ETABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : VERS UNE VÉRITABLE POLITIQUE CARCÉRALE AU MAROC ?
La gestion des établissements pénitentiaires fait régulièrement l’objet de rapports, notamment de la Cour des comptes. Mais en 2019, c’est la mission exploratoire temporaire de députés de la deuxième chambre qui s’est attelée à visiter trois centres de détention notamment Moul El Bergui à Safi, Aïn Sebaâ à Casablanca et Toulal 1 à Meknès.
Son rapport présenté en juillet 2020, sa discussion en séance plénière à la Chambre des représentants a été programmée ce mardi 2021.
L’occasion pour les membres de la mission de rappeler quelques-unes des remarques et recommandations émanant du rapport et d’interpeller les autorités concernées à leur sujet.
Le Rapporteur de cette mission, Réda Boukoumazi, a ainsi entamé la séance plénière en rappelant en résumé la situation des prisons objets du rapport (lequel fait 279 pages).
L’une des premières remarques soulevées par le rapport est la classification des détenus en trois catégories A, B et C selon leur implication dans la vie au quotidien dans l’établissement pénitentiaire, notamment A, pour les détenues qualifiés dangereux qui ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs codétenus en temps de promenade ou des programmes de réinsertion.
Le rapport qualifie ainsi les conditions de purgation de la peine pour les catégories B et C de relativement meilleures que pour les détenus de la catégorie A.
Par ailleurs, il a été constaté la faiblesse du mécanisme de contrôle tel que stipulé dans le Code de la procédure pénale, l’exemple de la prison Moul El Bergui qui depuis son inauguration en 2011, n’a fait l’objet d’aucune visite d’aucune commission de contrôle.
Aussi, certains détenus ont-ils fait part à la mission exploratoire de torture et de mauvais traitement lors des procédures disciplinaires notamment l’isolement carcéral.
Autre grief relevé par le rapport, les limites de prodiguer des soins aux détenus par les cliniques dans les établissements carcéraux en raison de la faiblesse des moyens notamment humains.
D’ailleurs le rapport souligne le cas de la Prison Moul El Bergui dont le médecin traitant a démissionné depuis 2018 sans être remplacé. Pis, les détenus peinent à décrocher des rendez-vous pour des consultations externes.
La mission exploratoire a également relevé les limites des possibilités de bénéficier d’une formation professionnelle ou de poursuite des études pour les détenus.
Le rapporteur donne ainsi un autre exemple de l’établissement pénitentiaire Moul El Bergui où sur 1980 détenus, seuls 35 ont pu bénéficier de formation professionnelle ou poursuivre leurs études.
L’un des constats formulé est que la gestion de l’hébergement, de cantine, et des autres aspects quotidiens à la vie des détenus prend le dessus sur les autres aspects relatifs aux services en faveur de la réinsertion des détenus, et ce, faute de moyens humains et d’une surpopulation.
Sur un autre registre, le rapporteur de la mission souligne l’absence de toute donnée relative à la gestion des magasins au niveau des prisons visités, le rôle de gestion étant conféré à l’association des œuvres sociales Takafoul.
Aussi, la question de l’usage des cigarettes s’est posé notamment pour les mineurs en détention qui par ailleurs ne profitent d’un accompagnement psychologique en faveur de leur réinsertion.
Les députés ont également soulevé le problème d’accès à certaines prisons, le cas encore de Moul El Bergui ce qui a une incidence sur les visites des familles aux détenus qui se chiffrent à une seule visite chaque trois mois en moyenne, selon les données mises à disposition de la mission exploratoire temporaire.
A contrario, le cas de la prison d’Aïn Sebaâ est enclavée au milieu d’une zone industrielle ce qui pose la problématique de la sécurité de transport de convois et de déplacement.
Sur un autre registre, la mission exploratoire a exprimé son satisfecit de constater la présence de crèche pur enfants dans les mamans en détention, mais a soulevé l’absence d’une salle d’accouchement dans les prisons pour les détenues qui arriveraient au terme de leur grosse.
La mission a salué par ailleurs, l’initiative de création d’une coopérative par des femmes détenues à Aïn Sebaâ pour disposer d’une activité génératrice de revenu qui facilite leur réinsertion une fois leurs peines purgées.
