LES LIMITES DE L’ENSEIGNEMENT À DISTANCE : LE CAS DU MAROC.

 

LES LIMITES DE L’ENSEIGNEMENT À DISTANCE : LE CAS DU MAROC.





Les effets négatifs, nombreux et déstructurants, de la pandémie Covid-19 se sont manifestés, depuis le mois de mars dernier, avec une grande intensité à des échelles différentes et dans des domaines divers. L’arrêt de l’enseignent en présentiel au Maroc, comme dans la majorité des pays touchés par la crise sanitaire, est l’une des conséquences les plus directes de sa propagation. 
C’est l’enseignement à distance qui s’est alors imposé comme alternative et palliative à une rupture totale des cours en présentiel ; rupture qui risque de générer des incidences d’ordre psychologique, éducatives et sociales.


 Rappel historique : 

L’enseignement et la formation à distance n’est pas en effet une découverte née des contraintes imposées par le Covid-19, en particulier la distanciation physique et sociale. Il a une histoire bien ancienne et son apport à la formation et à l’éducation de personnes se trouvant dans une situation physique ou géographique difficile n’est pas négligeable. Aux Etats Unis, l’université d’État de Pennsylvanie a développé dès 1882 un programme d’enseignement par correspondance pour remédier aux difficultés d’accès à l’éducation des populations du monde rural à cause de la distance géographique qui les séparent des établissements d’éducation. Les femmes ont bénéficié de ce dispositif mais aussi les personnes qui ne sont pas, pour des raisons de santé ou de travail, en mesure de se déplacer vers un lieu de formation. 

Au début, ce sont les textes écrits illustrés ou non de graphiques qui constituent les principaux supports pédagogiques. Ils sont en général acheminés par voie postale du lieu de la formation vers l’apprenant.

En France, c’est en Septembre 1939, après la déclaration de la guerre, que le gouvernement crée, à titre provisoire, un service d’enseignement par correspondance et par radio. Cette création marque le début du Centre national d’enseignement à distance (CNED) dédié à la ‘’ formation de tous ceux qui le souhaitent quels que soient leur âge et leur situation’’. 

Cet établissement public à caractère administratif du ministère de l’Éducation nationale assure, depuis la date de sa création, ‘’une formation tout le long de la vie’’, selon son slogan. Il offre en effet de multiples formations, de la maternelle à l’université, aide à la préparation aux concours de recrutement de la fonction publique et à la formation à différents métiers. De nombreux organismes privés ont vu le jour depuis proposant des offres éducatives en tous genres.

Dans tous les cas de figures, en France comme aux Etats-Unis, au Royaume-Unis et ailleurs dans le monde occidental, le principe directeur est de permettre à des personnes isolées d’accéder à l’éducation et à la formation en réduisant la distance géographique et spatiale. Cette distance peut-être aussi culturelle et socio-économique ou relative au temps.

Le système de formation à distance a connu, en général, une évolution importante et constante grâce à l’apport des nouvelles technologiques qui ont contribué à l’élargissement de son public et son audience. Les médias audiovisuels ont largement participé à cette évolution notamment à partir des années 70 où l’usage de cassettes vidéo et audio, des émissions de radio ou de télévision s’est répondu à une grande échelle et s’est même démocratisé. 

A cela s’ajoutent des émissions à la radio et à la télévision et l’apparition dans de nombreux pays des universités à distance qui proposent une gamme assez large de formations ouvertes à tous et adaptée aux contraintes de la vie personnelle des adultes. 

Ces derniers temps, le e-learning ou le MOOC (Massive Online Open Courses), ont favorisé à la fois l’attrait et l’intérêt du public, des entreprises comme des particuliers, pour la formation à distance. 
L’aspect pédagogique de la formation s’est également amélioré.

Toutefois, sans le développement et l’extension de l’offre et de la technologie Internet tous ces dispositifs d’enseignement et de formation à distance seraient sans effet massif et généralisé. L’internet a en effet favorisé l’interactivité et permis l’essor d’approches pédagogiques nouvelles. La relation entre le formateur et l’apprenant prend des formes multiples et des voies diverses : vidéoconférence, des plateformes, des applications, des cours en ligne notamment. Ces outils numériques ont en fait révolutionné l’apprentissage et assurer sa démocratisation en brisant le problème de la distance.
L’enseignement à distance à l’épreuve du Covid-19
Avec la crise sanitaire Covid-19, la distanciation physique et sociale s’impose comme l’un des gestes barrières essentiels, permettant d’éviter la transmission et la propagation de l’épidémie. L’enseignement présentiel tel qu’il était organisé avant cette crise devient alors problématique. 

