MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT : LA CSMD PARVIENDRA-T-ELLE À NEUTRALISER LES GERMES DE L’ÉCHEC ?

MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT : LA CSMD PARVIENDRA-T-ELLE À NEUTRALISER LES GERMES DE L’ÉCHEC ?


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Au travail titanesque que doit accomplir la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) vient se greffer la crise sanitaire du Coronavirus, qui a mis à nu dès les premières semaines de la pandémie, des dysfonctionnements insoupçonnés. Si la commission a profité d’un délai supplémentaire de six mois pour dévoiler les nouvelles orientations du nouveau cadre référentiel, la crise sanitaire a bel et bien impacté son travail. Mais des orientations commencent à se dégager de ses travaux. L’analyse.  

Depuis le mois de mars le Maroc, à l’instar d’autres pays, fait face à une menace sanitaire sans précédent. Autant le dire, la crise sanitaire du Coronavirus est très mal tombée pour le pays en train de chercher ses marques pour un nouveau modèle de développement, l’actuel étant devenu atone.
A quelque chose malheur est bon, puisque cette phase assez particulière a mis à l’épreuve aussi bien l’Etat, le gouvernement, les acteurs politiques, économiques et sociaux et l’ensemble des citoyens et leurs capacités d’endurance, d’adaptation et de réactivité à des chocs aussi féroces que l’a été cette crise sanitaire ainsi que les aptitudes et les prédispositions à épouser des changements radicaux dans la vie au quotidien. Cette période a également été une mise en examen du droit face à l’ordre.
Avec ce « stress test » grandeur nature, ajouté aux dysfonctionnements dévoilés par la crise sanitaire et les attentes du nouveau cadre référentiel, la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement (CSMD) a eu du pain sur la planche. D’autant qu’elle compte des membres à l’étranger, ce qui a compliqué son travail avec la fermeture des frontières et perturber les audiences et les rencontres sur le terrain en raison des restrictions imposées par l’état d’urgence sanitaire.
Le coronavirus a révélé également de nouvelles aspirations, exacerbé la prise de conscience du droit à des services de base de qualité, qu’il ne fallait pas non plus se détourner des problèmes conjoncturels auxquels la CSMD, qui a bénéficié d’un délai supplémentaire de six mois, est sensée donner une réponse, du moins un début de réponse.
Les nouvelles technologies à la rescousse
Pour faire le point sur l’état d’avancement de ses travaux, la CSMD a tenu une visioconférence le 14 juillet durant laquelle elle a dévoilé les premières orientations du cadre référentiel en devenir. A ce sujet, Chakib Benmoussa a relevé que la crise sanitaire a certainement eu une incidence sur les priorités et les attentes des citoyens dans des domaines comme la santé, l’enseignement, l’industrie, la recherche scientifique, la digitalisation ou encore sur le rôle qui incombe à l’Etat. Elle a également déclenché des changements géostratégiques sur le plan international à ne pas perdre de vue non plus.
Le premier défi dans ce contexte inédit était d’assurer la continuité des travaux de la commission qui a mis en ligne une plateforme www.csmd.ma pour continuer à recevoir les contributions aussi bien des citoyens que de différents acteurs dans la vie du pays. La plateforme permet également de suivre tous les travaux et audiences réalisés par la commission.
C’est ainsi que 1.200 personnes ont pu prendre part à ce chantier à ciel ouvert, 6.200 contributions ont été recensées à ce jour et 180 séances d’écoute ont pu se tenir. De ce brainstorming national, « La confiance est le sujet qui revient en boucle, parmi les différentes thématiques abordées, aussi bien de la part des citoyens que de la part d’acteurs politiques, économiques ou sociaux », explique Chakib Benmoussa qui a énuméré au moins trois catégories d’attentes.
La première a trait à la justice sociale et territoriale qu’il s’agisse d’éducation, de santé, de mobilité ou de services publics face à un fort sentiment d’absence d’écoute, d’interlocuteurs et de marginalisation territoriale.
La deuxième attente est relative aux libertés publiques et à la participation politique. Dans ce sens la CSMD a eu des remontées insistantes sur la gouvernance et la moralisation de la vie publique par la lutte contre la corruption, la rente en ce qu’elles privent de l’égalité face aux droits et la mise en valeur de la culture.
Enfin, l’une des principales attentes est bien évidemment relative au développement économique. Un développement plus conciliant avec la préservation des ressources et plus performant à travers l’amélioration de la qualité de la production nationale.
En présentant ces attentes, le temps est un facteur primordial pour chaque chantier, souligne le président de la commission.
Développement économique, éducation, santé, filets sociaux, monde rural, jeunesse… tant de variables
Il est presque inutile de rappeler le diagnostic actuel puisque la crise sanitaire a été la preuve par la réalité des maux qui freinent une meilleure dynamique dans le pays. Y compris sur le plan économique.
Dans ce sens, Mohammed Fikrat, membre de la commission, souligne le progrès enregistré par le Maroc mais qui est impacté par certains dysfonctionnements qui l’empêchent d’être créateur de valeur, d’emploi et de réduire les disparités sociales. Notamment l’environnement des affaires qui souffre de boulets d’étranglement.
