A qui profite le Plan Halieutis ?

La Cour des comptes reconnaît que le plan Halieutis a eu un impact considérable sur le développement du secteur de la pêche. Mais elle relève de multiples retards et dysfonctionnements dans l’exécution de cette stratégie. Le ministère a répondu.

Le ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime est en train de préparer un plan Halieutis 2. Il vient de lancer un appel d’offres pour choisir un consultant dans le but d’élaborer une stratégie pour l’après 2020, année qui marque le terme du plan Halieutis actuel, lancé en 2009.

Ce plan, selon la Cour des comptes qui a réalisé une mission de contrôle pour la période 2010-2016, a eu un impact considérable sur le secteur de la pêche :

– Le Plan Halieutis constitue la première stratégie intégrée du secteur de la pêche et de l’aquaculture au Maroc, visant la durabilité de la ressource, la performance et la compétitivité du secteur.

– Les exportations des produits de la mer ont atteint 22 MMDH en 2017, et ont représenté près de 50% des exportations de produits agroalimentaires marocains et 10% du total des exportations.

– Le PIB de la pêche a presque doublé en passant de 8,3 MMDH en 2007 à 15 MMDH en 2015.

– La production a progressé de 3,75% par an en volume, et de 8,70% par an en valeur, sur la période 2009-2016. Celle-ci a atteint, en 2016, un volume de 1,46 million de tonnes débarquées pour une valeur de 11,5 MMDH.

Toutefois, plusieurs retards et dysfonctionnements ont été relevés par la Cour des comptes. En voici quelques uns, sachant qu’entre 2016 et aujourd’hui, des améliorations ont pu être enregistrées. La Cour des comptes a noté l’absence d’un document global sur le Plan Halieutis: « Malgré plusieurs requêtes de la cour, il n’a été fourni par le DPM aucun document faisant foi du Plan Halieutis, qui soit chiffré avec l’enveloppe budgétaire globale, ainsi que les budgets alloués et les sources de financement des différents projets structurants programmés ».

Le ministère a notamment répondu qu’un « document de chiffrage détaillé a été élaboré et a précisé pour chacun des axes, projets et mesures prévus, le montant d’investissement, le budget nécessaire, le montage financier et l’identification des sources de financement adaptées à chacun des projets ».

Les réponses du ministère de tutelle figurent (sous forme résumée) dans les pages 192 à 210 du rapport de la cour des comptes.

Le même cabinet élabore la stratégie et fait le bilan de son exécution

Sur ce volet, la Cour des comptes a constaté :

– Lenteur dans la réalisation de certains objectifs stratégiques : en juillet 2016, seuls 25 projets sur les 70 prévus étaient achevés. Et seulement 39% des actions prévues, effectuées.

– Montage financier et planning d’exécution du plan : aucun document budgétaire n’a été fourni et la stratégie ne prévoit pas un planning d’exécution.

– Suivi et pilotage : aucune des instances prévues pour le pilotage de la stratégie n’a été mise en place (comité de suivi, pilotage opérationnel…)

– Le même cabinet qui a conçu la stratégie a été chargé par la suite de la planification et du suivi puis de la réalisation du bilan d’étape, ce qui présente un risque d’incompatibilité et de subjectivité des analyses menées. Montants engrangés : 37 MDH. Cette affirmation a été démentie par le ministère dans sa réponse: « A mi-chemin de la mise en œuvre du plan, le DPM a procédé à l’évaluation de la feuille de route en vue de fixer les mesures nécessaires à sa bonne exécution. Ces études n’ont pas porté sur l’évaluation de la stratégie Halieutis ».

>Réponses du ministère:

-La consommation domestique de poisson, qui a atteint 13,6 Kg/hab./an en 2014 soit 85% de l’objectif fixé en 2020, dépasse le niveau recommandé par l’OMS de 11,7 Kg/hab./an et se trouve en ligne avec la consommation de poisson de capture à l’échelle mondiale (13Kg/hab./an). Le niveau de consommation nationale est semblable à celui de l’Australie (13,9Kg/hab./an en 2017) et qui dispose de la troisième plus grande zone de pêche du monde (ZEE de 8,1 millions km²).

-L’engagement financier au titre des projets du plan Halieutis s’élève à 80% à fin 2018. De même, 70% du coût de réalisation total de la stratégie estimé à ce jour (soit 3,3 MMDH) est alloué à des projets présentant un engagement supérieur ou égal à 82%, ce qui est cohérent avec l’avancement linéaire de la durée de réalisation de la stratégie, et reflète un très bon taux d’exécution des projets dudit plan

-Dans le cadre de l’élaboration du Plan Halieutis, un document de chiffrage détaillé a été élaboré et a précisé pour chacun des axes, projets et mesures prévus, le montant d’investissement, le budget nécessaire, le montage financier et l’identification des sources de financement adaptées à chacun des projetsAfin d’assurer l’opérationnalisation des mesures du plan Halieutis, un chiffrage du coût de réalisation des projets et de leurs sources de financement a été élaboré.