Différentes mesures ont été prises pour y faire face telles que la réduction du nombre des élèves dans les écoles, l’annulation ou l’aménagement de certains services scolaires (cantine, récréation, accueil, sortie scolaire) ou des examens. Mais, la volonté d’assurer la continuité de l’enseignement et la permanence des activités de formation fait que l’enseignement à distance et non présentiel est revenu en force sur la scène éducative pour s’imposer comme une solution. Par conséquent, nombreux Etats se sont repliés sur l’enseignement à distance pour sauver leur année scolaire. 
Le Maroc n’a pas fait exception. 
C’est l’un des pays où la gestion de crise sanitaire est donnée comme exemple. 
Parmi les mesures drastiques et urgentes prises par les pouvoirs publics marocains, en particulier l’état d’urgence sanitaire, la fermeture des frontières, l’interdiction des rassemblements et le confinement, il y a la fermeture des écoles et des établissements d’enseignement secondaire et supérieur.

Le cas du Maroc : Le dispositif mis en œuvre dans ce domaine, en vue de contrecarrer la circulation du virus dans le milieu scolaire, s’appuie sur les recommandations données par les organismes sanitaires internationaux tel que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ainsi dès le mois de mars, le Ministre de l’Education nationale, Saaid Amzazi, décide, comme mesure urgente et salutaire contre la circulation du virus, la fermeture de toutes les écoles et universités du Maroc.
Mais au-delà des contraintes que pose cette mesure, le défi à relever explique le Ministre était d’assurer « une continuité pédagogique à distance avec un enseignement qui devait être offert à toute la communauté à savoir de très nombreux écoliers, lycéens et étudiants » (Interview accordé au medias24). 

Pour cela il fallait donc mobiliser le corps enseignant, des ressources humaines, des moyens matériels et produire des programmes pour couvrir tous les différents niveaux d’enseignement au profit d’environ 10 millions de bénéficiaires précise le Ministre qui donne une idée de la production des contenus éducatifs qui passe de 600 contenus à plus de 6.000. Cependant, en dépit des résultats encourageants et probants obtenus, force est de constater que l’expérience de l’enseignement à distance au Maroc a montré quelques limites. D’ailleurs, le Ministre Saaïd Amzazi, a lui-même reconnu les points de faiblesse de cette expérience dès son lancement. La contrainte majeure a été le problème d’accès à ces contenus pour certains apprenants car, souligne-t-il, « on s’est rapidement rendu compte qu’une frange de la population n’avait pas d’ordinateur, de tablette ou même de smartphone, connectés au réseau ».

Le Ministre de l’Education nationale, a tenu néanmoins à souligner dans un discours devant le Parlement certains des avantages de l’enseignement à distance : ce système, précise le Ministre, « ne peut en aucun cas remplacer la présence physique des écoliers ou des étudiants dans leurs institutions, mais il ouvre de réelles perspectives dans le secteur… le taux de suivi de l’enseignement à distance est encourageant. Il est de 96% dans le secteur privé et de 71% dans le secteur public… ».

Limites et contraintes : En somme, si l’on examine le dispositif mis en œuvre au Maroc depuis le mois de mars dernier, il est possible de dégager quelques-uns des problèmes qui constituent des entraves majeures à une réelle réussite de l’enseignement à distance. Ces problèmes sont de différents ordres. D’abord des problèmes techniques liés à l’accès à l’internet aggravé par des disparités socio-économiques et géographiques entre les personnes ou les territoires. Il y a aussi des facteurs en rapport du degré d’appréhension des cours à distance et à la question de l’enseignement à distance chez les personnes souffrant d’handicapes (les sourds par exemple) et le déficit constaté en matière d’interaction entre les enseignants et les étudiants. L’impact de l’enseignement à distance sur la santé psychologique n’est pas à exclure car essentiel.
En effet, à cause des disparités socio-économiques et géographiques, des étudiants issus de familles démunies ou tout simplement habitant des villages non couverts par les réseaux Internet, se sont retrouvés privés d’accès aux cours à distance. Avec le confinement ils ne pouvaient pas se déplacer vers un lieu public équipé de l’internet. 

