Jean-Jacques Beineix est mort : Un cinéaste populaire… et marginal. ...
Disparition
Publié le
Le réalisateur de 37°2 le matin est mort ce vendredi. Auteur de quelques grands succès du cinéma français dans les années 80 (« Diva », « 37°2 le matin »), Jean-Jacques Beineix n'est jamais parvenu à renouer avec ses triomphes initiaux dans les décennies suivantes.
Retour sur la carrière d’un cinéaste atypique et souvent mal-aimé.
Il était né en octobre 1946, dans l’immédiat après-guerre. Il aimait passionnément le cinéma français de l’avant-guerre, celui du réalisme poétique et de Marcel Carné. Il ne jurait que par le pouvoir imaginaire du grand écran et fut l’une des cibles préférées de la critique « officielle » de la fin du siècle dernier qui, toujours sous l’influence de la Nouvelle Vague, considérait ses films comme des sortes clips esthétisants « scandaleusement » étirés sur la longueur de longs-métrages.
Peu importait à cet iconoclaste qui, en guise de réponse à ses détracteurs, aimait aggraver son « cas » avec quelques déclarations intempestives. « Il y a souvent plus de recherche cinématographique dans trois minutes de clip que dans une heure et demie de film », racontait-il ainsi avec un sourire goguenard et provocateur.
Le patronyme de Jean-Jacques Beineix n’évoque probablement rien ou peu de choses aux moins de 50 ans, mais la popularité de ce cinéaste atypique fut pourtant exponentielle dans les années 80. Cet ancien élève du lycée Condorcet qui se destinait d’abord à des études de médecine, avant de tenter, en vain, de passer le concours de l’IDHEC (l’ancêtre de la FEMIS, la plus importante école de cinéma en France), apprit les rudiments de son art en tant qu’assistant réalisateur sous la férule de cinéastes exerçant dans les registres les plus divers : de Nadine Trintignant à l’amuseur populaire Claude Zidi en passant par l’influent Claude Berri.
Films OVNIS
Passionné de « cinoche » depuis toujours, Beineix apprend les rudiments du métier en observant ses aînés et commence à imaginer ses premiers films en restant fidèle à sa fascination d’enfant pour le spectacle du grand écran. Jean-Jacques Beineix évoquera sa passion précoce pour le cinéma dans Les chantiers de la gloire (Éditions Fayard), ses mémoires publiées en 2017. « Le cinéma est un art complexe, un art de synthèse et de combinaison, écrivait-il alors, mais, bien avant que je l’eusse reconnu comme tel, bien avant qu’il advienne pour moi un art, une technique et un métier, il reste, pour mes trop courtes années d’enfance, le spectacle, la magie, la caverne mystérieuse au fond de laquelle passaient des ombres, des paysages et des personnages qui n’avaient pour seule réalité que celle que leur prêtait ma crédulité. Je prenais tout en plein visage, les yeux grands ouverts, et j’emportais dans ma mémoire inconsciemment chaque image comme un coquillage précieux qui s’ajoutait aux trésors accumulés séance après séance. Le cinéma était aussi le spectacle familial par excellence, le lieu de convergence des sorties dominicales. À Paris, il n’y avait pas de quartier sans cinémas. » `
En 1981, à 35 ans, Beineix sort son premier film en tant que réalisateur : Diva, une sorte d’OVNI cinématographique où, dans un style qui flirte à la fois avec l’univers de Carné et l’esthétique publicitaire, il raconte l’histoire d’un jeune postier fasciné par une chanteuse d’art lyrique. À la surprise générale, le film, après une première exploitation modeste, devient un succès en France et à l’étranger après sa consécration aux César et rassemble deux millions de spectateurs dans l’Hexagone.
Le succès culte de 37°2 le matin
Vilipendé par la presse « influente » qui le considère comme une sorte de double de Luc Besson en plus intello et torturé, Jean-Jacques Beineix, indifférent aux critiques et aux sarcasmes, continue de creuser son sillon et, en 1983, signe un second film ambitieux, La lune dans le caniveau, une libre adaptation d’un roman de David Goodis incarnée par des stars : Gérard Depardieu, Nastassja Kinski, Victoria Abril. Présenté au Festival de Cannes, le film est un flop au box-office et, tout comme Diva, est voué aux gémonies par la critique.
Un extrait du film 37°2 le matin :
Il en faut plus pour décourager le cinéaste, un farouche indépendant dans son genre, qui décide alors de monter sa propre maison de production, Cargo Films, pour garantir sa liberté créatrice. Une riche idée. Le troisième film de Beineix, 37,2° le matin (d’après le roman homonyme de Philippe Djian), triomphe (3,6 millions de spectateurs) et devient un phénomène de société en mettant en scène une histoire d’amour sulfureuse et destructrice et révèle aux yeux du public ébahi une jeune actrice inconnue : Béatrice Dalle.
Échecs et projets avortés
La carrière de Beineix ne connaîtra plus jamais les mêmes sommets commerciaux. Entre 1989 et 2001, le cinéaste ne tourne que trois films : Roselyne et les lions, IP5 : l’île aux pachydermes, qui fut le dernier rôle d’Yves Montand, et, enfin, Mortel Transfert, où il dirige de nouveau Jean-Hugues Anglade, son acteur de 37,2° le matin.
Les trois fictions se soldent par autant d’échecs et Jean-Jacques Beineix, las du petit monde du cinéma et de ses compromissions, préfère, malgré quelques projets avortés (dont une adaptation de Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, finalement tournée par Albert Dupontel), préfère se consacrer à d’autres activités plus marginales du côté du documentaire, de la production et du théâtre (il signe une pièce sur Kiki de Montparnasse en 2015).
« Le cinéma est peuplé de crétins irrécupérables », aimait à répéter Jean-Jacques Beineix. Il sut en tirer les conséquences. Et, surtout, en tirer un stimulant et atypique livre de Mémoires, Les chantiers de la gloire, qui n’épargnait rien ni personne.
« Je m'entraîne à mourir, et puis j'ai des choses à dire racontait-il dans cet ouvrage insolent.
Et si je ne veux pas cracher sur des tombes j'écris pour me payer quelques têtes, embrasser de jolis souvenirs, évoquer l'amour du cinéma et des femmes, et raconter comment, en l'espace d'un clap, je suis passé du Cinéma de Papa aux autoroutes de l'information. Je suis né juste après la guerre, j'ai un pied dans la galaxie Gutenberg et un autre dans celle de l’oncle Pixel.
Ça fait de moi un mec unique. Les d'jeunes, je sais qu'ils n'en tiendront aucun cas, et tant mieux, les autres, ça leur rappellera peut-être que le cinéma, c’est de la vie et rien d'autre. »
À LIRE AUSSI :
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci de commenter nos articles