Complotisme :
Le problème avec WhatsApp !
Alors que Facebook, YouTube et Twitter sont régulièrement associés au problème de la régulation des contenus toxiques sur Internet, WhatsApp gagne en influence dans une relative indifférence.
>>> Lire, sur Conspiracy Watch : Radicalité informationnelle : « les jeunes considèrent les médias moins comme établissant des faits que comme proposant des narrations » (23/10/2018)
Devenu un mastodonte de l’économie numérique – WhatsApp est la première messagerie du monde et la deuxième application la plus utilisée après Facebook –, la plateforme a longtemps refusé de considérer qu’elle était autre chose qu’un service de messagerie sécurisée.
L’annonce de l’ajout prochain de nouvelles fonctionnalités à l’application, comme celle permettant de rechercher des messages par date et par type, la font pourtant évoluer vers quelque chose de plus qu’une simple messagerie.
À l’instar des autres plateformes, WhatsApp s’est récemment engagé à s’autoréguler, conscient que son fonctionnement pourrait bien aggraver la crise de confiance qui ronge les institutions démocratiques.
« Archipélisation »
Car en facilitant la circulation sans contrôle d’« informations » à la fiabilité parfois plus que douteuse, l’application risque également de favoriser une tendance préoccupante, aux conséquences encore sous-estimées : la constitution de groupes d’intérêts fermés sur eux-mêmes et imperméables aux faits qui contredisent leur manière de voir le monde. Une tendance qui rejoint le fameux effet d’« archipélisation » récemment diagnostiqué par Jérôme Fourquet : une fragmentation de la société en une myriade de petites communautés qui, à terme, fait perdre de vue le sens de l’intérêt général.
L’archipel français, de Jérôme Fourquet (Seuil, 2019).
Comme les courriels, les messages cryptés de WhatsApp sont partageables dans des groupes qu’on rejoint sur invitation. La possibilité de transférer des messages d’un groupe à l’autre en fait une puissante arme à la fois d’information et de désinformation. Cette fonctionnalité a récemment été limitée pour freiner la circulation des infox liées à la pandémie de Covid-19.
Initialement, un groupe ne pouvait dépasser 100 personnes. Ce nombre a été porté à 256. De quoi se sentir encore entre soi. Mais si chacun des 256 membres d’un groupe relaie à son tour un message à 256 autres membres d’un autre groupe, ce sont 65 536 personnes qui sont touchées l’instant d’après par le même message (vidéo, enregistrement audio, image, GIF, document…). Et ainsi de suite.
Créés pour organiser une manifestation sportive, une fête d’anniversaire, un événement culturel ou un rendez-vous sous tout autre prétexte, les groupes mènent ensuite leur propre vie, perdant souvent de vue en cours de route leur but initial. Ils peuvent s’élargir à de nouveaux membres et chaque utilisateur peut créer de nouveaux groupes. L’année dernière, le New York Magazine notait ainsi que les groupes WhatsApp « ont remplacé purement et simplement le modèle d’organisation des réseaux sociaux de la décennie précédente », celui du réseau social autocentré associé à un fil d’actualités raffraichi en permanence.
Des groupes d’intérêts – consommateurs, étudiants, parents d’élèves, co-propriétaires, etc. – y partagent leurs informations ou coordonnent leurs actions. L’une des recettes de la cohésion du groupe est de faire référence à une cause, de dénoncer une injustice ou de désigner un ennemi menaçant le groupe ou ses valeurs. Le risque existe que le ressentiment, la frustration ou la colère ne deviennent alors le ciment du groupe.
Le problème avec WhatsApp !
Alors que Facebook, YouTube et Twitter sont régulièrement associés au problème de la régulation des contenus toxiques sur Internet, WhatsApp gagne en influence dans une relative indifférence.
Le service proposé par l’application de messagerie cryptée contribue pourtant à la viralité de contenus complotistes.
Le pictogramme de l’application WhatsApp pour Android (DR).
