Blocage à la CNSS : Le ministère des Finances pointé du doigt

 Blocage à la CNSS : Le ministère des Finances pointé du doigt

Blocage à la CNSS : Le ministère des Finances pointé du doigt

La Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS) vit une situation de blocage inédite mais prévisible. Plus d’un an après leur vote, lors du conseil d’administration de juin 2019, d’importantes décisions font l’objet d’une obstruction de la part du gouvernement qui n’a toujours pas publié les textes réglementaires pour les appliquer. Les doigts d’accusation pointent plus particulièrement le ministère des Finances.

Les représentants de la CDT et de l’UMT au conseil d’administration de la CNSS ont claqué la porte de la réunion du conseil, prévue mardi 6 octobre, empêchant ainsi sa tenue. Le retrait des représentants des deux centrales syndicales vient en protestation contre la non application et exécution des décisions prises et votées lors de précédents conseils d'administration, tenus notamment le 17 juin et le 25 décembre 2019.

Les communiqués publiés par la CDT et l’UMT dénoncent la mainmise du gouvernement sur les décisions du conseil et ajoutent que l’exécutif, particulièrement le ministère des Finances et la chefferie du gouvernement, refuse de changer d’attitude vis-à-vis des décisions du conseil et continue d’exercer une tutelle excessive et restrictive sur les principaux changements qui servent l’intérêt des employés et des entreprises.

Les décisions auxquelles font allusion les syndicats sont les suivants :

- La revalorisation des pensions de 5% avec un minimum de 100 DH.

- L'augmentation du taux de remboursement des dossiers maladie AMO de 70% à 80% dans le but de réduire le restant à charge des assurés.

- Le remboursement des dispositifs médicaux à hauteur de 100%.

- Le remboursement des médicaments génériques à hauteur de 90%.

- Le remboursement des prothèses dentaires dans la limite d’un plafond fixé à 3.000 DH tous les ans au lieu de tous les 2 ans.

- La revalorisation des tarifs de références relatifs à l'optique : les montures à 400 DH, le verre normal à 400 DH et progressif à 800 DH.

Médias24 a contacté le ministère des Finances pour avoir sa versions des faits. Une réponse est en cours de préparation, elle sera publiée pas nos soins dès réception.

Nous avons également contacté le ministère du Travail qui n'a pas donné suite à nos sollicitations.
Blocage à la CNSS

Médias24 s’était interrogé en novembre 2019 sur l’opérationnalisation de ces décisions. Une source autorisée à la CNSS nous avait expliqué à l’époque que ces décisions nécessitent des démarches réglementaires de la part des départements ministériels de tutelle avant qu'elles ne deviennent effectives. Le changement de taux de remboursement AMO de 70% à 80% doit par exemple faire l'objet d'un décret du chef du gouvernement. D’autres textes relèvent du ministère de la Santé ou des Finances. "Tous les instruments juridiques nécessaires ont été produits par la CNSS et transmis aux autorités compétentes. 

Nous attendons des réponses", nous a-t-on expliqué en novembre 2019. Donc depuis, la balle est dans le camp du gouvernement.

Le conseil d'administration de la CNSS de juin 2019 avait également émis une proposition de révision de la tarification nationale de référence (TNR) de 15 actes les plus répandus et pour lesquels le taux de remboursement effectif est inférieur à 70%. Le lundi 13 janvier 2020, cette proposition s’est concrétisée par la signature sous l’égide du ministère de la Santé et de l’ANAM, de trois conventions entre la CNSS et les professionnels de la santé actant des révisions importantes de la tarification nationale de référence qui devaient améliorer davantage les remboursements. L'application de ces nouveaux tarifs a également été bloquée.

Près d’un an plus tard, rien n’a été fait. Il est vrai que la crise sanitaire a plongé le pays dans un état d’urgence et un confinement général, bloquant ainsi les activités courantes entre mars et juin, mais cela ne justifie pas le retard enregistré en 2019 déjà, car entre juin et décembre 2019 rien n’a été fait pour appliquer les décisions, ou alors tout a été fait pour les bloquer.

Résultat des courses, la situation s’envenime et mène au blocage des instances de gouvernance de la CNSS. Si le blocage persiste, cela peut avoir des répercussions sur la gestion courante de la caisse puisque le conseil d'administration, qui n'a pas eu lieu, devait statuer et voter le bilan 2019, le rapport d'activité de la caisse ainsi que le budget 2021.
Le gouvernement mis en cause

Les faits sont là, mais les interrogations restent sans réponses. Pourquoi les décisions de la CNSS sont-elles bloquées ? Et surtout qui les bloquent ?

Contacté, le management de la CNSS a refusé tout commentaire. Les syndicats, quant à eux, accusent ouvertement le gouvernement notamment les ministères des Finances et du Travail.

C’est ce que nous confirme également une source non syndicale, membre du conseil d’administration de la CNSS. "Le ministère des Finances remet en cause les décisions du conseil d'administration de la CNSS ou fait trainer les dossiers", nous confie notre source. "Cela remet en cause l'indépendance de cet organe de gouvernance où sont représentés les bailleurs de fonds de cette caisse, que sont les employeurs et les employés, ainsi que l'Etat avec plusieurs de ses départements. Quand il y a toutes ces composantes qui valident des décisions et que celles-ci sont finalement remises en cause par un ministère, cela suppose qu'il y a un "shadow" conseil qui prend les décisions et que le conseil d'administration de la CNSS est relégué au statut de chambre d'enregistrement", poursuit cet administrateur.

