Maroc-Algérie : Petits rappels à l’usage des oublieux.
Qui peut se réjouir dans le fond de ces escalades et de ce blocage sur le chemin d’une union maghrébine chaque jour un peu plus compromise ?
Et si l’on peut trouver une explication à la fuite en avant d’une junte militaire à la dérive qui a fait du Maroc une obsession et un dérivatif, il est difficile de comprendre certaines compromissions et certains silences.
C’est pour le moins effronté que d’abriter, de financer, d’armer, depuis plus de quatre décennies, un groupuscule séparatiste de mercenaires à sa solde et de trouver l’audace de parler d’actes hostiles.
Y a-t-il acte plus hostile que de chercher la déstabilisation de la région, la division chez le voisin et la violation de son intégrité territoriale, en ne manquant aucune occasion pour afficher son rôle de chargé de campagne diplomatique du polisario et défenseur à cor et à cri de son droit à l’autodétermination, même quand le sujet n’est pas à l’ordre du jour, justifiant la riposte de l'ambassadeur du Maroc auprès de l'ONU selon laquelle, «l’autodétermination n’est pas un principe à la carte», «si on l'évoque pour un entité chimérique, on ne doit pas la refuser au peuple Kabyle»; sans que ce ne soit pour autant la politique pratiquée par le Royaume, mais un exercice légitime et cohérent de droit de réponse.
Le discours royal avait été ensuite sans équivoque: aucun mal ne viendra jamais du Maroc. Les mains tendues sont légion.
Les mesquineries et accusations insensées, aussi.
L’histoire retiendra...
Oublions dans ce cadre l’actualité et remontons un peu plus loin dans le temps!
Nous sommes en 1830, dans un contexte d’accroissement des ambitions coloniales, marquées par la prise d’Alger par la France qui exige la neutralité marocaine.
Le devoir moral du combat l’emporte toutefois, avec tous les sacrifices que cela impose.
Une délégation de Tlemcen s’était précipitée à Meknès pour prêter allégeance au sultan Moulay Abd-er-Rahmane qui consulta ses oulémas afin de fonder cette bay’a sur les règles du droit face à une représentation du khalifat turc des plus déliquescents.
Dès le mois de novembre, un membre de sa famille, Moulay Ali, est envoyé pour le représenter à Tlemcen et en Oranie. Il est bien accueilli par les Hamyane et par les tribus de la région de Mascara, ainsi que par les citadins de Tlemcen contrairement aux Kouloughlis du Méchouar.
C’est aussi au Maroc qu’a trouvé refuge l’Emir Abdelkader en 1843 à la suite de la défaite de la Smala.
Pour le symbole, rappelons les origines lointaines de la famille de l’Emir, renvoyées à Tafersit dans le Rif, où était connu celui qui est considéré comme l’aïeul, Mohamed ben Abd-el-Qaoui, chef des Beni Touzine, le premier à s’établir à Borj Bou-Arrij, puis de là à Bejaïa après sa persécution par les Mérinides…
Ce soutien marocain à la résistance ne manqua pas de provoquer l’ire de la France.
Un ultimatum est envoyé via son consul, puis une escadre de la marine composée de 28 navires. Tanger est bombardée le 6 août 1844 en représailles; Essaouira, le 15 et le 16, sous les ordres du prince de Joinville. A la frontière algéro-marocaine, se déroula par ailleurs, la matinée du 14 août, la bataille d’Oued Isly, sous le commandement du fils du sultan face aux troupes, autrement plus organisées et équipées, du général Bugeaud.
A midi, la bataille était bouclée.
«La catastrophe était si énorme, que jamais l’Etat chérifien n’en a enduré de pareille», résume lucidement l’historien An-Naciri (1835 -1897).
La cuisante défaite, vécue comme un traumatisme national, se solda par la signature du traité de Lalla Maghnia, séparant artificiellement les frontières, maintenant l’ambiguïté au Sud, semant en cela les graines des conflits frontaliers ultérieurs et scindant par ailleurs des tribus sœurs.
Exemple frappant: les Oulad Sidi Cheikh, divisés en Sidi Cheikh Chraga dépendants de l’Algérie et Sidi Cheikh Ghraba sous souveraineté marocaine.
