Michel Wieviorka : Comment Macron a encore un peu plus détruit les "corps intermédiaires" !

 

Michel Wieviorka : Comment Macron a encore un peu plus détruit les "corps intermédiaires" !

Syndicats, élus locaux, grands corps... Pour le sociologue, le mandat d'Emmanuel Macron n'a fait que confirmer la mise à l'écart de structures faisant le lien avec la société civile.

Emmanuel Macron lors du 8e sommet des pays méditerranéens MED7 à Athènes, le 17 septembre 2021
Emmanuel Macron lors du 8e sommet des pays méditerranéens MED7 à Athènes, le 17 septembre 2021

Ce n'est pas faire du passé un âge d'or que de dire qu'il a pu accorder plus de place qu'aujourd'hui à toute sorte de médiations, c'est-à-dire à des acteurs et des institutions permettant le traitement politique de questions taraudant la société civile, donc de bas vers le haut, ou mobilisant d'abord l'Etat, donc du haut vers le bas. 

Comment ne pas admettre qu'en arrivant aux affaires en 2017, Emmanuel Macron héritait d'une décomposition des médiations déjà fort avancée ? 

Les partis classiques auxquels on s'était habitué depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ne pesaient plus grand-chose. A gauche, le communisme était réduit à la portion congrue depuis longtemps, et le socialisme, qui s'était reconstitué tout au long des années 70, après son Congrès d'Epinay, était un champ de ruines. A droite, la candidature de François Fillon à l'élection présidentielle de 2017 s'était soldée par un désastre. La société civile n'allait guère mieux, et en dehors de la CFDT, le syndicalisme ne parvenait guère à s'adapter à la sortie de l'ère industrielle, et à l'entrée dans un nouveau type de société, post-industrielle. 

Emmanuel Macron aurait pu envisager ou tenter de (re)construire un tissu institutionnel et politique de médiations ou de corps intermédiaires, d'encourager la relance de partis, d'associations, d'institutions en mauvaise passe. Une telle perspective trouve ses lettres de noblesse chez Montesquieu - "Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un Etat populaire ou un Etat despotique" - ou chez Tocqueville, penseur de la démocratie s'en prenant au pouvoir central "parvenu à détruire tous les pouvoirs intermédiaires" de sorte "qu'entre lui et les particuliers il n'existe plus rien qu'un espace immense et vide", et expliquant que les corps intermédiaires constituent un obstacle à la centralisation des pouvoirs, favorisent la décentralisation et permettent d'intéresser les citoyens à la vie publique.  

Il a choisi une autre orientation. Il renoue plutôt avec une tradition révolutionnaire incarnée par la loi Le Chapelier (17 juin 1791), qui interdit tout groupement professionnel dans un esprit rousseauiste, initialement pour mettre fin aux vieilles corporations, mais dont surtout l'impact serait qualifié aujourd'hui de libéral - Karl Marx a vu dans cette loi un "coup d'Etat des bourgeois". Nicolas Sarkozy avait peut-être ouvert la voie à Emmanuel Macron, en affirmant en 2012 que les corps intermédiaires, source d' "immobilisme" font "écran entre le peuple et le gouvernement".  

Mépris pour la CFDT

Le président Macron a méprisé le syndicalisme réformiste de la CFDT, tandis que d'autres syndicats, à commencer par la CGT et Sud, s'embarquaient dans des combats radicaux sans perspective de négociation ou de compromis. Les mobilisations syndicales, le blocage au Parlement sont venus finalement à bout de sa réforme des retraites, imposée au forceps en février 2019 pour être immédiatement abandonnée, un échec qui doit quelque chose à l'obstination du chef de l'Etat à négliger la centrale dirigée par Laurent Berger, qui notait en novembre 2018 : "Macron est sanctionné par là où il a fauté. Il a outrepassé les corps intermédiaires. Mais à quoi servent ces derniers? A faire des propositions, à négocier, à contester, mais aussi, quand il y a des coups de chaud, à faire redescendre la température".  

Emmanuel Macron, avec La République en marche, a voulu incarner une synthèse de la droite et de la gauche, d'où sa formule du "en même temps". Il s'est doté d'une assise politique comptant effectivement des transfuges de l'une et de l'autre. Résultat : entre les extrêmes et l'Elysée, le système politique est resté dévasté, le chef de l'Etat siphonnant selon les conjonctures l'électorat de la droite, ou celui de la gauche. Son parti n'en a pas été grandi pour autant, fiction sur le terrain et instrument inconsistant et fat - "probablement trop intelligent, trop subtil" selon les déclarations de son chef Gilles Le Gendre en décembre 2018 -, d'une verticalité se jouant sans transition de l'Elysée vers la population.  

La droite classique a dû attendre le choix de sa candidate à la présidentielle, Valérie Pécresse, le 4 décembre dernier, pour esquisser un redressement, tandis que la gauche persiste à s'enferrer dans la spirale de la déréliction. Emmanuel Macron avait annoncé une dose de proportionnelle pour les législatives, une réforme qui aurait pu contribuer à ré-enchanter le système politique : la promesse, bloquée par un Sénat qu'il n'a pas su convaincre, n'est toujours pas à l'ordre du jour. Par contre, l'abstention est une réalité parfois massive : 65,31% des inscrits sur les listes électorales n'ont pas participé au deuxième tour des élections régionales de 2021. 

Contre ou avec les élus locaux ?

Mais le pouvoir n'est-il pas attaché aux élus locaux, et notamment aux maires des quelque 35 000 communes de notre pays ? Dans un premier temps, le président se les est plutôt aliénés, en annonçant à leur grand dam, en 2017, diverses baisses dont celle de 300 millions de crédit pour les collectivités locales, et la fin de la taxe d'habitation - une mesure particulièrement préoccupante pour les maires.  

 

* Gilles Clavreul avait dit : "Emmerder" les non-vaccinés ? "Il était grand temps qu'une parole siffle la fin de la récré" !

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