Des hauts et débats

 

Peut-on rire de tout ? (1/2)

Les lois de l’humour sont très sévères : On ne peut pas se moquer des victimes, des noirs, des homos, des musulmans, des juifs, des handicapés… moi je dis : de qui se moque-t-on ? Philippe Geluck

Cette question est peu originale. Elle revient régulièrement dans le débat à la faveur de différentes polémiques sur l’humour noir, raciste ou sur des déclarations litigieuses qui devraient, selon leurs auteurs, être prises au second degré. En général, elle oppose les partisans de la décence (« il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas rire, comme la Shoah »), les partisans de l’humour sans limite, qui se voient en hérauts de la liberté d’expression, et diverses approches plus nuancées, comme ceux qui citent la maxime éculée de Desproges, conciliant liberté de l’humour et respect des personnes : « on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ».

Au final, cette question est peu étudiée de façon sérieuse et approfondie, ce que j’aimerai tenter de faire ici. Il faut poser les choses ainsi : penser qu’on ne peut pas rire de tout revient à suggérer qu’il existe des limites à ce qui est possible en matière d’humour. Mais se pose alors la question de ces fameuses « limites à l’humour ». Quelles sont-elles ? Elles ne peuvent être que de deux ordres : légales ou éthiques. Dans cette première partie, je m’attache à la partie légale. Légalement, en France, peut-on rire de tout ?

 

Pourquoi la liberté d’expression est limitée

La France est un pays démocratique qui respecte la liberté d’expression. Cependant, toute liberté a en général une limite, y compris dans les pays démocratiques. On peut voter, mais pas avant 18 ans; on peut être professeur, mais pas si on a été condamné pour pédophilie, etc. Ainsi comme dans de nombreux pays du même type de régime, et peut être même plus qu’ailleurs, la liberté d’expression est limitée en France.  

L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 est clair, je graisse : « Article 11. – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

Et en France, les abus de la liberté d’expression illégaux sont assez nombreux, relevant presque tous de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui regroupe toutes les grandes atteintes à la liberté d’expression, et définit des contraventions ou des délits punis de sommes allant de 7 000 à 45 000 euros d’amende et parfois de peines de prison. Cette loi a évidemment été modifiée de nombreuses fois depuis 1881. On peut essayer de classer ces délits en trois catégories : la catégorie la plus bénigne, relevant de l’atteinte à la vie privée ; la catégorie intermédiaire, relevant des insultes et des mensonges ; la catégorie la plus grave, relevant de l’apologie des crimes et des délits et de l’incitation à en commettre, ou bien de la négation de crimes contre l’humanité. J’évoquerai, pour finir, la notion de « trouble à l’ordre public », qui justifie également certaines restrictions à la liberté d’expression.

 

Atteintes à la vie privée : Trois grands délits (gravité faible)

Les délits liés à l’anonymat : publier le nom d’un membre des services secrets, divulguer une information relative à la filiation d’origine d’une personne adoptée, l’identité d’une personne victime d’une agression sexuelle, d’un mineur délinquant ou suicidé (article 39) : entre 6000 et 15000 euros d’amende.

L’atteinte à la vie privée à proprement parler, c’est-à-dire le fait d’enregistrer puis de publier des paroles de quelqu’un, tenues en privé, sans son consentement. Cela s’applique aussi pour les photos (prises dans un lieu privé et diffusées sans le consentement). On parle parfois de « droit à l’image ». Ce droit ne s’applique pas, en vertu d’arrêts de la Cour de cassation, lorsque la personne photographiée ou enregistrée est impliquée dans un fait d’actualité. Il existe aussi des exceptions pour les personnes publiques. Ainsi un ministre peut s’opposer à la diffusion d’une photo de lui avec son épouse lors d’un déjeuner, mais pas d’une photo de sa sortie du cabinet des ministres (où il agit en tant que personne publique).

L’atteinte à la présomption d’innocence, comme la réalisation de sondages sur la culpabilité d’une personne mise en cause dans une procédure pénale (article 35 ter).

 

Insultes et mensonges : Trois grands délits (gravité intermédiaire)

La diffamation. C’est une « allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Peu importe que le fait soit vrai ou pas, le simple fait de déclarer publiquement des « allégations » portant atteinte à l’honneur d’une personne sont punissables. Exemple : « ce garagiste est vraiment un voleur ». 

