Face à la Chine, l’Australie va construire 8 sous-marins nucléaires avec l'aide des Américains
L’Australie va construire huit sous-marins à propulsion nucléaire avec
l’aide de la technologie américaine. Un camouflet pour la France qui
voit son contrat de 50 milliards de dollars (environ 35 milliards
d’euros, à l’époque) pour la livraison de douze sous-marins
conventionnels.
Ce coup de théâtre, annoncé ce jeudi 16 septembre,
s’inscrit dans un accord avec les États-Unis et le Royaume-Uni.
La
volte-face australienne n’a pas manqué de susciter la colère de la Chine
qui y voit une volonté de l’affronter sur le théâtre Indo-Pacifique.
L’Australie devient le deuxième pays à bénéficier de la technologie
américaine pour les sous-marins à propulsion nucléaire après le
Royaume-Uni en 1958. « Notre monde devient plus complexe, en particulier dans notre région, l’Indo-Pacifique, a souligné le Premier ministre australien Scott Morrison, annonçant cet accord tripartite jeudi 16 septembre. Pour
faire face à ces défis, pour contribuer à la sécurité et à la
stabilité, nous devons porter maintenant notre partenariat à une étape
nouvelle. »
Au moment de l’annonce de cet accord, les dirigeants des États-Unis,
de l’Australie et du Royaume Uni n’ont pas mentionné la Chine. Mais il
est clair que ces trois pays cherchent à faire face à la puissance
croissante de la Chine, en particulier ses menaces qui s’aiguisent
contre Taïwan et la présence toujours plus forte de Pékin en Mer de
Chine du Sud.
La Chine n’a pas tardé à réagir à cette annonce. Aucun pays « ne
doit s’engager dans des alliances prenant pour cible les intérêts d’un pays tiers », a souligné jeudi l’ambassade chinoise aux États-Unis. « Tout particulièrement, ces pays devraient abandonner leur mentalité de Guerre froide et leur idéologie portant préjudice » à un pays tiers. Cet accord est « extrêmement irresponsable », a renchéri le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian pour qui il « sabote gravement la paix et la sécurité de la région et donne un nouveau coup de fouet à la course aux armements ».
Ce nouveau pacte sera perçu par Pékin comme une menace pour sa
sécurité, estime Richard Maude, expert à l’Asia Society Policy
Institute. « La Chine observera l’annonce de ce jour comme une
preuve de plus d’une coalition qui se renforce dans le seul but de
contrebalancer sa puissance. Elle va tenter de s’y opposer mais c’est
précisément sa propre politique agressive qui conduit à ce phénomène. »
« Pas de confrontation avec quiconque »
La Première ministre de Nouvelle Zélande Jacinda Ardern s’est, quant à
elle, félicitée de cette annonce, tout en précisant que ces sous-marins
nucléaires ne seraient pas autorisés à naviguer dans les eaux
territoriales de son pays en vertu de la politique néo-zélandaise de
demeurer un pays non nucléaire. « Je suis heureuse de constater que
l’attention de ces partenaires avec lesquels nous travaillons
étroitement se focalise maintenant sur notre région », a-t-elle déclaré.
Ce nouveau pacte couvre également l’intelligence artificielle et
d’autre technologies sophistiquées.
Il constitue le partenariat le plus
solide jamais constitué depuis des décennies, soulignent des analystes
anonymes cités par la BBC. Dans une inte
rview avec la chaîne anglaise,
le secrétaire britannique à la Défense Ben Wallace a, lui, déclaré que
la Chine s’était « engagée dans l’un des plus grands programmes
militaires de l’Histoire. [Elle] renforce sa marine militaire et ses
moyens aériens à une allure phénoménale. À l’évidence, ce pays a pris le
chemin de s’engager dans des zones contestées. Nos partenaires dans ces
régions entendent être en mesure de conserver leur présence [dans ces
zones].
Nous ne cherchons pas de confrontation avec quiconque. » De son côté, le Premier ministre Boris Johnson a, quant à lui, expliqué que ce pacte « allait préserver la sécurité et la stabilité à travers le monde » et qu’il génèrerait « des centaines d’emplois qualifiés ».
Drones chinois autonomes armés
Dernière illustration des efforts chinois dans le domaine militaire,
la Chine a déployé des drones autonomes armés, détectés près des côtes
japonaises à la fin du mois d’août. Selon les experts militaires, la
présence de plus en plus récurrente de ces aéronefs dernier cri dans les
eaux du Pacifique, montre que Pékin agrandit et modernise toujours plus
sa flotte. Cette production massive de drones aiderait la République
populaire à intimider ses voisins, notamment Taïwan, le Japon et la
Corée du Sud. « Ces drones permettent à la Chine d’être agressive et
de mener des opérations d’intimidation plus risquées dans des
territoires revendiqués par Pékin.
Taïwan en est la cible prioritaire »,
a détaillé Timothy Heath, un expert du think tank américain Rand Corporation, au South China Morning Post.
