A Zerhoun, terre purifiée aux quarante marabouts : Un rituel entre sacré et le profane !
Il faut emprunter la sortie de Meknès, traverser le centre-ville, passer derrière les murailles et suivre la route de Volubilis. Une vingtaine de kilomètres et une petite pancarte indique cet étrange aux frontières du réel : Mghrassyine. Une commune rural
Ici, on visite deux sanctuaires, Sidi Ali Ben Hamdouch et Sidi Ahmed Dghoughi, avant d’honorer «Lalla Aïcha».
«Zerhoun
est un massif magique et sacré. Avant, très loin dans l’histoire, on
l’appelait Jbel Ennour, pas Zerhoun. Parce que c’était un paradis, avec
ses vergers, ses arbres fruitiers, ses cascades. Notre terre n’a jamais
été comme les autres. Nous avons été cette passerelle, cet endroit de
passage incontournable pour se rendre aux Lieux-Saints.
Et c’est d’ici
que l’Islam a été propagé à travers le Royaume. Forcément, cette terre
est comme immunisée». Le vieil homme est intarissable sur l’histoire de
cette terre qu’il dit magique, aux mille vertus. Dans son échoppe de
fortune, il tient commerce de ce rite étrange.
La boutique est
comme une grotte d’Ali Baba, on y trouve pêle-mêle, henné, voiles de
couleurs, chèvres, poulets, eau de rose. Il poursuit son histoire,
l’histoire de cette terre qu’il a vu naître et qu’il ne s’est jamais
résigné à quitter malgré la sécheresse. «Nos ancêtres avaient coutume de
le dire.
A Zerhoun, entre une pierre et une autre, il y a forcément un
saint homme, un «Ouali» qui y repose. Dans un périmètre de 50 mètres à
peine, il y a une quarantaine de Oualis pour lesquels des sanctuaires
ont été érigés», nous assure-t-il.
A Maghrassiyine, une légende
est restée vivace. Elle remonte aux origines de la vie et la mort d’un
homme, Sidi Ali Ben Hamdouch, pour expliquer la magie des lieux.
L’homme
profondément croyant, congénère du Roi Moulay Ismaïl, serait venu du
lointain Moyen-Orient –on parle volontiers de Bilad Cham- pour
s’installer sur le Mont Zerhoun où il s’adonnera à l’adoration de Dieu,
la prière et la Da’wa. Plus tard il donnera naissance à la tariqua
hamdouchia dont on trouve des adeptes jusqu’en Tunisie et en Egypte.
Sidi Ali Ben Hamdouch avait un serviteur, un «khdim» l’un de ses
meilleurs disciples, en fait, Sidi Ahmed Dghoughi, dont le sanctuaire se
dresse quelques kilomètres plus loin de la tombe de Sidi Ali.
«La
légende dit que Sidi Ahmed Dghoughi voulait absolument voir son maître,
Sidi Ali Ben Hamdoucn, prendre épouse. Las, ce dernier donna son
accord, sous condition que la promise soit Aïcha, la fille du Roi du
Soudan. Il lui donna sept dattes pour qu’il puisse se défendre. Après
mille et une péripéties Sidi Ahmed s’en retourna à Zerhoun, avec Aïcha,
qu’il avait réussi à enlever. Arrivé à Mghrassyine, il apprit la mort de
Sidi Ali Ben Hamdouch. Aicha avait disparu, comme si la terre l’avait
avalée. La fille du Roi du Soudan était passée de l’autre côté du
miroir, de l’autre côté du monde des vivants. Et son esprit est toujours
là», raconte Allal sans coup férir.
La légende de Aïcha venue du Soudan
C’est
dit-on dans la «hafra», une sorte de cavité en plein air, que se balade
l’esprit. C’est en tout cas ici, dans cette drôle de grotte, que les
femmes viennent comme en pèlerinage pour les vertus de «Lalla Aïcha Al
Hamdouchia». Offrandes, sacrifices de boucs ou de poules, bougies
allumées sur le flanc d’un énorme rocher, c’est un univers étrange où se
mêle sacré et profane. «Aicha est connue pour ses vertus. Les jeunes
filles en quête de mariage viennent ici pour trouver époux. Les malades
aussi y trouvent remède.
