Pourquoi les variants se multiplient à cette allure ?
Hasard ou intelligence diabolique ?
Pourquoi les variants se multiplient à cette allure ?
Hasard ou intelligence diabolique ?
Variant. Voilà un mot que l’on ne connaissait pas il y a encore quelques semaines.
Aujourd’hui, il est sur toutes les lèvres et fait la une des médias. Variant anglais, sud-africain, brésilien et maintenant californien, il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouveau variant soit détecté. Des mutations du coronavirus qui inquiètent et pourraient mettre en péril les stratégies vaccinales actuellement menées. Le virus démontre sa capacité à muter ; le fait -il par les hasards de l’évolution ou pour mieux s’adapter à son environnement et gagner en efficacité ?
Le professeur Delfraissy, président du Conseil scientifique va même jusqu’à affirmer : « On a affaire à un virus diabolique et beaucoup plus intelligent qu’on ne le pense ». Sarah Otto, spécialiste en biologie évolutionniste à l’Université de la Colombie-Britannique nous aide à comprendre comment et pourquoi ces variants se propagent si rapidement.
Le SARS-CoV-2 offre une occasion unique d’étudier en temps quasi réel l’évolution d’un organisme. C’est ce que fait Sarah Otto, spécialiste en biologie évolutionniste à l’Université de la Colombie-Britannique. En tant que biologiste de l’évolution, elle étudie comment la mutation et la sélection se combinent pour modeler l’évolution des populations au fil du temps. Jamais auparavant nous n’avons eu autant de données en temps réel sur l’évolution que dans le cas du SRAS-CoV-2 : plus de 380 000 génomes ont été séquencés l’année dernière.
Le SRAS-CoV-2 a subi des mutations au fur et à mesure de son expansion, générant de légères différences dans son génome. Ces mutations permettent aux scientifiques de retracer qui est apparenté à qui dans l’arbre généalogique du virus.
Les biologistes de l’évolution ont mis en garde contre une surinterprétation de la menace posée par les mutations. La plupart des mutations n’aideront pas le virus et ne lui apporteront aucun avantage. Mais de temps en temps, une mutation ou une suite de mutations donne un avantage au virus. Les données sont convaincantes : les mutations portées par le variant apparu pour la première fois au Royaume-Uni, connu sous le nom de B.1.1.7, rendent le virus plus « adapté ».
Énigme scientifique
Lorsqu’un nouveau variant devient courant, les scientifiques déterminent la raison de sa propagation. Un virus porteur d’une mutation peut se multiplier de trois manières : parce que son hôte est un « super-épandeur », parce qu’il est amené dans une région encore non infectée, ou parce qu’il est introduit dans un nouveau segment de la population. Les deux dernières possibilités sont appelées des « événements fondateurs » : une augmentation rapide de la fréquence d’un variant donné peut être observée s’il est introduit dans un nouveau groupe et déclenche une épidémie locale.
Ces trois modes sont des événements fortuits, dictés par le hasard, qui pourraient expliquer l’augmentation de la fréquence de plusieurs variants du CoV-2 du SRAS. Mais B.1.1.7, le variant dit « anglais », fait figure d’exception et d’énigme pour les scientifiques.
La multiplication de B.1.1.7 ne peut pas s’expliquer par un événement fondateur dans de nouvelles régions, car COVID-19 circulait déjà au Royaume-Uni ; les événements fondateurs dans un nouveau segment de la population (par exemple, à la suite d’une conférence) ne sont pas non plus plausibles car les restrictions généralisées concernant les grands rassemblements étaient déjà mises en place à l’époque. Pour les scientifiques, il ne reste qu’une hypothèse : ce virus a muté pour être plus fort.
Mutation expresse
Le suivi de la propagation du B.1.1.7 montre qu’il est plus transmissible que la souche historique du virus. Une équipe de chercheurs a ainsi estimé que ce variant augmente le nombre de nouveaux cas causés par un individu infecté (ce que l’on appelle le nombre de reproduction de base ou R) de 40 à 80.
Une augmentation de 40 à 80% du R est quelque chose de très remarquable. Sarah Otto pense qu’un « avantage de 40 à 80 % signifie que B.1.1.7 n’est pas seulement un peu plus en forme, il est beaucoup plus en forme ». Elle ajoute toutefois que même lorsque la sélection est aussi forte, l’évolution n’est d’ordinaire pas instantanée. La modélisation mathématique à laquelle elle a procédé, ainsi que celle d’autres chercheurs au Canada et aux États-Unis, montre qu’il faudrait quelques mois à B.1.1.7 pour atteindre sa montée fulgurante, car seule une petite fraction des cas porte initialement la nouvelle variante.
Or la surprise pour les chercheurs a été que B.1.1.7 porte un nombre remarquable de nouvelles mutations. Ce variant a accumulé 30 à 35 mutations au cours de la seule année écoulée ! B.1.1.7 ne mute pas à un rythme plus élevé, mais il semble avoir subi une série de changements très rapides dans un passé récent.
