Christophe Maquet : « L'Afrique est une terre de défis »



Christophe Maquet : « L'Afrique est une terre de défis » 


ENTRETIEN. Avec le Covid-19, l'eau et l'assainissement se sont révélés des fondamentaux de santé publique et de développement de l'Afrique, mais aussi des opportunités pour les entreprises. 


Le témoignage de Veolia.


Avec l'obligation de se laver les mains, l'eau est devenue, avec le Covid-19, un enjeu sanitaire, et plus seulement agricole. © ISSOUF SANOGO / AFP

Si la crise du Covid-19 a confirmé combien les systèmes de santé des pays africains étaient fragiles, elle a aussi montré combien les politiques publiques liées à l'eau et à l'assainissement devraient être plus proactives pour mieux accompagner les programmes de développement économique, humain et social. Parties intégrantes des fondamentaux pour atteindre les objectifs de développement durable derrière lesquels sont tapis les éléments de qualité de vie des populations, les questions d'eau et d'assainissement ont révélé pendant cette crise du Covid-19 combien elles étaient un chaînon important non seulement du secteur sanitaire, mais aussi de l'agriculture. Vice-président Afrique et Moyen-Orient du groupe français Veolia, Christophe Maquet s'est confié au Point Afrique sur toutes les dimensions de leur problématique sur le continent africain.

Le Point Afrique : Au-delà de sa dimension alimentaire et économique, la crise du Covid-19 a fait de l'eau un enjeu de santé publique. Comment l'avez-vous géré avec vos différents clients sur le Continent ?


Pour Christophe Maquet, vice-président de Veolia en charge de l'Afrique et du Moyen-Orient, les services de l'eau et de l'assainissement sont autant des opportunités d'affaires que des moyens d'accompagner l'Afrique dans sa projection vers un avenir durable. © Véolia


Christophe Maquet : La crise du Covid-19 rappelle au monde entier combien nos services sont essentiels. L'eau et l'assainissement sont indispensables à la santé publique et certaines étapes de traitement comme la désinfection ont pour finalité d'éliminer tous les virus dont le coronavirus. L'Organisation mondiale de la santé et toutes les agences sanitaires ont ainsi précisé que ce virus ne résiste pas aux traitements habituels de l'eau potable qui peut être consommée en toute confiance. Elle est la meilleure alliée du premier des gestes barrières : se laver régulièrement les mains avec du savon !


C'est la raison pour laquelle au Maroc, au Niger, en Côte d'Ivoire, en Namibie, au Ghana ou en Afrique du Sud, nous nous sommes organisés pour garantir le maintien en permanence de nos activités et répondre notamment aux besoins des populations en eau. Dès le début de l'épidémie, nous avons activé nos plans de continuité, organisant pays par pays, et métier par métier, la poursuite de l'ensemble de nos activités dans l'eau, l'énergie et les déchets, tout en protégeant nos collaborateurs. La mobilisation de nos équipes a été formidable. Elle a permis de ne pas ajouter de crise à la crise.


Comment comptez-vous anticiper sur l'Afrique la survenue d'un événement si exceptionnel ?

Il est évident que pour lutter de façon durable contre la propagation du Covid-19 et prévenir toutes les pandémies à venir, la disponibilité d'eau potable à proximité immédiate des habitations pour l'ensemble de la population est un impératif. De ce point de vue, la mobilisation des États africains à l'alerte lancée par la Chine et l'OMS a été très rapide dans la majorité des pays où les autorités ne se sont pas laissé surprendre, bénéficiant de la gestion de l'épidémie sur les autres continents, mais aussi de leur propre gestion d'épidémies antérieures. Cette mobilisation a été générale et transversale, impliquant chaque communauté, chaque pan de la société et de l'économie.


Même s'ils ont surtout mis l'accent sur l'urgence sanitaire et peu sur l'amélioration de l'accès à l'eau et à l'assainissement, la majorité des gouvernements et des sociétés africaines ont su prendre à temps des mesures très courageuses de prévention et il y a de ce point de vue des leçons à retenir de leur gestion de la crise. Cette réactivité nous a aidés à poursuivre nos missions sur le continent. Rompus à la gestion des crises, les femmes et les hommes de Veolia s'appuient sur des méthodes éprouvées pour remplir leurs missions auprès des collectivités comme des industriels, même dans des conditions dégradées.


Que représente aujourd'hui l'Afrique pour un groupe comme Veolia ?

