Analyse – Le ciblage des pauvres et des vulnérables au Maroc : Quelles leçons pour l’après-Covid-19


Analyse – Le ciblage des pauvres et des vulnérables au Maroc : Quelles leçons pour l’après-Covid-19




Les politiques de lutte contre la pauvreté et les programmes des filets sociaux mis en place au Maroc ont actionné divers dispositifs de ciblage pour chercher à atteindre les populations-cibles. 

Une variété d’instruments plus ou moins complexes ont utilisé diverses techniques de sélection des individus, des ménages, ou des catégories de la population, définies selon des critères géographiques ou démographiques (femmes, enfants, personnes âgées…).


Les programmes des filets sociaux ont eu recours à des outils, tels que les approches catégorielles, les cartes géographiques de la pauvreté, les tests d’éligibilité multidimensionnels. 

Ces techniques de ciblage ont été mises en œuvre en s’appuyant sur les enquêtes de revenu et de la consommation des ménages. Des avancés incontestables ont été réaliséesdans les politiques de lutte contre la pauvreté ; mais il n’a pas été prouvé que les programmes atteignent toujours les populations les plus pauvres dans les territoires de leur localisation. Cibler les populations pauvres et vulnérables pose de nombreux problèmes d’ordre pratique, technique ou politique. 

Les cartes de la pauvreté ont permis d’identifier les zones où se concentre la population pauvre, offrant ainsi aux pouvoirs publics la possibilité de cibler les politiques sociales et de développement sur les quartiers ou communes en difficulté.
Toutefois, on a eu tendance à rattacher la pauvreté et l’exclusion aux seuls « communes » ou « quartiers » répertoriées par la cartographie de la pauvreté. 

Or, la pauvreté et l’exclusion se rencontrent pourtant aussi et même parfois plus encore hors de ces communes et quartiers. La géographie des territoires pauvres – qui ne repère que les « quartiers », par exemple, ou les communes en retard de développement – n’est pas la géographie des populations pauvres. 

Dans sa mise en œuvre généralisée à tout le territoire national, le ciblage RAMED a finalement retenu une autre méthode, le « Test d’Eligibilité Multidimensionnel » ou proxy means test. 

Le test consiste à déterminer qui appartient à la population éligible sur la base des caractéristiques observables de leurs conditions de vie, comme leur revenu, leur confort de leur habitation principale, leur possession de moyens de transport, la surface de leurs terrains agricoles, etc. ....

Mais, le système de ciblage des bénéficiaires potentiels par le « scoring » appelle quelques observations : le critère du revenu déclaré dans le cadre d’une économie partiellement informelle où la vérification objective est impossible, n’est pas pertinent, les conditions de vie des populations se modifient dans le temps.

A ces difficultés s’ajoute la qualité de la déclaration dans les questionnaires et la large autonomie de décision accordée aux commissions locales et provinciales pour redresser les résultats des scoring. Ainsi, la marge d’erreur dans l’estimation de la population cible est donc considérable.
+ Sans l’incidence redistributive de la compensation, la pauvreté monétaire serait plus élevée +
Dans sa première phase du programme Tayssir l’opération de ciblage des ménages bénéficiaires est indirecte, puisqu’elle se base sur la zone géographique et ne tient pas compte du niveau socio- économique des familles. 

La couverture territoriale comprend les établissements scolaires situés dans les communes rurales appartenant à la zone d’intervention de l’INDH et représentant un taux de pauvreté égal ou supérieur à 30% et un taux d’abandon scolaires égal ou supérieur à 8%. 

En clair, lorsqu’une commune répond aux critères d’éligibilité socioéconomiques (pauvreté et précarité), l’ensemble des ménages y résidant peut bénéficier de Tayssir, incluant des familles n’étant pas dans le besoin, ce qui crée des erreurs d’inclusion, mais aussi d’exclusion.
L’efficacité de la mise en œuvre du programme a été améliorée grâce à l’adoption des critères du ciblage du Ramed. 

Cependant, le ciblage n’a été que partiellement ajusté, il reprend les erreurs d’exclusion et d’inclusion du régime d’assurance.
Depuis des années la politique de compensation/décompensation des produits alimentaires fait partie des thèmes récurrents de la politique ciblage. 

Avec comme arrière plan l’exigence d’une meilleure allocation des ressources et une sélectivité dans l’orientation des transferts.Sa réforme est restée au milieu du gué. La part du gaz butane dans les dépenses de compensation dépasse aujourd’hui les 83% constituant un enjeu financier considérable. 

Certes, sans l’incidence redistributive de la compensation, la pauvreté monétaire serait plus élevée mais en dépit de cet impact, la compensation crée des effets pervers et des comportements anti- économiques : gaspillage de ressources, découragement pour l’utilisation des énergies renouvelables et pour l’efficacité énergétique, non incitation à la recherche de réduction des coûts, effets de distorsion.


A la lecture des résultats des différentes méthodes, l’expérience laisse apparaître une large marge d’erreurs et d’exclusion dans le ciblage des populations.
Le Gouvernement a lancé la mise en place d’un dispositif de ciblage unique en vue d’améliorer l’efficacité des programmes de protection sociale et de rationaliser l’utilisation des ressources et des moyens mobilisés. 

L’imperfection de l’information est un réel obstacle à l’identification des cibles. Des contraintes fondamentales à la production et à la circulation de l’information résultent des incohérences dues à la faible coordination entre directions et ministères dans la collecte des données ; aux retards dans la publication des résultats des enquêtes etc.. 

Il est tout aussi essentiel de mettre en place des systèmes d’information et de gestion (SIG) pour les différents filets de sécurité et régimes de protection. Ils aideront à la surveillance et à la transparence de l’action publique, et permettront la responsabilisation des gestionnaires des différents régimes. Ils sont également utiles pour éviter les doublons. 

Mais, si l’amélioration du ciblage des politiques et programmes de lutte contre la pauvreté s’impose pour différentes considérations, les performances de ciblage des programmes ne sont seulement liées à la disposition de techniques de ciblages robustes et efficaces. 
Elles sont aussi étroitement liées à l’évaluation des incidences de ces programmes, de l’accessibilité des populations aux services et aux prestations qui leur sont destinées. 


*** Larbi Jaïdi est professeur d’économie et senior fellow au Policy Center for the South
 


Par Larbi Jaïdi 

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