Ramed : Interrogations sur le passage d'un système d'assistance à celui d'assurance
Le Régime d’assistance médicale des économiquement démunis (Ramed) donne du fil à retordre au gouvernement.
Fin septembre dernier, le ministre de l’Economie et des Finances Mohamed Benchaâboun a révélé des éléments de la réforme globale projetée de la couverture sociale.
Dans son exposé, il a brièvement annoncé que le Ramed laissera place à un régime assurantiel obligatoire pour les économiquement démunis. Un nouveau régime qui serait géré par la CNSS.
Il n’en dira pas plus.
Une population de 12 millions de personnes à couvrir. ...
Pour rappel, le Ramed est un système d’assistance médicale qui a pour but de faire bénéficier une population économiquement démunie d'une couverture médicale de base, qui offre la gratuité des soins et prestations médicalement disponibles dans les hôpitaux publics.
A son lancement en 2008 et sa généralisation en 2011, on espérait que ce sera la réponse pour généraliser l’accès aux soins à l’ensemble de la population. Cependant, le système a rapidement montré ses limites et depuis, les appels à sa réforme se sont multipliés sans qu’aucune réforme n’aboutisse.
Depuis 2018, le Roi Mohammed VI appelle expressément dans plusieurs de ses discours à la réforme du Ramed et à l’accélération de ce chantier.
Anas Doukkali alors ministre de la Santé avait entamé le chantier en 2018. Mais il a été remplacé par Khalid Ait Taleb à la tête de ce département stratégique en octobre 2019.
A peine a-t-il pris ses marques, le nouveau ministre devait se concentrer sur la gestion de la pandémie. Tous les projets de réformes ont été suspendus un temps, mais aujourd’hui, le Souverain a donné ses instructions pour que ce chantier de couverture sociale soit finalisé d’ici 5 ans, celui de l’AMO plus particulièrement dans les deux ans à venir.
Jusqu’à fin septembre 2019, plus de 12 millions de bénéficiaires étaient inscrits sur les listes du RAMED, représentant environ 5 millions de ménages dont plus de 8 millions sont porteurs de cartes Ramed valides.
Depuis l'annonce du ministre des Finances le 28 septembre dernier, les questions fusent de part et d’autres sur la nature de ce régime sur lequel le gouvernement planche.
La question primordiale reste donc, comment intégrer cette population qui représente deux fois la population couverte par l’AMO du privé (6,8 millions/CNSS) et quatre fois la population couverte par l’AMO du public (3 millions/Cnops) ?
Un administrateur de la CNSS n’hésitait pas à exprimer son appréhension quant à une éventuelle intégration de cette population dans le cadre de l’AMO des salariés du privé, craignant ainsi pour les acquis des salariés et pour l’équilibre financier du régime qui depuis sa création est excédentaire.
Certes, il est difficile de se prononcer avec précision sur ce qu’envisage de faire le gouvernement, car aucun détail ne filtre. D'autant plus que certaines sources proches du dossier avancent que depuis cette annonce, le ministère des Finances a abandonné l’idée de confier ce nouveau régime à la CNSS .
Quoi qu’il en soit, la question de savoir comment transformer un régime d’assistance en un régime assurantiel reste d’actualité. Comment éviter les erreurs du passé? Comment identifier les bénéficiaires cibles? Qui assumera l'obligation de contribution? Ces questions et d'autres, nous les avons posées à deux experts en assurance qui maitrisent les rouages de l’AMO de par leur expérience. Voici leurs avis.
De l'assistance à l'assurance, c'est possible
"Une assurance suppose d'avoir une population donnée à l’intérieur de laquelle il y a une proportion qui sous-entend un risque. Je prends l'exemple des voitures, quand je dis chaque voiture doit être assurée, toutes les voitures ne font pas d'accidents. Donc, j’ai une population donnée qui a une capacité contributive et paie une contribution pour que si un jour le risque se concrétise pour une partie de cette population, celle-ci sera prise en charge par la mutualité", commence par expliquer un expert en assurance et études actuarielles.