Des pêcheries gérées par simple décision ministérielle

– Insuffisance des moyens dédiés à la recherche halieutique : peu de recrutements, manque et vétusté des équipements scientifiques…

– La gestion des pêcheries connaît des dysfonctionnements qui font que plusieurs stocks sont exploités au-delà du rendement maximal durable (RMD), ce qui les menace d’effondrement (espadon, daurade rose, merlu blanc…)

– Certaines pêcheries sont gérées par simple décision ministérielle (période 2011-2015) : poulpe et crevette notamment.

– Des rallonges au quota de pêche du poulpe sont accordées, ce qui vide les plans d’aménagement de leur substance.

Sous-déclaration, pêche pendant le repos biologique et double déclaration de produits déjà taxés…

– Le zoning des espaces de pêche est trop large, ce qui provoque le déplacement des navires vers des zones ciblées qui subissent une forte pression.

– Les droits pour le renouvellement des licences de pêche sont insignifiants.

Faible adhésion des opérateurs au programme de modernisation et de mise à niveau des flottes de pêche.

Faible développement de l’aquaculture: Retard dans l’adoption du code de l’aquaculture, mesures de dédouanement des intrants aquacoles limités, absence de mesures fiscales incitatives, nombre très faible des fermes aquacoles créées depuis le lancement du plan Halieutis (3 fermes).

Les explications du ministère :

-Insuffisance des ressources allouées à la recherche

-La recherche halieutique s’est vue dotée de moyens humains et matériels à la hauteur des missions confiées par le plan Halieutis. Les moyens de navigation en mer ont été renforcés à travers la mise à niveau des navires de prospection existants et le lancement de la construction d’un nouveau navire océanographique de pointe.

-Par ailleurs, Halieutis a renforcé l’effectif de l’INRH qui est passé de 377 personnes en 2009 à 417 en 2016 et 443 en 2017. De même, le parc des véhicules de terrain, nécessaires pour la conduite des missions en régions, a bénéficié d’un renouvellement en 2011 et 2015 et atteint trente unités.

-Dysfonctionnements dans la gestion des pêcheries: Dans le cadre de la gestion durable des pêcheries, la mise en place de plans d’aménagement des principales espèces ont constitué une priorité pour le DPM. Ces plans intègrent des mesures plus spécifiques à certaines comme les sparidés (dorades, sar etc…) notamment à travers des fermetures spatio-temporaires et la règlementation des engins de pêche.

-L’exploitation de certaines pêcheries au-delà du Rendement Maximal Durable (RMD) est une problématique connue de la communauté scientifique halieutique et concerne uniquement les pêcheries multi-flotte et surtout multi-spécifique telles que le merlu et la crevette rose. En effet, la mise en place d’une gestion basée sur les RDM est particulièrement complexe aussi bien d’un point de vue scientifique que de gestion dans la mesure où cette approche sert dans une perspective plus qualitative que quantitative.

-Gestion de certaines pêcheries par décisions ministérielles: Les plans d’aménagement sont régis par des textes réglementaires procurant aux décisions ministérielles la réactivité nécessaire des mesures de gestion face à des situations d’urgence.

A titre d’exemple, cette approche a montré son efficacité pour l’activité de la pêche de poulpe vu l’amélioration de ce stock et la consolidation de la rentabilité des unités opérant dans ce secteur. Aussi, et pour renforcer l’arsenal juridique concernant ces pêcheries, des projets d’arrêtés régissant cette activité ont été élaborés et sont en cours de validation.

Pour le cas particulier du thon rouge, qui fait l’objet d’une gestion par l’ICCAT, un projet d’arrêté en phase avec les recommandations de l’organisation a été élaboré et est en phase de concertation avec la profession. Pour les thonidés mineurs, un projet de plan d’aménagement a été élaboré pour satisfaire au code portant sur la conduite d’une pêche responsable de la FAO. Ce projet est en cours de concertation avec l’INRH qui a collecté les données scientifiques et fourni les éléments nécessaires pour la préparation du plan d’aménagement.

-Enfin, il convient de rappeler que cette façon de faire est parfaitement légale et que l’ensemble des textes pris sont validés par le SGG.