Avec le confinement, WhatsApp aurait vu son utilisation augmenter de 40% en quelques jours. C’est ce que rappelle William Davies, professeur d’économie politique et de sociologie au Goldsmiths College de l’université de Londres, dans les colonnes du Guardian.
Sur WhatsApp, des groupes d’entraide ont vu le jour pour porter secours aux plus vulnérables, des familles et des amis se sont retrouvés pour échanger, briser la solitude, partager leurs angoisses ou leurs espoirs… Pour partager, aussi, des fausses informations et des théories du complot.
C’est, avec la circulation des arnaques et des contenus pédopornographiques, l’une des faces les moins glorieuses de l’application de messagerie instantanée la plus populaire du monde. Dès le début du confinement, les contenus complotistes s’y sont partagés frénétiquement : contre la 5G, le Gouvernement, la vaccination, « Big Pharma », Bill Gates et même l’Institut Pasteur.
En 2018, en Inde, des rumeurs véhiculées sur WhatsApp concernant des prétendus enlèvements d’enfants ont provoqué des troubles se soldant par plusieurs morts.
Lorsque le gouvernement indien a tenté de réguler l’application cryptée, on a crié au liberticide. Car sur WhatsApp, la liberté est totale. Le leader populiste espagnol Santiago Abascal est allé jusqu’à définir son mouvement, Vox, une formation d’extrême droite, comme le parti qui dit « ce que les Espagnols disent sur leur WhatsApp ».
Sans crainte du « politiquement correct », on peut en effet exprimer sur la plateforme tout ce qui passe par la tête, des idées les plus délirantes aux préjugés les plus haineux, comme l’ont montré, l’année dernière, Buzzfeed dans une enquête sur la propagation de contenus antisémites ou faisant l’apologie du nazisme et, plus récemment, Arte Radio, avec ses révélations sur les propos racistes tenus par des policiers français.
En 2014, Facebook s’est offert WhatsApp pour 19 milliards de dollars. C’est l’acquisition la plus chère de l’histoire de l’économie numérique. Les 450 millions d’utilisateurs d’alors sur WhatsApp ont dépassé la barre des 2 milliards en février 2020. Dans de nombreux pays, l’application est devenue, par défaut, le premier moyen de communication. Gratuite et informelle, elle est très prisée chez les jeunes.
Le pictogramme de l’application WhatsApp pour Android (DR).
Avec le confinement, WhatsApp aurait vu son utilisation augmenter de 40% en quelques jours. C’est ce que rappelle William Davies, professeur d’économie politique et de sociologie au Goldsmiths College de l’université de Londres, dans les colonnes du Guardian.
Sur WhatsApp, des groupes d’entraide ont vu le jour pour porter secours aux plus vulnérables, des familles et des amis se sont retrouvés pour échanger, briser la solitude, partager leurs angoisses ou leurs espoirs… Pour partager, aussi, des fausses informations et des théories du complot.
C’est, avec la circulation des arnaques et des contenus pédopornographiques, l’une des faces les moins glorieuses de l’application de messagerie instantanée la plus populaire du monde. Dès le début du confinement, les contenus complotistes s’y sont partagés frénétiquement : contre la 5G, le Gouvernement, la vaccination, « Big Pharma », Bill Gates et même l’Institut Pasteur.
En 2018, en Inde, des rumeurs véhiculées sur WhatsApp concernant des prétendus enlèvements d’enfants ont provoqué des troubles se soldant par plusieurs morts.
Lorsque le gouvernement indien a tenté de réguler l’application cryptée, on a crié au liberticide. Car sur WhatsApp, la liberté est totale. Le leader populiste espagnol Santiago Abascal est allé jusqu’à définir son mouvement, Vox, une formation d’extrême droite, comme le parti qui dit « ce que les Espagnols disent sur leur WhatsApp ».