Comment cela a-t-il été rendu possible ? Selon les scientifiques, le virus pourrait avoir été transporté par une personne immunodéprimée. En effet, les personnes dont le système immunitaire est très faible combattent le virus en permanence : elles souffrent d’infections prolongées, car les patients subissent des cycles de réplication virale récurrents, et n’offrent qu’une réponse immunitaire partielle… face à laquelle le virus évolue constamment. Un cercle vicieux en forme de course poursuite aboutissant à un variant possédant un plus grand nombre de mutations sélectionnées pour améliorer son efficacité et notamment sa faculté de propagation.
Le variant anglais est sous surveillance constante, mais il n’est plus le seul. Les chercheurs ont repéré deux autres variants préoccupants : l’un, originaire d’Afrique du Sud (B.1.351) et l’autre du Brésil (P1). Ces deux variants montrent un passé récent de mutations excessives et d’augmentation rapide de la fréquence au sein des populations locales. Les scientifiques rassemblent actuellement les données nécessaires pour confirmer que c’est la sélection pour une transmission plus élevée, et non le hasard, qui est responsable de leur émergence.
Qu’est-ce qui a changé dans le virus pour le rendre plus efficace ?
Les 23 mutations de B.1.1.7 et les 21 mutations de P.1 ne sont pas apparues au hasard, n’importe où dans le génome du virus : elles sont regroupées dans une zone bien spéciale, au niveau du gène codant pour la protéine de pointe (« spike »). En clair, il s’agit de la protéine qui permet au virus de s’accrocher aux cellules humaines et d’y pénétrer. Ce qui est frappant, c’est qu’un de ces changements, nommé N501Y, est apparu indépendamment dans les trois variants, ainsi que chez des patients immunodéprimés étudiés aux États-Unis et au Royaume-Uni ; d’autres modifications (par exemple E484K, del69-70) sont communes à deux des trois variants.
Au-delà du « spike », les trois variants en question partagent une mutation supplémentaire qui supprime une petite partie de la « protéine non structurelle 6 » (NSP6). Les chercheurs ne savent pas encore ce que produit cette délétion, mais dans un coronavirus apparenté, la NSP6 trompe le système de défense cellulaire pour favoriser l’infection. La NSP6 détourne également ce système pour aider à copier le génome viral.
L’évolution parallèle des mêmes mutations, à la fois dans différents pays et chez différents patients immunodéprimés, suggère qu’elles véhiculent un avantage sélectif pour que le virus soit plus efficace et échappe au système immunitaire de l’hôte.
Mais comment expliquer le taux de transmission plus élevé d’un individu à l’autre ? Il est difficile pour les chercheurs de répondre à cette question car les nombreuses mutations qui sont apparues en même temps sont maintenant regroupées dans ces variants, et ce pourrait être n’importe laquelle ou une combinaison de celles-ci qui conduirait à l’avantage de transmission.
Est-ce la raison pour laquelle le professeur Delfraissy décrit le virus comme « diabolique » et « intelligent » ?
Ces qualificatifs ne sauraient, normalement, s’associer à un virus, organisme certes vivant, mais dénué de toute conscience, soit-elle archi primitive. Néanmoins, ce virus ne cesse de nous déjouer et de nous interroger. Les milliers de scientifiques qui sont à sa traque partout dans le monde ne sont qu’au début de son histoire.
D’autres surprises pourraient apparaître.
Dans cette histoire de l’évolution du Covid en cours d’écriture, une certitude semble se former : l’avantage de transmission de 40 à 80 % de B.1.1.7, et potentiellement des autres variantes B.1.351 et P1, va submerger de nombreux pays dans les prochains mois. « Nous sommes dans une course contre l’évolution virale » écrit Sarah Otto. Nous devons déployer les vaccins le plus rapidement possible, endiguer le flux de variants en limitant les interactions et les déplacements, et devancer la propagation en intensifiant la surveillance génomique et la recherche des contacts.
La plus grande contagiosité de ces variants et notamment du B.1.1.7 provoque l’inquiétude à travers le monde alors que les systèmes de santé sont déjà mis à rude épreuve : plus le nombre de personnes contaminées est important, plus le nombre de malades souffrant de formes graves augmente, tout comme le nombre de morts. « Malheureusement, il semble que ce virus soit à la fois plus contagieux et peut-être plus mortel », a résumé lundi 25 janvier lors d’une conférence de presse John Edmunds, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine.
« La situation hélas s’aggrave vraiment ». Bjorn Meyer, virologue à l’Institut Pasteur à Paris précise à l’AFP : « Le virus n’a peut-être pas évolué pour devenir plus mortel en tant que tel, mais il pourrait avoir évolué pour se développer plus vite ou mieux ».
Heureusement, les premiers éléments fournis par Pfizer/BioNTech et Moderna, se basant sur des études préliminaires, ont assuré que leurs vaccins seraient toujours efficaces contre les variants anglais et sud-africain. Jusqu’à quand ? Jusqu’à l’arrivée de quel autre variant ?
Source : COVID-19 variants are on the rise and spreading around the world, The Conversation