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Amazonie, Afrique équatoriale, Sibérie, Californie… Et maintenant la Grèce, la Turquie, et l'Algérie. . ...
Les forêts mondiales connaissent, en ces temps troublés de dérèglement climatique, une période noire. Et soudain apparaît sur le devant de la scène un nouveau terme : On parle de grands feux, de mégafeux.
Les incendies de forêts qui jalonnaient les étés méditerranéens semblent petits, dérisoires à côté de ces incendies massifs, qui sont en mesure non seulement de détruire, de tuer, de ravager sur des milliers d’hectares, mais aussi de compromettre les grands équilibres de notre vie sur Terre.
« Poumon vert », « puits de carbone », « gisement de biodiversité »… Les expressions ne manquent pas pour qualifier ces grandes forêts ravagées, sous nos yeux par les flammes. Le même état de sidération que celui que des millions de personnes ressentaient en découvrant l’incendie de la « forêt » de Notre-Dame de Paris. La forêt brûle et pas seulement sous la lumière des projecteurs médiatiques en Amazonie.
Elle brûle aussi en Afrique, en Russie, en Europe, en Californie. Des incendies propulsés par la sécheresse et les températures exceptionnelles enregistrées comme une litanie de records cette année.
Des feux qui disent quelque chose de notre humanité !
Ces mégafeux ne sont pas des catastrophes naturelles comme les autres. Ils nous disent quelque chose de notre humanité. Ils provoquent un choc brutal entre un phénomène sauvage et la civilisation. C’est ce que pense la philosophe Joëlle Zask dans son livre « Quand la forêt brûle.
Penser la nouvelle catastrophe écologique » (Ed. Premier Parallèle). Elle y aborde le grand feu de forêt comme un révélateur, un indicateur, un avertisseur.
Face à la vision du feu et de la forêt calcinée de nombreuses croyances volent en éclat. Penser que grâce à nos si belles technologies, à notre art de piloter des avions de combat des flammes, à notre intelligence stratégique pour déjouer les caprices des vents nous pourrions contrôler un tel phénomène s’avère, devant le spectacle des mégafeux, un triste leurre. De même, penser que le feu de forêt est normal, bénéfique pour la biodiversité et finalement qu’il est une pratique agricole ancestrale et bien commode est une ineptie de naturaliste romantique. De tels incendies ne se jugulent pas. Ils sont plus forts que nos technologies. Ils ne sont pas un outil de plus offert aux cultivateurs pour « dompter » la nature.
Les mégafeux agissent comme un révélateur et volatilisent nos croyances les plus établies. Ils nous installent aussi dans un sentiment de fin du monde. En ce sens, le mégafeu est pour Joëlle Zask, un indicateur : « il signale que nous nous trouvons dans une impasse. Il agit comme une sonnette d’alarme et rend absurde la structure dichotomique qui sous-tend notre relation à la nature, au sujet de laquelle nous nourrissons finalement deux grands idéaux : celui d’une nature si dominée qu’elle doive docilement obéir à nos besoins et à nos prévisions, ou celui d’une nature vierge destinée à être respectée et contemplée à distance ».
La philosophe renvoie ainsi dos à dos les interventionnistes à tout crin, à la mode Bolsonaro, et les écolos évangélistes d’une nature sacrée. Les uns comme les autres ont tout faux quand il s’agit de trouver les moyens de maîtriser, contrer ou éviter les mégafeux.
Événement total
Ces derniers sont un « événement total ». Ils sont à la fois naturels et sociaux. 85 à 98 % d’entre eux, selon les sources, sont d’origine humaine, provoqués par des individus négligents, imprudents ou criminels. Parmi ces derniers, il n’y a pas que des pyromanes dérangés ; il y a aussi ceux qui y trouvent un intérêt et agissent par cupidité. En cela, les grands feux jouent le rôle d’un puissant avertisseur. Les destructions durables de vastes portions de forêts, réduisant en cendres des trésors de biodiversité, engagent la responsabilité humaine. Leur degré de gravité atteint celui des tsunamis, des éruptions volcaniques ou des tremblements de terre. Mais alors qu’il ne viendra à personne l’idée de maîtriser ces catastrophes et encore moins de les déclencher, le projet de dominer le feu perdure et porte en lui les conditions mêmes de sa propagation future.
Dans les mégafeux, Joëlle Zask voit un « accélérateur d’opinion » et l’occasion de nous interroger non pas sur la sauvegarde de la Terre, qui nous survivra, mais des conditions d’existence humaine. Elle nous demande de penser à la façon de laisser perdurer nos pratiques habituelles de la nature et comment elles peuvent être responsables d’un phénomène qui se retourne contre nous. Les feux seraient alors l’occasion de définir enfin une nouvelle grammaire de nos interactions avec notre milieu naturel.
Il est temps d’en prendre conscience et ce petit livre brillant agit comme un électrochoc salutaire.
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