Un autre administrateur verse dans le même sens mais sur un ton moins passionné. "Les décisions du conseil d’administration rencontrent des problématiques d’ordre juridique ou administratif. L’application de la nouvelle grille des TNR rencontre un blocage juridique car il se trouve que la loi ne prévoit pas la signature que d'un seul organisme gestionnaire de l’AMO. 

Il faut que l'ensemble des organismes signent les conventions, et la CNOPS a refusé de le faire pour des raisons d'équilibre financier", nous explique notre source.

Mais c'est bien la seule décision bloquée à cause de la CNOPS et dont les arguments peuvent se comprendre. Cela dit, la situation financière fragile de de la CNOPS n'est pas nouvelle, et le gouvernement n'a pas encore mené d'actions concrètes pour y remédier une fois pour toute, bloquant ainsi une réforme nécessaire pour les prestataires de soins et les assurés.

"Pour les autres décisions, le retard est plutôt d'ordre administratif. Il faut un ensemble de textes réglementaires, signés par les autorités compétentes (primature, ministères des Finances, de la Santé,...) et publiés au Bulletin officiel pour que ces décisions soient effectives. Ces textes tardent à voir le jour, peut-être par ignorance du fond des dossiers ou par incompétence", lâche notre source.

"Le ministère des Finances s'interroge sur la pérennité du régime AMO, alors qu'aucune décision adoptée par le conseil d'administration de la CNSS n'est prise, qu'après réalisation et examen de toutes les études actuarielles, prévisionnelles et financières nécessaires", poursuit ce membre du conseil d'administration. Médias24 avait publié le détail de l'étude d’impact financier de la hausse du taux de remboursement et des TNR sur les finances de la CNSS.

"Le ministère des Finances avance un risque sur l'AMO alors que le régime va finir l'année avec un excédent de 30 milliards de DH. De quel risque parle-t-on ? Avant de prendre n'importe quelle décision, toutes les études sont menées. Et généralement nous prenons en considération les scénarios les plus pessimistes pour éviter tout risque. Ce qui n'est pas le cas des autres caisses", ajoute cet autre administrateur. Nos sources appellent implicitement le ministère des Finances à balayer devant sa porte en faisant référence à la CNOPS et à la CMR, dont les régimes sont en faillite.

Ce qui intrigue les membres du conseil d'administration, c'est que les réserves du ministère des Finances interviennent après que le conseil d'administration de la CNSS où sont représentés l'Etat (primature, Anam, emploi,...), les employeurs et les employés ont validé et voté ces décisions. "Généralement, le représentant du ministère s'abstient de voter ou vote non, arguant qu'il doit s'en remettre à sa hiérarchie", nous confie un administrateur.

"Malheureusement, le département qui représente le ministère des Finances au conseil d'administration n'est pas celui qui traite les dossiers quand ceux-ci arrivent au ministère des Finances et ce dernier ne maitrise pas les fonds des dossiers", répond notre source. 
Ne maitrisant pas les fonds de dossiers, ils doivent donc les examiner en détails, ce qui prend automatiquement plus de temps. 
Mais cela justifie-t-il pour autant 8 mois de retard, de juillet 2019 à février 2020 pour ne compter que cette période ? "La vitesse de l'un n'est peut-être pas la vitesse de l'autre", nous répond-on.

Cet autre administrateur propose une "amélioration de la représentativité du département des Finances avec un niveau décisionnaire, pourquoi pas le ministre lui-même". 
Ainsi, peut-être que cette situation de blocage sera dépassée.
La CNSS, acteur principal de la future réforme de l'AMO ?

Tout cela intervient alors que la CNSS est de plus en plus sollicitée dans la gestion de plusieurs dossiers stratégiques. La caisse travaille sur le lancement de l'AMO et retraite pour les indépendants. C'est à travers la caisse que les indemnités Covid ont été versées aux salariés pendant la crise. Plus récemment, le ministre des Finances Mohamed Benchaâboun a annoncé qu'une nouvelle assurance maladie obligatoire pour les populations vulnérables qui bénéficient actuellement du Ramed, sera instaurée et gérée par la CNSS.

Il y a tout un projet de généralisation de l'AMO à l'ensemble de la population dans un horizon de deux ans, dans lequel la CNSS joue un rôle central en tant que gestionnaire de ces futurs régimes. Est-ce pour cette raison que le ministère des Finances préfère garder au chaud l'excédent du régime AMO ? "C'est vrai qu'il y a plusieurs chantiers qui se font en parallèle dans le sens de l'universalisation de l'AMO. Si on doit choisir entre améliorer la couverture à ceux qui en disposent déjà ou couvrir des populations qui n'en ont pas, je préfère couvrir les populations hors AMO", commente ce membre du conseil d'administration. Un raisonnement logique mais qui ne trouve pas écho chez tous les membres du conseil d'administration.

"L'annonce faite par le ministre des Finances n'a jamais été évoquée dans le cadre du conseil d'administration. Nous avons été surpris au moment de son annonce. L'excédent du régime AMO a été constitué grâce aux contributions des employeurs et des employés. 
Est-ce que le gouvernement veut financer un système obligatoire pour les démunis où l'Etat a failli, par l'argent du privé ? 

C'est une question qui se pose actuellement. 
Aujourd'hui nous avons peur pour les finances de la caisse ! ", confie cet administrateur.

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