C’est là « une situation qui peut accentuer la déperdition », souligne Youssef Saâdni, enseignant-chercheur à l’Université Hassan II de Casablanca et expert dans le secteur de l’éducation. 
Le risque du décrochage scolaire est considérable. 
Ainsi, et afin d’éviter l’exclusion des plus démunis et de donner la possibilité à tous les apprenants d’accéder à l’enseignement à distance, des mesures exceptionnelles ont été entreprises. 

A titre d’exemple, le ministère de tutelle a procédé, en partant du principe que tous les foyers marocains sont équipés de postes de télévision, à la diffusion de leçons filmées sur les chaînes nationales. Mais, malgré les efforts du ministère, le degré d’appréhension de ces cours reste très disparate et dépendant des facteurs extra-intellectuels de l’apprenant. 

Cela a créé des inégalités cognitives conséquentes.

Cette situation est aggravée par l’absence d’espace d’échange et de discussion entre les étudiants et leurs enseignants. 
La compréhension et la validation de notions et de concepts liés au contenu pédagogique sont de ce fait entamés faute de contact direct, de réactivité et d’interactivité qui sont des éléments nécessaires à la transmission de certains savoirs et savoir-faire. 

D’ailleurs, une majorité d’étudiants interrogés ont mis l’accent sur l’absence d’un accompagnement pédagogique dans l’appropriation des différents outils et dans la réalisation de leurs projets. La mission d’éducateur, de médiateur et de facilitateur de l’enseignant apparait en conséquence comme étant indispensable à la réussite de ce système.

L’autre limite de l’enseignement à distance est en rapport avec l’exclusion ou la marginalisation de la communauté des personnes souffrant d’handicapes. Le cas des sourds et malentendants par exemple est à ce sujet révélateur. Ils n’ont pas pu bénéficier des ressources numériques adaptées à la langue des signes. 

Cette lacune est aggravée par le manque d’interprètes et l’absence d’échanges avec les professeurs. Au-delà de ces personnes aux besoins spécifiques, le Docteur Jaouad Mabrouki, expert en psychanalyse, a signalé à ce sujet, que l’enseignement à distance a eu un impact sur la santé physique et psychique des apprenants. Il a ainsi considéré que « De nombreux étudiants deviennent déprimés suite aux cours à distance, sans qu’il n’y ait aucune motivation. Ils n’ont aucune vision sur l’avenir et ne savent pas s’ils vont reprendre les cours ou pas… ».
En effet, l’Université n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, c’est aussi un lieu de vie sociale où les étudiants peuvent tisser des liens d’amitié et de partage. Le confinement les a amputés de leurs repères et de leurs habitudes. Rester confiné chez soi, surtout si les conditions de vie (logement, équipement sociaux moyens économiques) ne sont pas favorables, n’est pas un facteur propice à la motivation ou à la concentration. Le Docteur J. Mabrouki résume cela en ces termes : « Plusieurs étudiants m’ont rapporté qu’ils ont du mal à dormir, ils mangent de manière désordonnée et déséquilibrée et ont beaucoup de difficultés à se réveiller à temps pour leurs cours du matin, avec notamment des difficultés de concentration… ».

Cette situation a durement impacté non seulement l’état psychique des étudiants, mais elle a affecté également leur état physique. 
Le fait de mal se nourrir et de mal ou peu dormir laissent souvent des séquelles.

Quelques voies à explorer: Cependant, et au-delà de toutes ces considérations peu favorables, on peut considérer que cette crise sanitaire a été, dans un sens, une opportunité pour le Maroc. 
Elle a permis d’expérimenter le système d’enseignement à distance pendant plusieurs mois et sur une grande échelle. 
Des avancées notables dans le domaine du digital ont été également réalisées et des moyens importants débloqués, un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de 10 milliards de dirhams (soit 934 millions d’euros) a été annoncé. 

Mais il reste néanmoins au Maroc de réels défis à relever dans le domaine de la justesse et l’égalité sociales. Il doit s’investir et investir encore plus dans le domaine de l’enseignement à distance et réfléchir sérieusement aux moyens et méthodes les plus appropriés pour permettre aux exclus du système de formation et d’éducation de trouver leur place et leur dignité. 

La vulgarisation des outils pédagogiques, l’usage de l’e-learning et l’accompagnement de l’ensemble des apprenants afin qu’ils puissent assimiler l’enseignement numérique, est l’une des voies possibles à explorer.

Le 24-08-2020


Par Azeddine Mraizika : Professeur à l’université Sultan Moulay Slimane de Beni-Mellal.

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