusés sur des chaînes de télévision nationale, Whatsapp reste le moyen exclusif de communication avec les enseignants.

« C’est dommage, beaucoup d’idées et d’initiatives d’entraide ont été lancées pendant le confinement afin d’aider les élèves de façon ludique et intelligente. Malheureusement, le problème de l’accès à Internet est un obstacle à leur réalisation, déplore Jalal Bricha, directeur de l’Act School, une école basée à Youssoufia qui propose un programme éducatif et culturel gratuit à des jeunes marocains en difficulté. 

Nous avons fait le calcul : pour que nos élèves puissent suivre le parcours à distance, il leur faudrait dépenser chacun 1 000 dirhams (90 euros) par mois, c’est énorme. » Heureusement, la wilaya d’Agadir s’est engagée à faire un don d’un mois de recharges prépayées pour 48 participants au programme de l’Act School. 

Partout au Maroc, des collectivités, des associations et des bénévoles se mobilisent pour tenter de maintenir tant bien que mal un accompagnement à distance pour les plus démunis.



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