Sans crainte du « politiquement correct », on peut en effet exprimer sur la plateforme tout ce qui passe par la tête, des idées les plus délirantes aux préjugés les plus haineux, comme l’ont montré, l’année dernière, Buzzfeed dans une enquête sur la propagation de contenus antisémites ou faisant l’apologie du nazisme et, plus récemment, Arte Radio, avec ses révélations sur les propos racistes tenus par des policiers français.
En 2014, Facebook s’est offert WhatsApp pour 19 milliards de dollars. C’est l’acquisition la plus chère de l’histoire de l’économie numérique. Les 450 millions d’utilisateurs d’alors sur WhatsApp ont dépassé la barre des 2 milliards en février 2020. Dans de nombreux pays, l’application est devenue, par défaut, le premier moyen de communication. Gratuite et informelle, elle est très prisée chez les jeunes.
>>> Lire, sur Conspiracy Watch : Radicalité informationnelle : « les jeunes considèrent les médias moins comme établissant des faits que comme proposant des narrations » (23/10/2018)
Devenu un mastodonte de l’économie numérique – WhatsApp est la première messagerie du monde et la deuxième application la plus utilisée après Facebook –, la plateforme a longtemps refusé de considérer qu’elle était autre chose qu’un service de messagerie sécurisée.
L’annonce de l’ajout prochain de nouvelles fonctionnalités à l’application, comme celle permettant de rechercher des messages par date et par type, la font pourtant évoluer vers quelque chose de plus qu’une simple messagerie.
À l’instar des autres plateformes, WhatsApp s’est récemment engagé à s’autoréguler, conscient que son fonctionnement pourrait bien aggraver la crise de confiance qui ronge les institutions démocratiques.
« Archipélisation »
Car en facilitant la circulation sans contrôle d’« informations » à la fiabilité parfois plus que douteuse, l’application risque également de favoriser une tendance préoccupante, aux conséquences encore sous-estimées : la constitution de groupes d’intérêts fermés sur eux-mêmes et imperméables aux faits qui contredisent leur manière de voir le monde. Une tendance qui rejoint le fameux effet d’« archipélisation » récemment diagnostiqué par Jérôme Fourquet : une fragmentation de la société en une myriade de petites communautés qui, à terme, fait perdre de vue le sens de l’intérêt général.
L’archipel français, de Jérôme Fourquet (Seuil, 2019).
Comme les courriels, les messages cryptés de WhatsApp sont partageables dans des groupes qu’on rejoint sur invitation. La possibilité de transférer des messages d’un groupe à l’autre en fait une puissante arme à la fois d’information et de désinformation. Cette fonctionnalité a récemment été limitée pour freiner la circulation des infox liées à la pandémie de Covid-19.
Initialement, un groupe ne pouvait dépasser 100 personnes. Ce nombre a été porté à 256. De quoi se sentir encore entre soi. Mais si chacun des 256 membres d’un groupe relaie à son tour un message à 256 autres membres d’un autre groupe, ce sont 65 536 personnes qui sont touchées l’instant d’après par le même message (vidéo, enregistrement audio, image, GIF, document…). Et ainsi de suite.
Créés pour organiser une manifestation sportive, une fête d’anniversaire, un événement culturel ou un rendez-vous sous tout autre prétexte, les groupes mènent ensuite leur propre vie, perdant souvent de vue en cours de route leur but initial. Ils peuvent s’élargir à de nouveaux membres et chaque utilisateur peut créer de nouveaux groupes. L’année dernière, le New York Magazine notait ainsi que les groupes WhatsApp « ont remplacé purement et simplement le modèle d’organisation des réseaux sociaux de la décennie précédente », celui du réseau social autocentré associé à un fil d’actualités raffraichi en permanence.
Des groupes d’intérêts – consommateurs, étudiants, parents d’élèves, co-propriétaires, etc. – y partagent leurs informations ou coordonnent leurs actions. L’une des recettes de la cohésion du groupe est de faire référence à une cause, de dénoncer une injustice ou de désigner un ennemi menaçant le groupe ou ses valeurs. Le risque existe que le ressentiment, la frustration ou la colère ne deviennent alors le ciment du groupe.
