Sahara occidental : Jusqu'où peuvent aller les tensions entre l'Algérie et le Maroc ?
Rien ne va plus entre l'Algérie et le Maroc. Les deux pays ont rompu leurs relations diplomatiques au mois d'août dernier. L'Algérie vient de fermer le gazoduc qui passait par le Maroc. Alger accuse Rabat d'être derrière la mort de trois de ses ressortissants au Sahara occidental. Face à un tel regain de tensions, existe-il un risque de conflit ouvert entre les deux pays ? Réponses de Kader Abderrahim, spécialiste de l'Algérie et du Maroc.
TV5MONDE : Cet été, Alger a accusé Rabat derrière les incendies qui ont provoqué la mort de 69 personnes en Kabylie. Récemment, Alger a décidé de couper le gazoduc qui passait par le Maroc. Comment expliquer ce regain de tensions entre les deux pays ?
Kader Abderrahim : Le régime algérien est dans
une situation critique sur le plan intérieur. Il est contesté par le
Hirak. Pendant presque trois ans ce mouvement a manifesté deux fois par
semaine dans tout le pays, toutes les villes du pays. On oublie de
rappeler que ce sont des millions d’Algériens qui ont participé à ces
manifestations pour demander un changement de régime. Le régime n’a pas
cru bon de saisir cette main tendue pour provoquer une alternance
politique négociée et en douceur. Aujourd’hui le régime utilise un vieux
remède. Il essaie de détourner l’attention sur un autre sujet.
Alger n'a pas cessé d'accuser son voisin, le Maroc de tous les maux et de tous ses maux.Kader Abderrahim, professeur à Sciences-Po Paris
Les incendies de forêts de cet été en Kabylie en sont une
illustration caricaturale. On accuse le Maroc puis on accuse l’allié du
Maroc, Israël. Les Algériens ne sont pas dupes. Ils comprennent
parfaitement. Ce régime algérien est d’une grande fébrilité. Il sait
qu’il est isolé en interne sur le plan politique. Il est contesté par
une grande majorité des Algériens. Il n’a plus de légitimité. Il est
dans une impasse sur le plan diplomatique par rapport à son voisin de
l’ouest.
Tous les indicateurs sont au rouge entre les deux pays. La frontière est
fermée. Les relations diplomatiques sont rompues. Il n’y a plus de
canaux d’échanges sauf peut-être sur les questions de sécurité et de
terrorisme mais on n'en n'est pas certain. Il y a ce chantage au gaz. Il
y a cette bavure des forces armées royales (troupes marocaines ) qui
auraient tué trois ressortissants algériens, des camionneurs. On est
arrivé à un point critique.
J’ai toujours pensé qu’il n’y aurait pas de
conflit ouvert entre le Maroc et l'Algérie. Je suis plus mesuré
aujourd’hui. Tous les indicateurs sont au rouge. Nous ne sommes pas à
l’abri d’un dérapage qui pourrait enflammer la régionKader Abderrahim, professeur à Sciences-Po Paris
Il faut tout faire pour que la désescalade s’installe et surtout que
le dialogue reprenne pour traiter les dialogues en suspens depuis des
décennies comme la question du Sahara occidental où la frontière fermée
depuis 1994. Il faut sortir de cette escalade verbale. Alger n'a pas
cessé d'accuser son voisin de tous les maux et de tous ses maux.
Le Sahara occidental, aux sources des tensions entre Rabat et Alger
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est considéré comme un "territoire non autonome"
par l'ONU en l'absence d'un règlement définitif. Il s'agit du seul
territoire du continent africain dont le statut post-colonial reste en
suspens. Le Maroc en contrôle 80% et propose une large autonomie sous sa
souveraineté, tandis que les indépendantistes du Front Polisario,
soutenus par l'Algérie, réclament un référendum d'autodétermination.
Le 7 mars 1976, Rabat rompt ses relations diplomatiques
avec l'Algérie après la reconnaissance par Alger de la République arabe
sahraouie démocratique (RASD), autoproclamée par le Front Polisario.
Le 16 mai 1988, Alger et Rabat annoncent la reprise de leurs relations diplomatiques. Le 5 juin, les frontières sont officiellement rouvertes.
Mais, le 16 août 1994, les déclarations du président
algérien Liamine Zeroual selon lesquelles il reste en Afrique "un pays
illégalement occupé" --allusion au Sahara occidental-- sont mal perçues à
Rabat. Le Maroc instaure un visa d'entrée pour les Algériens. L'Algérie
ferme alors sa frontière avec le Maroc.
Le 24 août 2021,
Alger rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc, accusé
"d'actions hostiles". Rabat regrette une décision "complétement
injustifiée".
TV5MONDE : Quelle est la part de responsabilité du Maroc dans ces tensions entre les deux pays ?