-Augmentation de la production hors unités d’aménagement: La pêcherie poulpière est gérée par un plan d’aménagement, fixant des quotas et des périodes de repos biologique, au sud de Boujdour et par des mesures de gestion comprenant des plafonds de captures au nord de Boujdour, en attendant la mise en place d’un plan d’aménagement.

Les mesures de gestion précautionneuse mises en œuvre dans cette dernière zone peuvent entrainer une consommation rapide des plafonds mais n’entrainent pas de conséquences particulières sur le plan économique et social car elle entraine, généralement, une valorisation du poulpe.

-Application de rallonge des quotas au niveau des unités d’aménagement: La pêcherie poulpière, de par sa dynamique de stock, nécessite la mise en place d’une gestion adaptative pouvant aussi bien se manifester par des augmentationsde quotas que par des fermetures de zones de juvéniles sur la base de réévaluations scientifiques tel que recommandé par de nombreuses instances internationales. Cette approche permet de maximiser la production et la protection des stocks.

Dysfonctionnements dans les villages de pêche et les points de débarquement aménagés

En termes d’infrastructure et de gestion des ports de pêche, la Cour des comptes a relevé, entre autres :

– Disparités en matière de capacité de débarquement entre la zone Sud et les autres régions.

– Insuffisances dans l’équipement des structures de débarquement.

– Dysfonctionnement dans les espaces portuaires.

– Retard dans le transfert de la gestion des ports de pêches de l’ANP à l’ONP.

– Insuffisances dans l’estimation des budgets d’investissement.

– Implantation inadaptée de certains points de débarquement aménagés.

– Insuffisance des équipements de préservation sous froid dans les PDA.

– La structure financière des PDA et des villages de pêche est déficitaire.

– Plusieurs PDA et VDP ne sont pas opérationnels.

– Difficultés d’accès au carburant détaxé.

>Les réponses du ministère:

La pêche artisanale joue un rôle significatif dans le secteur en employant directement plus de 40.000 personnes en mer et en réalisant un CA annuel de plus de 2,3 MMDH. Le plan Halieutis s’est ainsi attelé à assurer des conditions favorables à ce segment lui permettant d’exercer convenablement son activité. Cela s’est notamment concrétisé par la réalisation de PDA/VDP dont les sites ont été identifiés par le plan qui en a également assuré le financement soit en direct par le DPM soit par des sources externes.

-Des études de potentiel de développement sont préalablement menées pour l’identification des lieux d’implantation des VDP/PDA.

-Sur un total de 42 sites réalisés à ce jour (17 VDP et 25 PDA), les chambres froides sont implantées dans 33 sites (14 VDP et 19 PDA). Les 9 sites restants ont été réalisés antérieurement à Halieutis et n’ont pas prévu de chambres froides lors de leur conception.

-Structures de débarquement financièrement déficitaires(…) Compte tenu des enjeux sociaux-économiques, l’approche adoptée par Halieutis en ce qui concerne le développement des PDA / VDP a été de privilégier l’amélioration des conditions de vie et de travail des marins pêcheurs artisans en remédiant aux insuffisances en termes d’infrastructures de débarquement et de commercialisation des apports de pêche avec, en prime, l’amélioration de la valeur des captures et, ce faisant, des revenus des artisans pêcheurs.

-Cette orientation consacre les principes de solidarité et d’assistance publique à une frange importante des marins pêcheurs. Dans ce sens, peu de PDA / VDP aurait été réalisés si la rentabilité financière était l’argument principal recherché par le DPM. En outre, plusieurs mesures incitatives ont été mises en œuvre afin de rendre les PDA/VDP plus attractifs pour les pêcheurs, dont notamment: L’affiliation CNSS(…), le prélèvement des cotisations au titre du régime général des retraites, de l’assurance Maladie Obligatoire (AMO), l’accès à la chaine de froid afin de préserver la qualité et l’état de ses captures, l’ouverture à la traçabilité des captures (ce qui donne de facto au pêcheur la possibilité de vendre ses captures aux industries de transformation des produits halieutiques et à l’export), l’accès aux agents bancaires dans les halles (ce qui permet aux pêcheurs d’accéder à des sources de financement suite à l’entrée dans le circuit formel).➢

Commercialisation: l’informel et la désorganisation prolifèrent

En matière de commercialisation, il y a lieu de noter :

– Le nombre limité des mareyeurs, qui n’encourage pas les pêcheurs de la sardine et du poisson blanc destiné au marché local à faire transiter leur production par les halles.

L’existence des circuits de commercialisation informels, et la deuxième vente de produits en provenance d’autres ports dans les enceintes portuaires, engendre une concurrence déloyale aux captures locales en baissant les prix.

