"Cher Twitter, depuis quelque temps tu as changé, je ne te reconnais plus..."

"Cher Twitter, depuis quelque temps tu as changé, je ne te reconnais plus..."


Marguerite Stern  AFP

Marguerite Stern, créatrice des collages contre les féminicides et auteure du podcast et du livre "Héroïnes de la rue" (Michel Lafon), constate un recul de la liberté d'expression sur Twitter.


Cher Twitter,

Longtemps, j’ai cru que tu étais l’amour de ma vie. Pendant des années, tu as accueilli mes révoltes, tu m’as permis de les fixer et de les exporter dans le monde entier. Après deux ou trois verres de vin, en soirée, je me mettais à parler de toi passionnément. Je racontais pourquoi j’avais délaissé Facebook pour toi. J’expliquais comment Instagram laisse plus de place à l’image et donc à l’émotion, alors que toi tu étais dans les mots, dans l’intellect. Tu permettais l’émergence de vrais débats d’idées. Je trouvais ça tellement séduisant.

OUTIL DE LUTTE ?

Bien sûr, tu as toujours eu tes défauts. Et pas des moindres quand j’y réfléchis. Tu laisses en ligne énormément de contenu pédocriminel, pornographique, sexiste, homophobe, raciste, etc. Ça aurait peut-être dû m’alerter plus tôt. Mais j’étais aveuglée par l’amour inconditionnel que je te portais.


Tu as fait en sorte de devenir un outil de lutte incontournable du nouveau millénaire. Grâce à toi, mon cœur battait au rythme des révoltes de Taksim en 2013. Ça a été la même chose avec Maïdan en 2014. En 2015, j’ai suivi les attentats de Paris en direct sur ton fil. Pendant des années, tu m’as ouvert une fenêtre sur le monde. Tu m’as permis d’avoir accès à une information de qualité. Grâce à toi j’ai pu suivre les récits de journalistes et de citoyens et citoyennes habitant la Syrie, le Yémen, la Turquie. Je voudrais te remercier pour ça.

"Merci d’avoir été cet outil d’expression, de libération et de rassemblement formidable"

Je voudrais te remercier aussi d’avoir tenu un rôle très spécial dans ma découverte de l’activisme. 
Car si tu m’as permis d'écouter la parole des autres, tu m’as aussi aidé à diffuser la mienne et celle de mes sœurs de lutte.

Il y a tout pile un an, c’est toi qui as diffusé le thread dans lequel je prenais publiquement position contre le transactivisme. 
Ce coup de gueule a changé ma vie parce qu’il m’a valu de nombreux coups de bâtons en retour, mais c’était un acte de liberté que je ne regretterai jamais. Et pas que pour moi. Avec #Metoo, tu as permis à des millions de femmes de s’exprimer sur ta plateforme pour dénoncer leurs agresseurs et faire changer la honte de camp. Grâce à toi, nous avons pu créer un discours collectif, un partage d’expérience qui a fait que nombreuses se sont senties moins seules. Merci pour ça. Merci d’avoir été cet outil d’expression, de libération et de rassemblement formidable.

CHANGEMENT D'AMBIANCE

Mais depuis quelque temps tu as changé. Je ne te reconnais plus. Et si je t’écris aujourd’hui, c’est pour te dire qu’il n’est jamais trop tard pour faire demi-tour et te remettre dans le droit chemin. Les problèmes entre nous ont commencé le jour où tu m’as interdit de dire que la préférence génitale n’était pas de la transphobie, et de demander ironiquement : « À quand les thérapies de conversion pour les lesbiennes et les gays qui n’auraient pas envie d’avoir une relation avec le sexe opposé ? » C’était le 12 Janvier 2021. Tu m’as bloquée pendant huit heures.

Le lendemain, comme j’ai récidivé en postant ce même message en anglais, tu m’as à nouveau bloquée pendant huit heures. J’ai eu l’impression d’être une petite fille qui s’insurgeait du fond de classe que le masculin l’emporte sur le féminin, et d’avoir été punie au coin. Mais cette impression n’a duré que quelques minutes parce que je ne suis plus une petite fille. Aujourd’hui j’ai trente ans et je n’accepte pas qu’on m'interdise de m’exprimer alors que mes propos ne sortent pas du cadre de la loi.

Ce 24 janvier, tu as recommencé. Tu m’as bloqué pour 7 jours au prétexte que mon tweet : « Les violences conjugales et sexuelles sont massivement commises par des hommes, dans tous les milieux sociaux, y compris chez les riches. Le dénominateur commun des agresseurs, c’est leur sexe, pas leur couleur de peau » propageait un discours de haine.
"Aujourd’hui, je te lance un ultimatum"

Le problème, cher Twitter, c’est que je ne suis pas un cas isolé. Quelques heures avant, tu venais de bloquer @Melusine_2 pour avoir demandé : « Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ? » 

Suite à cela, des centaines d’autres femmes ont posé la même question sur le réseau en soutien. Tu en as bloqué des dizaines. Tu as retiré le tweet de ma sœur de lutte Clémence Lalande qui t’accusait de censure.

Nos tweets sont de simples échos des chiffres que rapportent différents instituts de sondages. 
En France, on estime que 91,2% des victimes de viol sont des femmes et que 96,3% des agresseurs sont des hommes. 
Chaque année, sur notre territoire, 93 000 femmes sont victimes de viol ou tentative de viol. Les conséquences sur notre santé physique et mentale, sur notre vie affective, sociale et professionnelle sont énormes. 
Nous ne voulons pas de ce monde où les hommes agressent massivement les femmes et nous comptons bien continuer à faire entendre nos voix. 
En nous censurant, tu te places du côté des agresseurs. 
C’est révoltant.

Parallèlement, tu ne retires pas les appels au viol et à la haine des femmes qui infestent tes parties les plus sombres. 
Tu dois te remettre en question et choisir le camp de la justice sociale. 
Aujourd’hui, je te lance un ultimatum. Soit tu redeviens comme avant, tu nous laisses nous exprimer librement. 
Soit c’est fini entre nous. 
Je compte sur toi pour être intelligent et faire les bons choix. 
Tu vaux mieux que ça.


Par Marguerite Stern

Commentaires