Engagés sur le continent africain depuis plus de 21 ans, avec un peu plus de 1 milliard de chiffre d'affaires, nous desservons près de 8,5 millions d'habitants pour l'eau potable, 6,6 millions pour l'assainissement et 3,8 millions pour l'électricité, avec quelque 6 500 collaborateurs répartis au Maroc, en Afrique de l'Ouest et en Afrique australe. 
Dans cette partie du monde qui connaît un développement sans précédent et où la gestion des ressources naturelles est un élément stratégique, nous avons déjà fait la preuve de notre valeur ajoutée. Au Maroc par exemple où, depuis 2002, à Rabat, à Salé, à Tanger et à Tétouan nos performances en matière de gestion déléguée ont conduit les taux de desserte à atteindre pratiquement 100 % et où les taux de rendement eau et électricité ont nettement progressé pour se situer à 82 % pour l'eau et 93 % pour l'électricité. Notre expertise séduit aussi les industriels. Au Ghana, nous sommes ainsi aux côtés d'AngloGold Ashanti, 3e producteur mondial d'or, afin de privilégier une bonne gestion des eaux et éviter des problèmes de pollution générée par l'extraction des minerais. Fort de ces belles réussites, nous visons une dynamique de croissance encore jamais atteinte en Afrique pour Veolia.


Avec une Chine de plus en plus agressive en Afrique, la donne a-t-elle changé pour une entreprise française comme Veolia ? Si oui, dans quel sens ?


Veolia connaît bien la Chine. Nous y avons de nombreux contrats de gestion des pollutions difficiles liés au renforcement des contraintes environnementales décidé par le gouvernement pour tenter de résorber la pollution. 
C'est donc naturellement une terre de croissance pour nous qui disposons de l'expertise et du savoir-faire attendus en la matière.
Dans une installation de Veolia au Niger. © Véolia





La montée en puissance de la Chine en Afrique ne change rien pour Veolia, car, ce que nous faisons, peu d'entreprises sont capables de le faire. Citons encore le cas des industriels confrontés à des défis cruciaux pour leur développement sur le continent : des objectifs de croissance soutenus, des réglementations environnementales de plus en plus strictes, la raréfaction de la ressource, l'acceptabilité sociale de leurs activités, la nécessité de maîtriser les coûts de production et les risques opérationnels. Ils recherchent des partenaires capables de les soutenir face à ces enjeux essentiels et notre force est de pouvoir à la fois protéger leur droit d'opérer tout en les accompagnant sur la performance opérationnelle, l'image de marque et la responsabilité sociétale et environnementale. Nous sommes habitués à faire la trace, ce qui fait la différence en Afrique comme ailleurs.



Plus que jamais, la question de l'assainissement et des déchets est cruciale. Elle concerne les ménages, mais aussi les unités industrielles ainsi que les centres de santé. Quelles initiatives envisagez-vous d'engager pour la sécuriser de manière durable et écologique ?


Le 9e Forum mondial de l'eau, qui se tiendra au Sénégal, du 22 au 27 mars 2021, dans la ville nouvelle de Diamniadio, sera une nouvelle occasion de rappeler que l'assainissement est le grand oublié des politiques publiques dans les pays en voie de développement. Si les exclus de l'eau potable sont nombreux – 400 millions en Afrique –, les exclus de l'assainissement le sont plus encore. Dans les mégapoles dépassées par leur démographie, l'inflation urbaine engendre des niveaux de pollution insoutenables et le potentiel destructeur d'eaux usées ni collectées ni traitées est explosif. Il convient donc de faire de l'assainissement une priorité politique et de le concevoir dans une filière d'ensemble, intégrant la collecte, le traitement et la valorisation des eaux usées, au lieu de le cantonner aux toilettes individuelles, sujet majeur en termes de dignité humaine, mais limité en matière de santé publique. 
C'est ce que nous faisons au Maroc où des investissements importants ont été réalisés pour que dans le domaine de l'assainissement et de la dépollution des littoraux, les infrastructures se développent au même rythme que la population.

Au Niger, où Veolia est présent, un agent de la SEEN vérifie les installations. © Véolia

Dans un second temps, il faut aussi considérer l'eau usée comme une ressource. Le recyclage des eaux usées est une solution éprouvée pour produire de l'eau industrielle et agricole, voire domestique. Et même pour la boire. En Namibie, pays le plus aride d'Afrique Australe, l'usine de recyclage des eaux usées dont la gestion nous a été confiée alimente 35 % de la population de la capitale Windhoek. L'eau est un bien trop précieux pour n'être utilisée qu'une fois avant d'être restituée à la nature.