La présence de vendeurs détaillants de poisson tout au long des quais encourage la vente des captures en dehors des halles, créant, ainsi, un marché parallèle.

– Les marchés de gros de pêche prévus avant le Plan Halieutis n’ont pas encore tous été achevés.

La construction des 10 marchés de gros prévus par le Plan n’a pas encore été entamée.

– Les marchés de gros offrent des services insuffisants, notamment les équipements de froid.

– Les actions prises pour lutter contre l’informel sont insuffisantes : absence de traçabilité et de coordination, dispositif juridique incomplet…

Des marchés de gros sont non exploités (Rabat-Tamesna, Taza, Beni Mellal, Oujda) ou déficitaires (Meknès).

– Le marché de gros de Casablanca, qui traite le plus gros des quantités de pêche au niveau national, connait des dysfonctionnements, notamment en matière de contrôle d’accès, de maîtrise des flux de poisson et de capacité limitée de la salle des ventes.

La consommation annuelle par habitant demeure limitée :13,6 kg contre une moyenne mondiale de 20 kg, malgré les efforts de promotion.

– Absence de partenariat entre l’ONP et les grandes surfaces.

>Réponses du ministère:

-Un élan important a été fourni sous Halieutis à la réalisation des structures de commercialisation en termes de halles (10 construites et 2 en cours), de CAPI (3 construits) et de MGP (9 construits).

-Grâce au programme de construction entrepris, les quantités de poisson ayant transité par les halles ont augmenté de 5% et le chiffre d’affaires moyen a évolué de 7% durant les dix dernières années. Il convient à ce titre de signaler que dans les ports du Sud, la sardine, qui est le poisson le plus pêché, transite majoritairement par les CAPI.

-La présence de vendeurs détaillants à quai dans certains ports est un phénomène à caractère social qui est régulièrement reporté aux autorités locales du ministère de l’intérieur.

-Construction des marchés de gros: Le plan Halieutis a lancé un programme inédit de construction de marchés de gros de poisson avec pour objectif de rapprocher le poisson des consommateurs à travers la création de réseaux régionaux de distribution. Si un seul marché de gros existait avant le lancement du plan, neuf autres marchés ont été réalisés sous Halieutis dont six sont opérationnels (Marrakech, Rabat, Meknès, Taza, Oujda, Beni Mellal) et trois autres sont achevés (Inezgane, Tanger et Tétouan).

Les recommandations de la Cour des comptes

Ces recommandations s’adressent au ministère ainsi qu’aux entités publiques concernées (INRH, ONP, ANDA) dans le but d’accélérer la réalisation des projets structurants prévus par le Plan Halieutis. En voici les principales :

– Veiller au fonctionnement continu des groupes de travail, des comités de suivi et de pilotage instaurés pour accompagner la mise en œuvre de la stratégie ;

– Eviter de confier l’évaluation de l’état d’avancement ou de la mise en œuvre globale de la stratégie aux mêmes cabinets qui ont été impliqués dans sa conception et son accompagnement, afin d’éviter les situations d’incompatibilité ;

– Renforcer la recherche halieutique et la doter des moyens nécessaires afin de permettre le suivi régulier et la prédiction de l’évolution des stocks;

– Adapter l’effort de pêche selon les recommandations de la recherche halieutique, et imposer le respect des mesures de gestion des pêcheries, notamment en matière de restrictions temporelles, spatiales et celles relatives aux engins de pêche ;

– Adopter un programme volontariste pour le rétablissement des stocks des espèces en état de surexploitation;

– Poursuivre l’effort engagé pour la gestion des stocks des ressources halieutiques et lutter contre la pêche INN (Illicite, Non déclarée et Non réglementée) ;

– Rattraper le retard pris dans le développement de l’aquaculture pour réduire la pression sur les ressources halieutiques.

– Mise en place d’un système de criée automatisée et à distance au sein des halles aux poissons afin de résoudre les difficultés liées à la concurrence déloyale et à l’influence de certains réseaux de mareyeurs sur la transparence des opérations commerciales.

– Veiller, dans le choix des sites d’implantation des marchés de gros de poisson, à assurer une couverture géographique optimale afin d’en faire des centres régionaux de distribution du poisson.

– Activer la pleine exploitation des marchés de gros.

– Assurer un contrôle permanent des conditions d’hygiène et de salubrité des produits halieutiques par l’établissement de procédures claires et effectivement appliquées ;

Ministère: 19 des 21 recommandations sont réalisées ou en cours de réalisation

Au total, la Cour des comptes a formulé 21 recommandations.