"L’idée de l’assistance est différente. Cela suppose que chaque individu va consommer un montant donné. Et quelque part, l’Etat ou un autre organisme va subventionner les dépenses car cette population est vulnérable. Dans ce système, on s’intéresse beaucoup plus aux bénéficiaires qu’à la population dans sa globalité. Or, le système d’assurance s’intéresse plus à la population", poursuit notre expert.
"La population cible dans ce débat n'est pas supposée avoir une capacité contributive car elle est économiquement démunie. Donc, nous sommes en train de proposer une assurance sociale, ce qui pose quelques questions importantes à définir : Qui prendra en charge la contribution ?
Un administrateur de la CNSS n’hésitait pas à exprimer son appréhension quant à une éventuelle intégration de cette population dans le cadre de l’AMO des salariés du privé, craignant ainsi pour les acquis des salariés et pour l’équilibre financier du régime qui depuis sa création est excédentaire.
Certes, il est difficile de se prononcer avec précision sur ce qu’envisage de faire le gouvernement, car aucun détail ne filtre. D'autant plus que certaines sources proches du dossier avancent que depuis cette annonce, le ministère des Finances a abandonné l’idée de confier ce nouveau régime à la CNSS .
Quoi qu’il en soit, la question de savoir comment transformer un régime d’assistance en un régime assurantiel reste d’actualité. Comment éviter les erreurs du passé? Comment identifier les bénéficiaires cibles? Qui assumera l'obligation de contribution? Ces questions et d'autres, nous les avons posées à deux experts en assurance qui maitrisent les rouages de l’AMO de par leur expérience. Voici leurs avis.
De l'assistance à l'assurance, c'est possible
"Une assurance suppose d'avoir une population donnée à l’intérieur de laquelle il y a une proportion qui sous-entend un risque. Je prends l'exemple des voitures, quand je dis chaque voiture doit être assurée, toutes les voitures ne font pas d'accidents. Donc, j’ai une population donnée qui a une capacité contributive et paie une contribution pour que si un jour le risque se concrétise pour une partie de cette population, celle-ci sera prise en charge par la mutualité", commence par expliquer un expert en assurance et études actuarielles.
"L’idée de l’assistance est différente. Cela suppose que chaque individu va consommer un montant donné. Et quelque part, l’Etat ou un autre organisme va subventionner les dépenses car cette population est vulnérable. Dans ce système, on s’intéresse beaucoup plus aux bénéficiaires qu’à la population dans sa globalité. Or, le système d’assurance s’intéresse plus à la population", poursuit notre expert.
"La population cible dans ce débat n'est pas supposée avoir une capacité contributive car elle est économiquement démunie. Donc, nous sommes en train de proposer une assurance sociale, ce qui pose quelques questions importantes à définir : Qui prendra en charge la contribution ?
Quelle serait la relation de l'assurance avec cette population? Leur exigera-t-on une contribution? ..."
Ce sont des questions importantes dans le cadre d'un système assurantiel, car "une fois le schéma défini, il faut obliger ces gens à intégrer ce régime ou cette compagnie, sinon le système fera face au problème de l’antisélection. Seules les personnes malades intégreront le régime. La répartition du coût du régime sera faite uniquement sur les malades, et de facto son coût sera exorbitant, c’est un peu le cas du Ramed actuellement", poursuit notre interlocuteur.
Pour notre expert, le ministre a évoqué une assurance obligatoire, donc il est envisagé de rendre le système obligatoire, c’est-à-dire tout un chacun doit souscrire obligatoirement. Cela pose de sérieux problèmes, quelle que soit la caisse qui devra gérer ce dossier: "d’abord qu'est ce qu'un pauvre ? comment l'identifier? et comment déterminer une cotisation et l'obliger à payer?".
L'Etat au cœur du nouveau système
Des interrogations qui s'annulent à une seule condition, celle de définir le rôle de l'Etat dans ce nouveau régime.