On a vu des muets reparler et des paralysés
remarcher après avoir accompli ce voyage à Lalla Aïcha», affirme une
m’kadma, la récipiendiaire des offrandes, qui jure sur ses grands dieux
avoir vu ici, «des universitaires, des riches et pas seulement des
analphabètes et ignorants».
Au fond de la grotte, un vieux
figuier s’est transformé en un immense arbre du désir : les femmes
viennent y accrocher un bout de tissu pour que leur vœu d’amour soit
exaucé, se débarrasser de mauvaises ondes.
Il est 13 heures, ce dimanche 30 mai, et plus d’une centaine de femmes sont dans cette grotte dédiée à Aïcha.
Placebo
ou thérapie, en tout cas l’effet psychologique n’est pas loin. «Cela me
fait toujours du bien de venir ici. Je me sens toujours plus légère,
comme débarrassée du poids des problèmes», témoigne une jeune femme en
jean’s et t’shirt.
Une véritable économie des croyances
Au-delà
du rite, une économie des croyances est née. Sur le long du parcours,
de la grotte de Aïcha au mausolée de Sidi Ben Hamdouch, des petites
boutiques vendent les produits dérivés du rituel.
Cassettes de
gnaouas, écharpes multicolores, henné et autres babioles «accompagnant
la guérison» sont exposés. Dans de minuscules gourbis, on peut toujours
se restaurer ou prendre du thé alors qu’une station de grands taxis a
pris place à proximité.
Le pèlerinage serait incomplet et le
rituel inachevé sans la visite du sanctuaire de Sidi Ahmed Dghoughi, le
serviteur devenu disciple de Sidi Ali Ben Hamdouch. Le mausolée a été
érigé deux kilomètres plus loin et des petites maisons l’entourent,
donnant naissance à un minuscule village. Dans la cour du sanctuaire,
avant même d’accéder à la pièce où repose le Saint-Homme, une vieille
femme entièrement vêtue de vert tient séance. Sur le mur contre lequel
elle est adossée, un petit tableau noir est accroché.
On y lit, écrit à
la craie blanche : «Lalla Aïcha Dghoughia». La vieille dame nous apprend
qu’elle est d’origine slaouie. «Mais j’ai épousé un Dghoughi, un fils
de la zaouia». Lalla Zhor, c’est ainsi qu’elle s’appelle, fait très
sérieusement ce qu’elle a à faire dans un rituel immuable. « Je sers
Lalla Aicha et c’est vrai qu’elle contribue à la guérison de ceux qui y
ont recours», dit-elle très simplement.
Dans le Darih de Sidi
Ahmed Dghoughi, la légende de Aïcha a des accents différents mais
toujours aussi étranges et magiques. «Aïcha est venue du Soudan, avec
Sidi Ahmed Dghoughi qui devait l’épouser.
C’est la fille du roi des
djinns, d’où son inexplicable disparition», murmure Mohamed Dghoughi, un
descendant du maître de la zaouia.
Le long périple dans cette
terre que l’on dit purifiée s’achève sur le Mont Zerhoun. A l’entrée du
sanctuaire de Moulay Driss dont l’entrée est interdite aux
non-musulsmans, on est prié d’éteindre son portable.
Les
clameurs du festival des musiques sacrées de Fès ne sont pas si
lointaines. Les frontières entre sacré et profane sont tellement
fragiles…
Reportage réalisé par Narjis Rerhaye
Soufisme à Cheikh Kamal, mais seulement…
C’est un jeune homme, descendant direct de Sid Hadi Benaïssa, connu encore sous le nom de Cheikh Kamal , qui tient à apporter la précision. «Le cheikh nous a légué, depuis plus de 500 ans, un Hizb que nous lisons tous les matins et deux fois par jour les vendredis», explique le jeune Abdelhafid Aissaoui, montrant fièrement l’arbre généalogique de son ancêtre soufi.
Ici aussi, ceux en pèlerinage allument des cierges « pour que leur chemin soit éclairé». « C’est psychologique ! «, nous explique-t-on de nouveau.
Dans le Darih de Sid Hadi Benaïssa, la tombe du plus jeune de ses fils, dans une petite pièce.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci de commenter nos articles