Le ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime affirme que 19 recommandations sont d’ores et déjà réalisées ou en cours de réalisation alors que 2 recommandations n’ont pas été retenues.

La première porte sur l’encadrement de l’aménagement des pêcheries par des normes juridiques plus élevées, tels une loi ou un décret.

« La structure du dispositif juridique adopté est légale et adaptée à la nature et à la fréquence des décisions qui doivent être prises au cours de la gestion des ressources halieutiques. Il convient également de rappeler que cette façon de faire est validée par le Secrétariat général du gouvernement qui valide l’ensemble des textes pris par le département de la Pêche maritime. Enfin, les décisions ministérielles élaborées ont largement contribué à atteindre l’objectif de l’exploitation durable des ressources halieutiques », indique le ministère.

La deuxième concerne l’intégration du segment de la pêche hauturière au circuit de commercialisation géré par l’ONP.

« L’article 5 du décret n°2-74-531, relatif à la prise en charge par l’ONP des halles au poisson situées dans les ports, a été modifié par le décret n°2-14-98 du 2 avril 2014. Ce dernier a apporté une précision concernant le champ d’application de la taxe parafiscale en stipulant que les produits ciblés sont ceux « débarqués » dans les ports du Royaume. Cette précision était nécessaire car les produits de la pêche fraîche sont « débarqués » alors que ceux de la pêche industrielle congélatrice, déjà conditionnés et mis dans leur emballage, sont « déchargés » ».

Voici le rapport de la Cour des comptes pour consulter le détail des observations, recommandations et réponses du ministère (observations et recommandations à partir de la page 168, réponses à partir de la page 192).











A qui profite le Plan Halieutis ?

Archive de mars 2011

A qui profite le Plan Halieutis?

Aziz Akhennouch a introduit une réforme de taille dans le secteur de la pêche. Mais l’attention accordée au pélagique suscite des interrogations quant aux véritables bénéficiaires de ce plan.

Depuis son annonce, le plan Halieutis déchaîne les passions. Trop de polémiques, trop de grèves, trop d’intérêts… La réforme de Aziz Akhennouch est pour le moins douloureuse. Mais disons-le d’emblée: elle a au moins le mérite d’exister. Le ministre a réussi ce que ses prédécesseurs n’ont jamais pu faire: mettre en place un plan de modernisation de la pêche. Grâce à Halieutis, le secteur dispose aujourd’hui d’une feuille de route qui offre une visibilité aux opérateurs marocains et étrangers. 

En même temps, il met en place des mesures concrètes pour la modernisation du métier de la pêche et pour la protection de la ressource halieutique marocaine. 

Et pour cela, Akhennouch ne lésine pas sur les moyens. Son plan prévoit la construction de ports de pêches structurés et équipés, avec la création d’un Global Operator, en l’occurrence l’Office National de la Pêche, pour gérer toutes les enceintes portuaires. «Nous avons déjà récupéré les ports de Casablanca, Agadir, Laâyoune, Sidi Ifni et Tan Tan. Une étude en cours déterminera notre nouveau positionnement en tant que gestionnaire des ports de pêche», déclare Amina Figuigui, directrice générale de l’ONP. 

Mais, force est de constater que la mesure phare de la stratégie demeure celle relative aux petits pélagiques (sardine, sardinelle, maquereau, chinchard, anchois). Il est vrai que le pélagique représente 85% du volume total des captures de pêche. Mais la valeur économique de ce segment équivaut seulement au quart de la valeur totale des bénéfices. Pourquoi a-t-on alors choisi ce segment ?

 