Parmi les orientations vers lesquelles planche la CSMD celle de combler les poches de résistance à une concurrence loyale et une meilleure compétitivité aussi bien sur le marché domestique que celui international.
Une réorientation des investissements vers des activités à plus forte valeur ajoutée, une meilleure mise en valeur du capital humain, le renforcement de la recherche et le développement… l’objectif étant que la dynamique économique soit un vecteur de cohésion sociale et territoriale. Des mécanismes précis pour y parvenir seront contenus dans le projet qui sera remis au Roi.
Mais là où le bât blesse et cela a été largement mis à nu par la crise sanitaire, est que le pays ne met pas en valeur son capital humain à la base en raison des défaillances aussi bien du système de santé que celui de l’enseignement.
Avec une moyenne d’années sur les bancs de l’école de 6 ans seulement, soit l’un des niveaux les plus bas de la région MENA et même comparativement aux autres pays du continent, comme l’explique Ghita Lahlou, membre de la Commission, le Maroc a un handicap de taille.
Pourtant ce secteur a englouti des milliards et des milliards de DH et une succession d’instances sans réussir pour autant à atteindre l’objectif de la généralisation, ni la massification encore moins l’amélioration de la qualité de l’enseignement.
En plus de lutter contre l’abandon scolaire, le souci est d’instaurer une égalité d’accès qui est aujourd’hui quasi absente. S’ajoutent à cela les problèmes d’orientation, notamment pour les voies d’accès libre, ce qui explique entre autres que 40% des étudiants des universités ne décrochent pas de diplômes. Face à ces constats, la commission travaille à construire des réponses à ces différents défis.
Y compris pour la santé et la culture, pourtant ce sont des domaines aussi importants pour la stabilité et la cohésion sociale que le développement économique.
La protection sociale revêt également une importance cruciale comme l’a dévoilé la crise sanitaire. Puisque l’absence de filets sociaux fragilise tout le pays et non pas seulement les citoyens. Et pourtant, le pays dispose de plusieurs régimes, plusieurs entités… Pour Larbi Jaïdi, le problème réside dans l’absence d’une vision intégrée et cohérente et le défi est celui de la gouvernance des ressources, du ciblage et la pérennisation de ces régimes de protection sociale.
Cette multiplicité d’acteurs et de programmes qui mène in fine à l’inefficience et la dilution des responsabilités est également présente dans les programmes dédiés à la jeunesse. De ce fait, la CSMD veut préconiser une approche différente qui permette une plus importante participation des jeunes à la vie publique et politique, qui encourage la prise d’initiative et qui redonne au final espoir aux jeunes que leur avenir est bien au Maroc et non pas ailleurs, explique Adnane Addioui.
Le problème qui se pose est que cette orientation doit être aussi flexible et se réinventer puisque le cadre référentiel s’étalant sur 5 à 10 ans, les jeunes de demain auront certainement d’autres aspirations et feront face à d’autres défis.
Le monde rural, un point nodal du développement du Maroc
Le grenier du Maroc, notre source vitale de survie, garant de notre sécurité alimentaire… le monde rural continuait à tourner à plein régime malgré la crise et la sécheresse, alors que tout le reste pays était presque à l’arrêt. Pourtant le monde rural est depuis longtemps, pour ne pas dire depuis l’indépendance, défavorisé comparativement au monde urbain. Les inégalités sont criardes pour un pays où l’agriculture est un secteur économique des plus importants.
Cette vocation agricole a été quelque peu martyrisée en faveur d’une vocation industrielle, au risque pour le Maroc de s’amputer une jambe. En effet, la pléiade des différentes politiques agricoles depuis l’indépendance du Maroc ont quelque peu éludé le développement de la population rurale. Pour preuve, l’appel du Roi Mohammed VI œuvre à la création d’une classe moyenne rurale, comme facteur d’équilibre socio-économique dans le monde rural.
Pour Mohamed Tozy, l’Etat gagne à prendre en considération l’apport des 47.000 douars que compte le Maroc dans les équilibres socio-économique du pays en activant la démocratie participative dans le monde rural qu’urbain, en assurant l’accès aux services de base et en préservant la pérennité du monde rural à travers la cellule familiale. Mais également en instaurant un climat de confiance.
Pour lui il n’existe pas de dualité entre démocratie participative et celle représentative, les deux étant complémentaires.
Mais la question qui se pose avec acuité, dans quelle mesure l’Etat est-il prédisposé à assumer sa responsabilité historique dans le développement du monde rural et a-t-il une volonté réelle de changement de paradigme ?
La CSMD a repris depuis ce mercredi les rencontres virtuelles et les séances d’écoute pour affiner son travail et rendre sa copie d’ici la fin de l’année. Ce qui interviendra dans un contexte très difficile dû aux répercussions économiques et sociales de la crise sanitaire.
Elle aura donc la lourde tâche de nous épater, de maintenir l’espoir d’un lendemain meilleur et surtout proposer les moyens de neutraliser les germes de l’échec qui ont prévalu à ce jour.

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