Les pays voisins de la Chine voient cette militarisation à marche
forcée avec grande inquiétude. Le Japon a pour sa part entamé le
développement d’un système anti-drones pour mieux protéger ses îles. Des
unités composées de véhicules blindés possédant des lasers pouvant
détruire ou aveugler des appareils volants devraient être
opérationnelles d’ici 2025. De son côté, Taïwan compte acheter aux
États-Unis des centaines de missiles anti-aériens. De plus, l’État
insulaire s’apprête à investir 500 millions d’euros pour acquéri
r quatre
drones américains MQ-9B Sea Guardian.
Chemin parcouru
Cette nouvelle alliance qui a pour nom « Aukus » (Australia, United
Kingdom, United States) semble bien être l’arrangement sécuritaire le
plus significatif entre ces trois pays depuis la Seconde Guerre
mondiale, selon des analystes cités par la BBC. Il s’ajoute à celui dit « Five Eyes » qui, lui, inclut la Nouvelle-Zélande et le Canada pour partager les renseignements dans la zone.
Il y a seulement trois ans, juste après son arrivée à la tête du
gouvernement australien, Scott Morrison avait déclaré que son pays
n’avait pas à choisir entre les États-Unis et la Chine. Ce nouveau pacte
illustre le chemin parcouru depuis par les Australiens, plus que jamais
confrontés à la menace chinoise.
N’oublions pas que l’Australie avait été le premier pays à exiger en
mai 2020 la mise en place d’une enquête internationale sur l’origine du
Covd-19 découvert quelques mois plus tôt dans la ville chinoise de
Wuhan. Cette initiative lui a valu depuis une avalanche de représailles
commerciales et de sanctions imposées par le gouvernement chinois,
furieux qu’un pays certes immense par sa superficie mais peuplé d’à
peine 26 millions d’habitants ose faire une telle demande devant une
nation d’1,4 milliard d’habitants. Depuis, Scott Morrison a tenu tête à
Pékin.
« Coup dans le dos »
Quelques heures après l’annulation brutale par l’Australie de l’achat
de douze sous-marins français conventionnels en discussion depuis des
années, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a dénoncé
un « coup dans le dos ». « Nous avions établi avec
l’Australie une relation de confiance et cette confiance est trahie,
a-t-il asséné sur France Info. Je suis aujourd’hui très en colère. Ça ne
se fait pas entre alliés.
Jean-Yves Le Drian s’est également emporté contre « le
comportement américain ». « Cette décision unilatérale, brutale,
imprévisible, ça ressemble beaucoup à ce que faisait Monsieur Trump », a regretté le ministre. C’est « une mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée », a renchéri la ministre des Armées Florence Parly sur RFI. « En matière de géopolitique et de politique internationale, c’est grave », a-t-elle dénoncé, se disant « lucide sur la façon dont les États-Unis traitent leurs alliés ».
Cette décision ne va pas arranger les relations entre Paris et
Washington. C’est en effet un coup très dur pour la France. Le contrat
signé par Canberra avec Paris portait sur la fourniture de douze
sous-marins à propulsion classique dérivés des Barracudas français. Le
montant du contrat, signé en 2019, s’élevait au total à 90 milliards de
dollars australiens, soit 56 milliards d’euros. Seule une partie de
cette somme – moins de la moitié – revenait au groupe français Naval
Group et à plusieurs entreprises hexagonales. Si les bateaux étaient de
conception française, le système de combat était fourni par les
Américains. Ce contrat était très important pour l’arsenal de Cherbourg.
Reste que pour l’Australie, le choix de s’équiper en nucléaire est une
rupture stratégique, autant que pour ses fournisseurs. Les sous-marins
nucléaires d’attaque (SNA) ne sont, en principe, pas des produits qui
s’exportent. Seule la Russie en avait loué à l’Inde. Le Canada avait
cherché à en acquérir auprès de la France dans les années 1990 et le
Brésil entend développer sa propre filière pour s’équiper des
sous-marins français de type Scorpène.
Que penser de ce nouveau pacte ? Il apparaît évident que, confrontée à
la menace croissante de la Chine dans la région, l’Australie a donné la
préférence aux Américains, alliés stratégiques dont le potentiel
militaire dans la zone est sans commune mesure avec celui des Français.
Jeudi, le ministre australien de la Défense Peter Dutton a ajouté que
son pays et les États-Unis étaient en outre tombés d’accord pour « renforcer de façon significative notre coopération par le biais de l’interopérabilité » entre
les forces armées des deux pays. « Ceci inclura une coopération
renforcée dans les airs par l’intermédiaire de rotations de tous types
d’avions américains en Australie », a-t-il précisé, cité par l’agence
Reuters.
Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin a pour son
part indiqué que Canberra et Washington s’étaient mis d’accord « sur des initiatives majeures qui augmenteront notre présence en Australie ».
Par Pierre-Antoine Donnet
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