"Je pense que c’est faisable et même préférable de mettre en place un système assurantiel en remplacement d'un système d’assistance. Avec le système du Ramed, les gens partaient à l’hôpital mais il n’y avait pas de facturation. Des budgets étaient transférés aux hôpitaux sans savoir ce que le Ramed coûte exactement. L’avantage d'un système contributif ou assurantiel, c’est qu’il est transparent. On sait combien ça coûte, on connait la source du financement et qui en bénéficie", commente ce spécialiste de l'assurance et la prévoyance.
"J'estime que c'est plutôt une bonne chose de faire cette transformation que de rester sur un système où théoriquement les Ramédiste ont accès aux soins alors que dans la pratique les dysfonctionnements sont nombreux".
"Nous n'avons pas d’idée sur les paramètres, mais on peut imaginer un système où l’Etat va se substituer à ces gens-là pour payer la cotisation qu’ils auraient dû payer dans le cadre d'un système assurantiel classique. Une partie de cette cotisation pourrait être payée par la personne ramédiste au moment de l’acquisition des droits et l’autre partie serait prise en charge par l’Etat. Car, je ne pense pas que l’Etat va se désengager totalement en disant : on va donner cette population au régime AMO et le laisser se débrouiller avec cette charge".
"L’idée est plutôt de dire, l’Etat a déjà des charges par rapport au Ramed qu'il prend en charge. Evidemment ces fonds devront être transférés vers le nouveau régime".
Notre expert en études actuarielles est du même avis. "Si l’Etat ou une structure autre prend en charge la responsabilité de l'obligation du paiement de la cotisation, œuvre à l'identification de cette population et fixe le coût mensuel à mettre en face de la prestation donnée pour chaque individu/famille, l'équation devient plus simple pour l'assureur, car à ce moment, ces individus auront le même traitement que celui des fonctionnaires par exemple".
Dans ce sens, l’Etat peut utiliser le levier du RSU pour identifier sa cible et décider le budget qui sera alloué à leur assurance. "Dans ce schéma, que l'Etat demande à ces personnes 10 ou 100 DH comme aide au système c’est son affaire. L’essentiel pour l'assureur est que son seul vis-à-vis sera l’Etat".
Ce sont des questions importantes dans le cadre d'un système assurantiel, car "une fois le schéma défini, il faut obliger ces gens à intégrer ce régime ou cette compagnie, sinon le système fera face au problème de l’antisélection. Seules les personnes malades intégreront le régime. La répartition du coût du régime sera faite uniquement sur les malades, et de facto son coût sera exorbitant, c’est un peu le cas du Ramed actuellement", poursuit notre interlocuteur.
Pour notre expert, le ministre a évoqué une assurance obligatoire, donc il est envisagé de rendre le système obligatoire, c’est-à-dire tout un chacun doit souscrire obligatoirement. Cela pose de sérieux problèmes, quelle que soit la caisse qui devra gérer ce dossier: "d’abord qu'est ce qu'un pauvre ? comment l'identifier? et comment déterminer une cotisation et l'obliger à payer?".
L'Etat au cœur du nouveau système
Des interrogations qui s'annulent à une seule condition, celle de définir le rôle de l'Etat dans ce nouveau régime.
"Je pense que c’est faisable et même préférable de mettre en place un système assurantiel en remplacement d'un système d’assistance. Avec le système du Ramed, les gens partaient à l’hôpital mais il n’y avait pas de facturation. Des budgets étaient transférés aux hôpitaux sans savoir ce que le Ramed coûte exactement. L’avantage d'un système contributif ou assurantiel, c’est qu’il est transparent. On sait combien ça coûte, on connait la source du financement et qui en bénéficie", commente ce spécialiste de l'assurance et la prévoyance.
"J'estime que c'est plutôt une bonne chose de faire cette transformation que de rester sur un système où théoriquement les Ramédiste ont accès aux soins alors que dans la pratique les dysfonctionnements sont nombreux".