La politique carcérale dépend de la réforme du Code pénal et de la procédure pénale
Lors de cette discussion publique, Ministre d’État en charge des droits de l’Homme, Mustapha Ramid a annoncé travaillé avec la DGAPR sur un projet de loi qui organise et gère les établissements pénitentiaires, qui devra être incessamment (probablement la semaine prochaine) soumis au Conseil de gouvernement pour approbation avant d’être déposé dans le circuit d’approbation au Parlement.
Dans son intervention le ministre a insisté sur la mission très complexe qui incombe à la DGAPR, et donc les établissements pénitentiaires notamment une mission sécuritaire, conjuguée à une mission économique puisqu’elle doit assurer une intendance aussi bien pour la cantine que les services aux détenus, et une mission sociale puisqu’elle doit veiller sur la santé des détenus et assurer leur réinsertion.
Cette mission qui souffre de dysfonctionnement est compliquée du fait également que ces établissements ne peuvent refouler les détenus et sont dans l’obligation d’accueillir les personnes condamnées par l’administration judiciaire.
Face à la recrudescence des cas de détention préventive (39 à 40 %) et l’absence de peines alternatives (et c’est là une autre paire de manche), cette situation contribuer au surpeuplement des prisons et une pression sur les établissements pénitentiaires ce qui impacte le taux d’encadrement que doivent assurer les établissement pénitentiaires. Et ce malgré les chantiers lancés par la DGAPR depuis 2014.
13 ans après l’instauration de la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion » (DGAPR), ce texte de loi saura-t-il à lui seul poser les jalons d’une véritable politique carcérale garante de la réinsertion des détenus, la protection de leur sécurité et de la sécurité des personnes, des bâtiments et des installations affectés aux établissements pénitentiaires ainsi que le maintien de l’ordre public ?
Pas si sûr.
En effet, Mustapha Ramid, qui plus est avocat de métier, admet que dans cet écosystème, la réforme en profondeur du Code pénal et de la procédure pénale occupe une importance primordiale.
Le ministre qui a défendu les acquis du Royaume dans la lutte contre la torture, couronnés par la mise en place en 2019 du Mécanisme national de prévention de la torture (MNP) bien que des dépassements pour avoir lieu et qui sont « condamnés » martèle-t-il.
Par ailleurs sur les efforts financiers pour améliorer les conditions de détention, le budget de la DGAPR est passé de 1.137 MDH en 2011 à 2.385 MDH en 2021, soit plus de 100% de hausse en dix ans. Aussi, la DGAPR figure parmi les 6 administrations qui profitent le plus des Postes budgétaires, de même qu’elle a inauguré durant les 5 dernières années 17 nouveaux établissements pénitentiaires aux normes internationales après fermetures de 17 centres de détention.
Le ministre souligne que le cout du repas par prisonnier est passe de 10 DH avant 2015 à 17 DH 2017, sans oublier la surpression du « panier » qui accablait financièrement les familles en plus de la charge supplémentaire de travail de fouille de ces paniers par les fonctionnaires.
Ce qui a également permis une baisse de 48,16 % de détention des drogues au sein des prisons et de 47,8 % des objets tranchants.
Pour la prise en charge sanitaire des détenus, le ministre avance que la moyenne est de 6 consultation par détenu par an, 1 médecin pour 89 détenus et un dentiste pour 1.167 détenus. Il estime ainsi que le taux d’encadrement sanitaire est plus élevé au sein des prisons qu’à l’extérieur.
« Cela dit, nous sommes tenus de fournir plus d’efforts pour améliorer cette couverture sanitaire », estime-t-il.
Pour la prise en charge sanitaire des détenus, le ministre avance que la moyenne est de 6 consultation par détenu par an, 1 médecin pour 89 détenus et un dentiste pour 1.167 détenus. Il estime ainsi que le taux d’encadrement sanitaire est plus élevé au sein des prisons qu’à l’extérieur.
« Cela dit, nous sommes tenus de fournir plus d’efforts pour améliorer cette couverture sanitaire », estime-t-il.
Et de conclure « La question qui se pose, tout en fournissant les droits basiques aux détenus, est-il logique que les conditions de détention soient meilleures que les conditions de vie des marocains ?
Cette évolution à l’intérieur soit aller en ligne avec celle à l’extérieur ».
Écrit par Imane Bouhrara
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