Une autre initiative durable et écologique est le lancement au Maroc de notre activité spécialisée dans la gestion des déchets médicaux et pharmaceutiques. Son usine va traiter jusqu'à 4 000 tonnes de déchets produits par les professionnels de santé (centres hospitaliers, laboratoires d'analyse, médecins, vétérinaires) tels que les gants, masques, blouses, seringues, etc. Notre offre comprend des solutions digitales de traçabilité, un espace client dédié et la certification de l'élimination des déchets. Surtout, l'objectif de notre traitement est d'éliminer le risque microbiologique afin de rendre ces déchets inertes et sans danger pour l'environnement. Un enjeu qui résonne fortement dans la période actuelle.

Pour assurer un service de qualité dans vos différents métiers (fourniture d'eau et d'électricité, assainissement, gestion des déchets), y a-t-il un préalable posé aux différents pays et acteurs avec lesquels vous traitez ? Si oui, lesquels ?


Veolia intervient sur des métiers de temps long et, que ce soit avec les pays ou auprès des industriels, nous privilégions toujours une démarche de partenariat et de coconstruction. Prenons le cas du Niger où nous sommes depuis près de vingt ans aux côtés des autorités d'un pays qui ont su adopter un Programme sectoriel eau, hygiène et assainissement visant à assurer un accès universel et équitable à l'eau potable pour les populations à l'horizon 2030. Grâce à notre filiale, la Société d'exploitation des eaux du Niger, près de 4 millions de Nigériens – un chiffre qui a été multiplié par 8 en 20 ans – reçoivent quotidiennement une eau potable de qualité, et ce dans 55 villes et villages répartis sur le territoire.
Sous le soleil d'Afrique, l'envie d'étancher sa soif est régulière. © John Fredricks / NurPhoto / NurPhoto via AFP
C'est aussi le cas en Côte d'Ivoire, où nous sommes aux côtés de PFO Africa, leader du BTP, pour construire des usines et les opérer. Nous y avons récemment signé le contrat de renforcement de l'alimentation en eau potable de la ville de Bouaké, après celui de La Mé qui concerne les habitants d'Abidjan Nord. Grâce à PFO Africa, nous sommes aussi en charge de la réhabilitation de la décharge d'Akouédo. Dans un pays qui vient de signer un décret ministériel prônant une économie plus verte et plus résiliente, toutes les conditions de la réussite sont réunies et cette démarche de coconstruction permet de développer la croissance avec nos partenaires pour mieux la partager.


Comment comptez-vous accompagner l'Afrique dans sa prise en compte de l'urgence climatique et environnementale dans les métiers qui sont les vôtres ?

La Commission économique des Nations unies pour l'Afrique (Uneca) a noté que les secteurs de l'agriculture, l'eau, l'énergie et la préservation des écosystèmes sont considérés comme prioritaires dans la plupart des plans d'adaptation. Beaucoup de pays africains sont déjà engagés sur un modèle de croissance résilient au changement climatique, mais cette voie s'annonce difficile par manque de moyens. 

Il est donc urgent que les États respectent leur engagement de soutenir le Fonds vert, qui est le principal instrument de financement des politiques climatiques pour les pays en développement. Il est clair que l'urgence climatique n'a pas disparu avec la crise, qui doit être une opportunité de relance verte de l'économie sur le continent via les villes et les industries. Cela passe par un meilleur respect de l'environnement. Dans ce « monde d'avec » la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 et dont les conséquences ne sont pas toutes prévisibles, la transition écologique reste une impérieuse nécessité pour aider les collectivités et les industries à construire les paysages de demain et de relever au niveau de chaque pays tous les défis liés à cette transition. 

La faible industrialisation des villes africaines constitue par ailleurs une opportunité pour développer une économie circulaire dans laquelle les déchets des uns deviennent les ressources des autres. Le futur s'écrit avec l'économie circulaire qui permet de développer de solutions résilientes tournées vers le long terme comme la réutilisation des eaux usées. Veolia peut être à la fois compétitif et vertueux en Afrique.

Présent en Afrique subsaharienne, Veolia est aussi un acteur présent dans le Machrek, notamment en Égypte. © DR

Impliqué dans de nombreux pays avec des réalités différentes, comment vous impliquez-vous dans l'économie sociale et solidaire sur le continent ?

