En Algérie, le Covid gagne du terrain chez les soignants.
Le taux de vaccination demeure extrêmement faible dans le pays, et le personnel médical ne fait pas exception.
Au moment où l'Algérie enregistre une nouvelle flambée de contaminations due au variant Delta, de plus en plus de médecins et d'infirmiers en meurent. Si l'on ne connait pas encore le nombre exact de victimes, le décompte que se relaient quasi quotidiennement les diverses pages internet dédiées au monde de la santé, notamment sur les réseaux sociaux, montrent que les hôpitaux algériens sont dans une situation critique.
Quand on sait que le nombre global de décès en Algérie dus au Covid-19 ne dépasse guère, selon les chiffres officiels, dix cas par jour depuis plus d'un an, on mesure l'ampleur du problème.
Les femmes plus exposées
Les annonces relatives à des employés de la santé emportés par le Covid-19 se succèdent à un rythme soutenu. Au moins neuf cas en moins d'une semaine. Presque toutes les régions du pays sont touchées. Les dernières annonces en date remontent au 9 janvier: au Centre hospitalo-universitaire de Batna, dans les Aurès, décès de la cheffe du service de pédiatrie Saïda Brahimi, âgée de 49 ans; à l'hôpital de Khroub, à Constantine, décès d'un agent de sécurité de l'hôpital, âgé de 48 ans; à l'hôpital de Kherrata, à l'est de Béjaïa, mort d'une généraliste; à l'hôpital de Guemar, dans la wilaya d'El-Oued, décès d'une infirmière…
La catégorie des médecins résidants semble être considérablement exposée: à Douéra, dans la wilaya d'Alger, un jeune résidant de 30 ans, spécialiste en rhumatologie, est mort des suites du Covid-19; à Béjaïa, en Kabylie, c'est une résidante en neurologie âgée de 33 ans qui a succombé au virus au cours de la même semaine.
Si l'on recense également parmi les défunts un radiologue, un généraliste et un urgentiste, les femmes semblent être particulièrement touchées. Alors que les hommes sont plus susceptibles de mourir du Covid-19, et constituent près de 54% des décès liés au virus dans la population totale algérienne, la surreprésentation des femmes parmi les victimes s'explique notamment par le fait qu'elles sont plus nombreuses dans le secteur médical.
Un personnel épuisé
Nous sommes allés à Béjaïa, qui enregistre l'un des taux de contamination les plus élevés du pays, et où deux médecins sont morts en deux jours durant le mois de décembre 2021.
Selon un cadre du CHU de cette ville côtière, qui a requis l'anonymat, la hausse du nombre de décès dans le milieu hospitalier, au niveau de cet établissement mais aussi de l'ensemble des structures sanitaires de la wilaya, est due à plusieurs facteurs. Comme première cause, il évoque la non-vaccination d'une partie considérable des professionnels de la santé, à l'image des employés des autres secteurs d'activité en Algérie.
La surcharge de travail à laquelle sont confrontés les soignants, qui doivent faire face au flux incessant de malades admis pour Covid-19 depuis bientôt deux ans, participe également de l'épuisement des équipes mobilisées, qui n'ont pu prendre de congés au cours de la pandémie.
Deuxième facteur: l'insuffisance de moyens de protection individuelle (blouses, masques de type FFP2…). Les personnels se plaignent de l'absence de conditions d'hygiène et de confort à l'intérieur des établissements hospitaliers (sanitaires, vestiaires…). Par ailleurs, les cursus de formation des personnels médicaux ou paramédicaux ne contiennent pas d'initiation à la protection.
Enfin, notre interlocuteur pointe du doigt les «assistants», une litote utilisée en Algérie pour désigner les médecins spécialistes, auxquels il reproche d'avoir tendance à abuser de leur statut pour faire travailler davantage les «résidants», à savoir les médecins spécialistes en formation, lesquels se retrouvent ainsi constamment exposés à l'épidémie.
Une absence de vaccination
Cette tendance à la hausse des cas de décès liés au Covid-19 parmi les soignants nous a été confirmée par la cheffe du service de réanimation de l'hôpital de Bologhine, dans la wilaya d'Alger, Rachida Aouimeur. Elle l'attribue au très faible taux de vaccination persistant chez les soignants. Il faut rappeler que jusqu'à fin décembre 2021, le taux national de vaccination ne dépassait pas 11%, et était de 28% chez les plus de 18 ans, comme l'avait annoncé le ministre de la Santé Abderrahmane Benbouzid. Le nombre de vaccinés par jour est descendu de 280.000, lors de la troisième vague, à moins de 20.000, dont seulement 600 au niveau de la capitale, où vivent environs 5 millions d'habitants.
Rachida Aouimeur fait un constat plus sévère en reprochant aux personnels de santé de «ne pas respecter les mesures de protection et de se contaminer, le plus souvent en dehors de l'hôpital, car ils ne se protègent pas (pas de port de masque, regroupement dans des espaces clos, etc.). » Elle signale que son établissement est, pour l'instant, épargné par cette hécatombe qui touche les professionnels de la santé, mais craint qu'y soit réédité le scénario de la première vague, en été 2020, où plusieurs employés avaient été emportés par l'épidémie.
En novembre 2020, le Comité de suivi de l'évolution du coronavirus, qui publie un bilan quotidien, avait fait état du décès de 120 employés de la santé, en plus de 17,1% de cas testés positifs parmi les personnels soignants à l'échelle du pays. Ces chiffres montraient bien à quel point les soignants et autres employés du secteur de la santé demeuraient si peu protégés face à l'épidémie. Depuis, la situation ne s'est pas améliorée.
Les autorités redoutent toujours une saturation des hôpitaux en cas de grands flux de malades, comme lors de la troisième vague qui a connu des records de contaminations et de victimes, notamment en raison d'une pénurie d'oxygène, alors que les nouvelles structures spéciales Covid-19 promises par le ministre de la Santé tardent à voir le jour.
Après avoir menacé d'imposer le pass vaccinal, pour suivre l'exemple des pays européens, les autorités algériennes semblent aujourd'hui regretter leur relâchement.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci de commenter nos articles