Tous les débarquements se feront sur terre
Le plan d’aménagement des petits pélagiques émane du principe suivant: exploiter le potentiel additionnel des petits pélagiques, principalement au niveau du stock C qui se trouve entre le cap Boujdor et Cap Blanc. Pour ce faire, il s’est avéré nécessaire de valoriser au maximum les petits pélagiques, à travers le débarquement de la totalité des captures dans les ports marocains. Cela permettra d’optimiser le contrôle sur les pêches à travers les quotas et de valoriser le potentiel du stock. Mais cela contribuera surtout à dynamiser l’industrie à terre des petits pélagiques. La concrétisation de cette mesure garantirait aux industriels un approvisionnement de 80% de la totalité des captures du pélagique.
Certes, comme le constate Nourdine Elhamdani, directeur général de Sjevik Morocco, société maroco-norvégienne spécialisée dans la pêche hauturière, le principe de cette mesure est louable puisqu’elle permettra de redonner vie aux usines fermées suite à la rareté de la source pélagique. «Mais en même temps, la mesure est contraire à la loi du marché puisqu’elle finira par ruiner les armateurs qui seront à la merci des usiniers et surtout des mareyeurs», prévient-il.
En effet, le ministère a instauré une mesure jugée pénalisante par bon nombre de professionnels. Il a interdit la congélation du poisson à bord. Cela a pour effet d’instaurer un système de contrôle efficace en mer et en terre et d’empêcher l’exportation de bord à bord. Une mesure surtout pour pallier la grande difficulté de contrôler les pêches sur mer, surtout pour ce qui est du poulpe et des crevettes soumises aux arrêts biologiques. «Les bateaux crevettiers et poulpiers continueront leur pêche, mais avec des restrictions sur les quotas pêchés (réduction du nombre de caisses) et l’interdiction de certaines zones de pêche (utilisation du système de suivi des bateaux par satellite VMS)» explique le ministre Aziz Akhennouch.
Seulement, pour réussir ces objectifs ambitieux, il faut des infrastructures de débarquement dans les ports du Sud, dont les unités de congélation sont rares. D’ailleurs, dans le port de Dakhla, il n’y a qu’une seule unité. Le plan pélagique prévoit la création d’un port de grande dimension avec une capacité allant jusqu’à un million de tonne de poissons et une capacité d’accueil entre 60 et 120 navires RSW (Refegerated Sea Water).


Mais la viabilité de ce port reste discutable. «Au lieu de miser sur un projet aussi coûteux, pourquoi ne pas commencer d’abord par la modernisation et l’agrandissement des ports existants?», s’interroge Abderrahman ElYazidi, membre du Collectif Pêche et Développement. Pire, le temps que ce méga-projet se mette en place, il n’y aura plus de poissons car la ressource se raréfie très vite. Dans les années 90, la raréfaction du pélagique a entraîne la fermeture de presque 90% des usines spécialisées. La même chose pourrait arriver au stock car, chez les professionnels, il est admis que les pélagiques sont des poissons instables.

 

«Le plan Halieutis a été fait sur-mesure pour servir une élite industrielle qui renforce ses positions nationales et internationales.»

 

Une conciliation intelligente mais…
Mais revenons à notre question de départ. Pourquoi cette attention pour le pélagique ? Le département de Akhennouch est arrivé à concilier la pêche du poulpe avec celle du pélagique par un consensus ingénieux. Alors que le premier est en grande difficulté, l’avenir du second est très prometteur. Après avoir épuisé les ressources poulpières de la zone Sud, toute la chaîne qui opère dans le segment est en perte de vitesse. L’instauration du repos biologique contraint les professionnels du poulpe à se mettre sur le mode arrêt durant presque 8 mois par an. Frigos sur terre, camions frigos, usines de conditionnement des régions du Sud (Dakhla et Laâyoune principalement), auparavant spécialisés dans le poulpe, sont à l’arrêt partiel. 

Certains sont en faillite. En fait, lors de l’âge d’or de la pêche poulpière, les investisseurs ont obtenu des crédits garantis par l’Etat. Mais ces industries se sont effondrées à cause de la rareté du poulpe et ainsi, n’ont pas pu rembourser leurs crédits. Au lieu d’une démarche de saisie, un nouveau plan a été concocté : ces industries du poulpe se sont reconverties au pélagique. Un quota de pêche leur a été attribué, leur permettant de faire tourner leurs usines pour rembourser les crédits. «Cette reconversion est un fiasco total car elle exprime une fuite en avant du ministère de tutelle qui n’arrive pas à trouver une solution au problèmes de cette filière», déclare ElYazidi.
Face à cela, les stocks de pélagique sont à la baisse dans les zones de Safi, Essaouira et Agadir. D’autant plus que les armateurs ont la possibilité de vendre du congelé directement pour l’export, sans être obligés de passer par les halles sur terre. Conséquence: cela réduit la ressource pélagique des usines. Alors, pour arriver à satisfaire tout le monde, faire revivre les usines spécialisées dans le pélagique et redémarrer le business des industries poulpières, le plan Halieutis est arrivé avec trois mesures principales.
La première consiste en l’interdiction totale de congélation à bord, pour empêcher toute vente directe à bord des bateaux. L’objectif est d’obliger les armateurs à débarquer leur capture et à la vendre à l’usinier ou la congeler dans les frigos. Cette mesure constitue la première valeur ajoutée dans le circuit de la pêche.
La deuxième décision est le «débarquement d’appoint», qui consiste en la signature de conventions entre usinier et armateur pour assurer 80% des captures de pélagiques qui vont passer aux usines. 

Ces dernières ont ainsi la garantie d’être approvisionnées pour fonctionner à plein régime.