Veolia est l'un des premiers groupes à avoir défini sa « Raison d'être », sous l'impulsion de notre PDG Antoine Frérot, pour qui 7 une entreprise est prospère parce qu'elle est utile et non l'inverse ». 
Nous sommes ainsi convaincus que la poursuite du développement de l'humanité n'est possible que si les enjeux économiques, sociaux et environnementaux sont abordés comme un tout indissociable. Partout où nous opérons, l'économie sociale et solidaire participe ainsi à notre démarche de progrès partagé. Elle représente une nouvelle manière d'entreprendre et doit toucher l'ensemble des secteurs d'activité de l'économie conventionnelle. Notre raison d'être prend tout son sens en Afrique. Au Maroc, au Niger ou en Afrique du Sud, Veolia s'inscrit dans les territoires au plus proche des acteurs de terrain créant de l'impact sociétal et du lien avec l'écosystème local. 
Précisément, à Durban, nous venons de créer avec un acteur associatif local un tiers lieu dédié à l'économie circulaire et au développement durable : le Baobab ! Il a vocation à sensibiliser un très large public à la responsabilité environnementale et sociale. La même démarche a été entreprise à Niamey, au Niger, il y a trois ans.

Au regard des besoins croissants du continent, qui voit sa population augmenter, les nouvelles technologies sont un formidable levier d'inclusivité. 
Où en êtes-vous de vos chantiers dans ce domaine ?

La crise du coronavirus a donné à l'Afrique l'occasion d'accélérer sa transformation digitale. Pour accompagner le continent dans son élan, Veolia s'est engagé auprès des autorités de plusieurs pays. C'est ainsi que chez Redal et Amendis au Maroc, ou à la SEEN au Niger, nos équipes peuvent désormais suivre en temps réel les opérations grâce à un centre d'hypervision à distance : « Hubgrade ». Un dispositif qui permet d'apporter une réponse concrète aux contraintes liées au Covid 19, tout en renforçant des synergies opérationnelles au sein des différents pôles d'activité (eau, énergie, déchets). La transformation digitale incarne une formidable opportunité d'inventer des modalités de services inédites, d'ouvrir les sociétés à de nouveaux savoirs, de rendre l'économie plus inclusive, efficace et innovante.
Dans les villages, la question de l'eau est centrale et souvent prise en charge par les femmes. Avec le Covid-19, elle a pris une nouvelle dimension, sanitaire. © SIA KAMBOU / AFP
Nombre de pays misent aujourd'hui sur la valorisation des données pour créer des villes à la fois moins énergivores, plus propres et plus proches des citoyens. Cette montée en puissance de la digitalisation nous oblige à développer une gestion encore plus attentionnée afin de conjuguer en bonne intelligence une organisation humaine et digitale optimale. Cela suppose un effort de formation et de réduction de la fracture numérique pour nos collaborateurs, mais aussi pour l'ensemble de nos clients et nos parties prenantes. 

Au Niger, par exemple, nous nous sommes associés à une start-up, City Taps, pour faciliter l'accès à l'eau potable à domicile grâce à une solution inédite qui comprend un compteur d'eau intelligent et offre la possibilité de prépayer l'eau avec son téléphone portable pour un montant adapté aux dépenses du foyer. Une solution qui contribue à l'amélioration des conditions de vie dans la capitale du Niger. 
Pour autant, le numérique ne pourra jamais pallier le manque d'équipements de base. 
Aucune technologie digitale ne pourra mieux faire fonctionner des réseaux d'eau, d'assainissement ou d'électricité qui n'existent pas.


Quelle place pensez-vous que l'Afrique va occuper dans les métiers de Veolia dans les prochaines années ?

L'Afrique est une terre de défis pour Veolia. Je pense bien évidemment à l'accès aux services essentiels, mais aussi au stress hydrique, aux pollutions diffuses, à la croissance des industries, aux villes durables, à la gestion des déchets industriels, à la résilience des territoires. 

C'est aussi et surtout une terre de croissance et Veolia y a toute sa place tant nous exerçons des métiers déterminants pour l'avenir des habitants et des industries mais aussi pour l'avenir des ressources. Sur ce continent qui comptera 2 milliards d'habitants en 2050 et où la moyenne d'âge est de 19 ans, nous allons participer à ce nouvel élan et permettre à l'Afrique de se projeter dans un avenir durable. Je crois en l'accélération du développement en Afrique et en tant que leader de la transition écologique, nous allons apporter toute notre expertise et notre savoir-faire à ceux qui en ont le plus besoin, résolument engagés en faveur de la population africaine et du développement durable sur l'ensemble du continent. 

Plus qu'une entreprise, Veolia doit être le partenaire naturel de l'Afrique.

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