De cette fraction est issue la figure illustre de Mohamed ben Larbi Bouchikhi, plus connu sous le nom de Cheikh Bouamama. Selon les mots de l’historien Patrick de Gmeline, c’est un «Marocain qui représente l'Algérie qui résiste», né dans l’oasis de Figuig, inhumé à la Kasbah d’El-Oyoun Sidi Mellouk.
Avec le repli de l’Emir Abdelkader et en souvenir des atrocités commises par l’armée coloniale depuis la campagne de Bugeaud en 1836, le Maroc fut aussi une terre d’accueil.
Plusieurs familles et fractions de tribus y rejoignirent les réfugiés
de la période ottomane, entre-temps totalement fondues dans la masse.
Leurs marques sont encore éclatantes dans la toponymie que ce soit dans
l’Oriental, dans le Gharb ou dans le Haouz de Marrakech (Mlaïna,
Ben-Aouda…); tandis que des familles entières issues d’Alger, de
Mascara, de Tlemcen, d’Oran, de Mostaganem… regagnèrent tôt les villes
de Tétouan, d’Oujda, de Taza ou de Fès… où, acquérant depuis le temps la
pleine citoyenneté marocaine, n’en oublient pas pour autant leurs
origines anciennes.
Que dire de la résistance commune de tous ces centres frontaliers
menacés, à l’instar de Aïn Chaïr, qui avait soutenu le combat des tribus
Doui Meniî, Sidi Cheikh, Oulad Djerir, Beni Guil, Amour, etc., en
offrant l’asile et en faisant face aux attaques et aux sièges de l’armée
française notamment l’assaut de 1870.
On peut en dire autant pour un ensemble de ksours et localités assaillies par l’armée française dans le but déclaré de sécuriser les confins maroco-algériens et surtout, d’imposer la politique de tache d’huile appliquée auparavant au Tonkin et à Madagascar.
Pour ne citer que ceux-là, rappelons les combats de Bni Tadjit, de Gourrama, de Boudnib, où la résistance fut notable contre les troupes dirigées par le général Vigy, commandant du territoire d'Aïn Sefra, aux combats de Beni Ouziem, menés du côté marocain par les troupes du moujahid Ahmed Sebaï Seghrouchni.
Et même lorsque le Maroc obtint son indépendance, le devoir de solidarité avec la cause algérienne continua à s’imposer sur tous les fronts, quitte à en subir les répercussions politiques et économiques de l’ex-puissance colonisatrice, venant s’ajouter à la grande crise consécutive au détournement par la France d’un avion marocain en provenance de Rabat, à destination de Tunis, et l’arrestation de leaders du FLN, provoquant une vive réaction officielle et de violentes émeutes populaires dont une ville comme Meknès fut le théâtre sanglant le 23 octobre 1956.
Le soutien marocain à la libération de l’Algérie prit toutes les formes possibles: militaire, logistique, financier, administratif, diplomatique, politique…
Et c’est sans surprise que le Maroc reconnut dès sa création le Gouvernement provisoire de la République algérienne dont l’annonce a été faite le 19 septembre 1958, simultanément au Caire, à Rabat et à Tunis.
Sur le terrain des opérations, la région frontalière continua son rôle de fief politique et militaire de la résistance, notamment Oujda et autres foyers notables comme Berguent, Taourirt, Figuig, Nador….
Berkane fut aussi, en ce sens, au début des années 1960, la base arrière pour un grand nombre de militants indépendantistes algériens et africains de manière générale.
La ferme de la famille Belhaj, à Oued Allout, abrita, entre autres lieux, un camp d’entraînement qui vit défiler des dirigeants du Front de Libération National algérien, du Mouvement Populaire de Libération de l’Angola ou le symbole de la lutte pour l'égalité raciale en Afrique du Sud, Nelson Mandela…
Enfin, comment ne pas rappeler que, même s’agissant de ses territoires du Sud intégrés indument à l’Algérie française, le Maroc fit preuve d’une noblesse à toute épreuve.
C’est ainsi qu’au retour d’exil de Madagascar, à la demande du général de Gaulle -par l’intermédiaire de l’ambassadeur Alexandre Parodi- de constituer une commission pour discuter des frontières, le roi Mohammed V avait répondu en substance qu’il n’en n’était pas question: «je suis sûr que lorsque l’Algérie sera indépendante, ses dirigeants nous rendront justice et accepteront d’en discuter avec nous».
La suite, on la connaît tous…
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