Kader Abderrahim : Dans
ce genre de tensions, les responsabilités sont souvent partagées. Au
Maroc, comme en Algérie et en Tunisie, on assiste à un délitement du
tissu social. Les trois pays du Maghreb sont confrontés à une crise de
leur modèle social. Et la pandémie a accentué cette crise. Le tourisme
constitue une part importante de l'économie marocaine. Ce secteur permet
de faire rentrer des devises étrangères. L'économie marocaine est en
crise. Et comme en Algérie on essaie de détourner l'attention en jouant
la carte nationaliste auprès de l'opinion publique.
TV5MONDE : Une médiation entre les deux pays est-elle possible ?
Kader Abderrahim : Paris
pourrait être un médiateur mais les relations entre la France et
l’Algérie se sont beaucoup dégradées ces derniers mois après les propos
du président Macron. Le régime algérien, aujourd’hui, joue sur de
nombreux tableaux. Une recomposition géopolitique est actuellement à
l’œuvre en Mediterranée et au Maghreb en particulier. Des acteurs
nouveaux émergent sur cette scène régionale. La Turquie est très
présente. Les Russes sont également très présents au Sahel. Le Sahel est
la profondeur stratégique de l’Algérie et du Maroc. Qui pourrait
intervenir en cas de tension extrême entre les deux pays ? On ne voit
pas comment une médiation pourrait être tentée aujourd'hui, à part
peut-être les États-Unis et l'Europe.
L’Algérie a perdu beaucoup de son influence dans sa profondeur stratégique, qu’est le Sahel. En Afrique subsaharienne et en Afrique plus globalement, le Maroc s’est redéployé depuis une quinzaine d’années sur le continent avec une nouvelle diplomatie.Kader Abderrahim, professeur à Sciences-Po Paris
TV5MONDE : Est-ce que Alger est agacé par une présence
diplomatique et économique plus affirmée du Maroc en Afrique
subsaharienne ?
Kader Abderrahim : L’Algérie
a perdu beaucoup de son influence dans sa profondeur stratégique,
qu’est le Sahel. En Afrique subsaharienne et en Afrique plus
globalement, le Maroc s’est redéployé depuis une quinzaine d’années sur
le continent avec cette nouvelle diplomatie. Les Marocains plus présents
dans différents secteurs des économies africaines que ce soit à travers
le transport aérien avec Royal Air Maroc. C’est le cas aussi avec les
banques, les assurances. Le Maroc est présent dans les télécoms et
Internet. Il a pris une longueur d’avance sur l’Algérie qui a stagné.
Les 20 ans de la présidence d’Abdelaziz Bouteflika ont été
catastrophiques sur le plan diplomatique pour Alger. L’Algérie prend la
mesure de ses échecs. Le pays a pris conscience qu'il est très distancé
par son voisin.
TV5MONDE : Un conflit ouvert est-il possible entre les deux pays ?
Kader Abderrahim : J’ai
toujours pensé qu’il n’y aurait pas de conflit ouvert entre les deux
pays. Je suis plus mesuré aujourd’hui. Tous les indicateurs sont au
rouge. Nous ne sommes pas à l’abri d’un dérapage. On le voit avec cette
mort des trois camionneurs tués dans ce qui serait une bavure de l'armée
marocaine. On n'est pas à l’abri d’une erreur qui peut enflammer une
région.
Le Front Polisario est présent en Algérie à Tindouf. On y trouve 30 à 40000 hommes en armes. Tout est possible. Le Polisario pourraît être utilisé par Alger dans des escarmouches contre les Forces armées royales. Kader Abderrahim, professeur à Sciences-Po Paris
La crise diplomatique actuelle entre l’Algérie et le Maroc ne se
résume pas seulement à la question du Sahara occidental. Mais le Front
Polisario est présent en Algérie à Tindouf. On y trouve 30 à 40 000
hommes en armes. Qu’est ce qui pourrait se passer aujourd'hui ? Tout est
possible. Le Polisario pourrait être utilisé par l’Algérie comme
auxiliaire dans des escamouches contre les forces armées royales plutôt
que d’envoyer l'armée algérienne au combat contre le Maroc.
La situation est trés inquiétante. Les intérêts occidentaux sont très
importants dans la région notamment dans la lutte contre le terrorisme.
Un conflit ouvert entre ces deux voisins affaiblirait les positions des
Occidentaux, des Européens et des États-Unis, dans la lutte contre le
terrorisme.
La bataille d'Amgala de 1976 : dernier affrontement direct entre les forces armées marocaines et algériennes.
Nous sommes le 27 janvier 1976. Un bataillon de 400 soldats de l'armée
algérienne et des éléments du Polisario sont établis depuis un mois à
Amgala, village du Sahara occidental à quelques kilomètres de la
frontière mauritanienne. Le général marocain donne l'ordre à l'armée
marocaine de s'emparer de la localité. Les combats entre les forces
algériennes et marocaines vont durer plus de 36 heures avant que l'armée
algérienne ne décide de battre en retraite.
Plusieurs centaines d'hommes sont impliqués dans les combats. Dans la
nuit du 14 au 15 février dans la même localité. Des forces armées
attaquent la garnison marocaine. Rabat accuse Alger qui dément la
présence de ses soldats. Il faudra la médiation de l'ONU pour que la
tension retombe entre les deux pays.
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