Enfin, la troisième décision met en place un nouveau modèle d’investissement appelé «projets intégrés», pour constituer des groupements à forte capacité d’accueil et disposant d’une assise financière solide, principalement constitués par des opérateurs de poulpes reconvertis. «Pour monter un projet intégré, il faut un investissement colossal. L’appel d’offre a établi une liste de 37 présélectionnés, sur la base d’un quota de 500 millions de tonnes de produits, déterminés sur la base de 20% du total de la réserve identifiée. Je peux vous dire aujourd’hui qu’il y a des investisseurs internationaux qui sont prêts à investir 100 millions de dollars dans le Sud», assure Aziz Akhennouch. Jusque-là, la formule paraît séduisante et raisonnable puisqu’elle permettra de valoriser les prises de pélagiques sur terre. Mais lorsque l’on décortique ces décisions, on note des détails troublants.

Quels sont les véritables bénéficiaires du pélagique?
Le principe des débarquements d’appoint est discutable. Selon certains professionnels, il s’agit d’un modèle qui ne marchera pas, puisqu’il a déjà été appliqué dans d’autres pays, comme la Russie ou les pays scandinaves, pourtant les plus avancés en matière de pêche pélagique. «La formule du débarquement d’appoint est comme un mariage forcé entre la pêche et l’usinage qui sont deux métiers complètement différents», fustige Nourdine Elhamdani. 

En effet, beaucoup de professionnels, principalement des armateurs, considèrent qu’il n’est pas du ressort de l’Etat de s’immiscer dans le business de vente et le choix des clients des armateurs. «C’est l’armateur qui est perdant dans cette affaire. 

Du fait qu’il n’ait pas la possibilité de congeler à bord, surtout pour la pêche hauturière, la qualité des captures va se dégrader. Il est dans l’obligation de vendre, même à perte», explique un professionnel.


Par ailleurs, pour ce qui est des projets intégrés, la finalité porte à confusion. En effet, ce plan prévoit de déterminer des groupements d’industriels, opérant à divers niveaux de traitement du poisson (congélation, conserverie, conditionnement, farines) et répondant à l’appel d’offre du ministère dans le cadre de la stratégie Halieutis. 

Ces groupements bénéficieront par la suite d’un quota de pêche, qui devra être honoré à travers l’affrètement de bateaux marocains ou étrangers qui ramèneront le poisson à terre pour faire fonctionner ces industries. Le détail intéressant à relever est qu’en instaurant les quotas individuels pour la pêche hauturière, en la limitant à 15.000 tonnes par bateau sans prendre en considération la capacité individuelle de chaque bateau, la performance des grands bateaux est tirée vers le bas. 

Ce qui revient à dire que ces bateaux, une fois arrivés au quota qui leur est destiné, seront obligés de s’adresser au groupements industriels pour continuer à fonctionner. Lesquels groupements ont aussi un quota de pêche. Pour faire simple, on pousse l’armateur de la pêche hauturière à travailler en-deçà de sa capacité pour l’obliger, par la suite, à devoir louer la licence de pêche octroyée au groupement industriel. 

Qui gagne dans ce plan ? Les industries à tous les coups. D’une part, ils font fonctionner leurs usines à travers les 80% de produits de pêche promis par Akhenouch. Et en d’autre part, ils ont la possibilité d’affréter des bateaux pour pêcher des quotas qui leur sont octroyés dans le cadre de projets intégrés. Ce qui fait dire à certains professionnels que le plan Halieutis a été fait sur-mesure pour servir une élite industrielle qui renforce ses positions nationales et à l’international et a donc besoin de poissons pour faire tourner ses machines.
 

Mais en même temps, cet objectif est-il condamnable ? A priori non, puisqu’il s’inscrit dans cette logique d’industrialisation qui anime toutes les autres politiques sectorielles. On sait tous que la philosophie de celles-ci est de faire du Maroc une plateforme de production et d’exportation. Le pélagique offre, de ce fait, un double atout. 

C’est une ressource à la fois disponible et puis surtout, son tissu industriel est très développé. En gros, c’est la même logique suivie dans le Plan Vert qui se sert du patrimoine foncier disponible de l’Etat pour industrialiser la filière agricole et la mettre sur la voie de l’export. Autre motif expliquant le choix du pélagique: le déblocage de l’accord de pêche avec l’Union Européenne. Celle-ci, comme on le sait, demande que les redevances perçues par le Maroc profitent aux populations du Sud. 