L’application vérifie pleinement les enseignements issus de l’étude des dynamiques de groupe, à savoir que les membres d’un groupe peuvent être amenés à avoir des comportements qu’ils n’auraient jamais eu en dehors de celui-ci, de leur propre initiative.
Sur WhatsApp, le cryptage intégral empêche de fait toute surveillance. À moins d’une fuite provoquée par un membre du groupe, les échanges entre les membres demeurent confidentiels. Offrant à tout un chacun une sorte de sanctuaire numérique privé, WhatsApp est devenu un refuge en même temps qu’un incubateur pour les théories du complot.
Il se pourrait que WhatsApp soit intrinsèquement plus dangereux que les plateformes ouvertes comme Twitter et Facebook car, dans la mesure où il vous met en relation avec des proches qui ne peuvent a priori qu’être bien intentionnés à votre égard, on y baisse la garde.
En tant qu’outil d’influence politique, WhatsApp n’a pas encore été pleinement exploité, en partie parce que les utilisateurs semblent réticents à rejoindre des groupes très larges avec des personnes qu’ils ne connaissent pas.
Sur WhatsApp, le cryptage intégral empêche de fait toute surveillance. À moins d’une fuite provoquée par un membre du groupe, les échanges entre les membres demeurent confidentiels. Offrant à tout un chacun une sorte de sanctuaire numérique privé, WhatsApp est devenu un refuge en même temps qu’un incubateur pour les théories du complot.
Il se pourrait que WhatsApp soit intrinsèquement plus dangereux que les plateformes ouvertes comme Twitter et Facebook car, dans la mesure où il vous met en relation avec des proches qui ne peuvent a priori qu’être bien intentionnés à votre égard, on y baisse la garde.
En tant qu’outil d’influence politique, WhatsApp n’a pas encore été pleinement exploité, en partie parce que les utilisateurs semblent réticents à rejoindre des groupes très larges avec des personnes qu’ils ne connaissent pas.
Mais au Brésil, où l’application est massivement utilisée (plus de 96% de la population), l’application a été utilisée dans le cadre de la campagne présidentielle de 2018.
Au point que WhatsApp a dû supprimer plus de 400 000 comptes enfreignant ses règles d’utilisation, qui proscrivent le recours à des robots utilisés pour envoyer des messages en masse ou créer des comptes ou des groupes de manière automatisée.
William Davies insiste sur une autre dimension de Whatsapp :
« L’influence réelle ou imaginaire des groupes WhatsApp dans les arcanes du pouvoir et dans les médias contribue sans aucun doute à renforcer le sentiment que la vie publique est une imposture, derrière laquelle se cachent des réseaux invisibles à travers lesquels le pouvoir est coordonné. WhatsApp est un peu devenu les “coulisses” de la vie publique derrière lesquelles on suppose que les gens expriment ce qu’ils pensent et croient vraiment en secret.
William Davies insiste sur une autre dimension de Whatsapp :
« L’influence réelle ou imaginaire des groupes WhatsApp dans les arcanes du pouvoir et dans les médias contribue sans aucun doute à renforcer le sentiment que la vie publique est une imposture, derrière laquelle se cachent des réseaux invisibles à travers lesquels le pouvoir est coordonné. WhatsApp est un peu devenu les “coulisses” de la vie publique derrière lesquelles on suppose que les gens expriment ce qu’ils pensent et croient vraiment en secret.
C’est une sensibilité qui a longtemps alimenté les théories du complot, en particulier les thèses antisémites. Les groupes WhatsApp invisibles proposent désormais une mise à jour moderne du genre d'”explication” qu’on observait autrefois autour des loges maçonniques ou des Rothschild. »
Tel est peut-être l’effet le plus délétère de WhatsApp : son message, c’est le cryptage.
Voir aussi :
Tel est peut-être l’effet le plus délétère de WhatsApp : son message, c’est le cryptage.
Voir aussi :
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