"Nous n'avons pas d’idée sur les paramètres, mais on peut imaginer un système où l’Etat va se substituer à ces gens-là pour payer la cotisation qu’ils auraient dû payer dans le cadre d'un système assurantiel classique. Une partie de cette cotisation pourrait être payée par la personne ramédiste au moment de l’acquisition des droits et l’autre partie serait prise en charge par l’Etat. Car, je ne pense pas que l’Etat va se désengager totalement en disant : on va donner cette population au régime AMO et le laisser se débrouiller avec cette charge".
"L’idée est plutôt de dire, l’Etat a déjà des charges par rapport au Ramed qu'il prend en charge. Evidemment ces fonds devront être transférés vers le nouveau régime".
Notre expert en études actuarielles est du même avis. "Si l’Etat ou une structure autre prend en charge la responsabilité de l'obligation du paiement de la cotisation, œuvre à l'identification de cette population et fixe le coût mensuel à mettre en face de la prestation donnée pour chaque individu/famille, l'équation devient plus simple pour l'assureur, car à ce moment, ces individus auront le même traitement que celui des fonctionnaires par exemple".
Dans ce sens, l’Etat peut utiliser le levier du RSU pour identifier sa cible et décider le budget qui sera alloué à leur assurance. "Dans ce schéma, que l'Etat demande à ces personnes 10 ou 100 DH comme aide au système c’est son affaire. L’essentiel pour l'assureur est que son seul vis-à-vis sera l’Etat".
Quel panier de soins leur offrir ?
Une question est primordiale dans ce débat. A quelle prestation auront droit ces gens? Disposeront-ils du même panier de soins que celui des salariés et des fonctionnaires? ou alors on les orientera uniquement vers le public, comme c'est le cas pour le Ramed?
"Il faut que cette assurance se limite à une assurance de base, car l'Etat n’aura pas les moyens de donner des prestations avec des plafonds importants", répond le spécialiste en assurance et prévoyance.
Pour notre expert en assurance, la question peut-être étudiée de deux manières différentes et "c'est à l’Etat de choisir le format qu’il veut". l'Etat peut définir le panier de soins et de prestation, décider si c'est uniquement dans le public, ou alors dans le privé aussi, que cette population peut se soigner. "Une fois ce panier déterminé, l’assureur définira la contribution à mettre en face".
"Comme il est possible de faire l'inverse, fixer une contribution sur laquelle l'assureur va caler une prestation.
Une question est primordiale dans ce débat. A quelle prestation auront droit ces gens? Disposeront-ils du même panier de soins que celui des salariés et des fonctionnaires? ou alors on les orientera uniquement vers le public, comme c'est le cas pour le Ramed?
"Il faut que cette assurance se limite à une assurance de base, car l'Etat n’aura pas les moyens de donner des prestations avec des plafonds importants", répond le spécialiste en assurance et prévoyance.
Pour notre expert en assurance, la question peut-être étudiée de deux manières différentes et "c'est à l’Etat de choisir le format qu’il veut". l'Etat peut définir le panier de soins et de prestation, décider si c'est uniquement dans le public, ou alors dans le privé aussi, que cette population peut se soigner. "Une fois ce panier déterminé, l’assureur définira la contribution à mettre en face".
"Comme il est possible de faire l'inverse, fixer une contribution sur laquelle l'assureur va caler une prestation.
C’est plus compliqué, mais c'est faisable", explique notre source.
Cette question suscite d'importants débats, mais tous vont dans le sens de l'importance de la contribution financière de l'Etat, pour la réussite d'un tel système. L'Etat en a t-il les moyens ?
Cette question suscite d'importants débats, mais tous vont dans le sens de l'importance de la contribution financière de l'Etat, pour la réussite d'un tel système. L'Etat en a t-il les moyens ?
Difficile à dire.
La seule indication dans ce sens est un montant global avancé par le ministre des Finances.
Celui-ci a déclaré que le financement de la réforme de la couverture sociale nécessitera presque 14 MMDH entre 2021 et 2022, dont 5,4 MMDH financés dans le cadre du système contributif et 8,5 MMDH financés par l'Etat.
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