Demande en passe d’être exaucée, semble-t-il, puisque ce volet social est au centre du plan d’Akhennouch. En procédant ainsi et c’est là où réside le fin mot de l’histoire, le ministre contourne l’épineux dossier du poulpe et de l’industrie crevettière, où les problèmes sont tellement enracinés (voir encadré), qu’il est difficile de les régler par un simple coup de baguette magique.
Mais les effets négatifs de cette politique sont à prendre avec beaucoup de sérieux.

 Economiquement parlant, à travers Halieutis, on entend maximiser la valorisation des produits de la mer et la création d’emplois. Les arrêts biologiques poussent les armateurs à la fraude, pour continuer à faire travailler les pêcheurs. L’armateur perd de l’argent parce qu’il se trouve à la merci du mareyeur et de l’usinier: il vend au premier à perte et doit obligatoirement approvisionner le second, sans forcément dégager de bénéfice. 

En outre, l’abolition de la congélation à bord dans la pêche hauturière et côtière contribue à faire fonctionner les unités de congélation sur terre lors du débarquement. Mais, dans le même temps, cela cause la détérioration du poisson et la dégradation de sa qualité. Il perd de sa compétitivité sur le marché international. 

Comment espère-t-on, dans ce cas, accroître les exportations et la pénétration de nouveaux marchés ? Le rentier, que l’on croyait chassé par la transparence recherchée dans le secteur, profitera au contraire pleinement de cette situation. Au final, la stratégie Halieutis finira par servir les intérêts de ceux qui font la loi du plus fort dans le métier de la pêche.

Par Sabrina Belhouari
 
 
 
 
 

La pêche, un dossier houleux

Le Maroc n’a jamais disposé d’une véritable politique pour gérer ses ressources halieutiques. C’est un fait. Jusque-là, le seul plan d’aménagement à l’actif du Maroc était dédié au poulpe. Avant la sortie de la stratégie Halieutis, le secteur surfait dans des problématiques sectorielles à n’en pas finir. Les rapports des opérateurs de la pêche avec les centres de décision du gouvernement n’ont pas toujours été au beau fixe. Depuis la création du ministère de la Pêche en 1982, chaque ministre a tenté de créer un canal de communication avec les professionnels pour répondre aux besoins du secteur. La création des chambres de pêche a été conçue dans ce sens. Elles étaient censées représenter le tissu professionnel par région. Mais leur politisation et leur dépendance financière au ministère de tutelle ont torpillé leur mission.
Le secteur de la pêche a toujours été victime des conflits d’intérêts. Plusieurs tentatives de stratégie globale pour la pêche venant à la fois de la part des professionnels et de l’Etat ont fini par être enterrées. Le code de pêche qui avait été initié par le ministère de tutelle entre 1998 et 2002, chapeauté par deux ministres, Thami Khyari et Said Chbaâtou, n’a jamais vu le jour. 

En 2003, un contrat-programme quinquennal a été proposé par les professionnels. 

L’objectif était de dépasser une production de 1,7 million de tonnes et d’atteindre deux milliards de dollars par an à l’export. On prévoyait aussi l’élargissement de l’exploitation à de nouvelles pêcheries, l’augmentation de 100% de la consommation nationale de poisson, la création de 100.000 emplois, le tout avec un investissement de 10 milliards de dirhams dont 7 milliards par le secteur privé en flotte et usines à terre. 

Le contra-programme, encore une fois pour des raisons de conflits d’intérêts, fut également enterré. A l’exception de la filière industrielle donc, le secteur de la pêche a toujours sombré dans l’opacité. Une situation maintenue par des opérateurs qui considèrent la pêche comme une rente, où les principes de la modernisation et du respect des lois n’ont pas de place. 

La gestion du dossier fut houleuse sous le mandat de Taïb Ghafès, où le poulpe connut pour la première fois un plan d’aménagement. Après les confrontations de Ghafès, son successeur Mohand Laenser afficha une grande prudence. Il a fallu attendre le lancement de la stratégie industrielle pour avoir une lueur d’espoir capable de donner un élan au secteur de la pêche. 

A son lancement en 2005 par Salaheddine Mezouar, alors ministre de l’Industrie et des nouvelles technologies, le plan Emergence avait identifié une stratégie industrielle pour les secteurs qualifiés de «métiers mondiaux», pour les moderniser et les rendre compétitifs. Et les produits de la mer étaient à l’époque l’un des 7 métiers mondiaux identifiés. 

Mais à l’arrivée de Ahmed Reda Chami à la tête du ministère de l’Industrie et la mise en place du plan Envol, qui allait englober d’autres secteurs non prévus au départ, l’agriculture et la pêche furent retirées de la liste. 

En un tour de main, les deux secteurs-clés furent attribués au département d’Akhennouch.

 

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