Cela étant, d’après l’avocat Eolas, « la loi offre plusieurs échappatoires, de plus en plus larges grâce à la Cour européenne des droits de l’homme et au Conseil constitutionnel, à ceux qui disent la vérité. » 

En gros, si vous dites vrai, vous êtes relaxé, à condition de le prouver. Or l’article 35 stipule que vous ne pouvez pas le prouver si l’imputation concerne la vie privée de la personne, si elle remonte à des faits vieux de plus de dix ans, ou si elle concerne une infraction amnistiée, prescrite, ou dont la peine a été effectuée. Si le garagiste vous a volé il y a 15 ans, qu’il s’agit en fait d’un adultère avec sa femme  ou qu’il a déjà purgé une peine à ce sujet, vous serez condamnés pour diffamation.

La dénonciation calomnieuse, qui est la dénonciation d’un fait « d’une nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact ». Exemple : allez dire au commissariat du coin que le garagiste est un voleur, alors que l’on sait que c’est faux.

L’injure, qui est une « expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Exemple : dire publiquement « sale con » à son garagiste : « sale con » est une injure car elle ne contient l’imputation d’aucun fait ; « sale voleur » est une diffamation car elle sous-entend que le garagiste a commis un vol.

Notons que l’injure est aggravée si elle est commise sur une personne ayant mission de service public (on parle alors d’outrage). Elle est également punie plus sévèrement (l’amende double et une peine de prison maximale de 6 mois est encourue) si elle est commise « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap. » En bref, dire « sale con » à son garagiste est moins grave que de lui dire « sale nègre », que votre garagiste soit blanc de peau ou noir comme l’ébène, d’ailleurs.

La qualification du délit d’injure varie évidemment suivant les propos incriminés. Ainsi une Cour d’appel avait relaxé Dieudonné pour avoir déclaré que « les juifs, c’est une secte, une escroquerie », arguant du débat théorique (cette phrase s’insérait dans un discours plus global sur l’identité juive). Mais en février 2007 la Cour de cassation casse le jugement en excluant l’explication intellectuelle. En 2008, la même Cour relaxe Christian Vanneste de ses propos déclarant que « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité […]. Je n’ai pas dit que l’homosexualité était dangereuse. J’ai dit qu’elle était inférieure à l’hétérosexualité. » en considérant que « si ces propos ont pu heurter la sensibilité de certaines personnes homosexuelles, leur contenu ne dépasse pas les limites de la liberté d’expression ». C’est très précis. Pour avoir déclaré en 2012, à propos du même Vanneste, que « ce type est infâme, voilà la réalité, il est connu pour ses propos homophobes, racistes, voire antisémites. […] C’est lamentable. », le sénateur Europe-Ecologie Jean-Vincent Placé a été condamné pour diffamation. Pas pour l’accusation d’homophobie, car « elle dispose d’une base factuelle suffisante », dixit la Cour. Mais pour le reste de la phrase.

NB : le dénigrement n’est pas une atteinte aux personnes et repose sur le Code de la consommation. Il concerne en règle générale les publicités mensongères ou déloyales qui consistent à dénigrer un concurrent.

 

Apologies ou négations de crimes : deux grands délits (gravité forte)

L’incitation à commettre des crimes et des délits, dont le nom parle de lui-même. Ainsi, une couverture de magazine comme celle-ci serait probablement illégale en France :

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Ce délit inclut la « provocation à la haine raciale », selon lequel « ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ». Pour que cette incitation soit constituée il faut qu’elle soit directe, que les personnes soient clairement désignées par des caractéristiques citées dans la loi : origine, appartenance ethnique, race, religion, ce qui exclut qu’un tel délit puisse s’appliquer pour un dogme ou la politique de certains États, comme l’a rappelé la Cour de cassation en mai 2007. Vous ne serez jamais condamné si vous affirmer que « l’État israélien mène une politique fasciste qu’il faut combattre » ou que « la résurrection du Christ est vraiment une croyance d’attardé, qu’il faudrait éliminer ». Mais vous le serez si vous parlez dans les mêmes termes des juifs et des chrétiens.

Pour toute condamnation pour ce délit, il faut aussi qu’il y ait une véritable intention d’inciter à commettre un délit ou un crime car il n’y a pas de délit sans intention de le commettre. C’est là un point parfois difficile à prouver pour l’accusation.

La négation des crimes contre l’humanité (article 24), incluant la traite négrière et l’esclavage depuis la loi Taubira en 2001. Ce délit est paradoxal car la liste des crimes contre l’humanité est établie arbitrairement, ce qui donne l’impression que l’État contrôle l’Histoire : ainsi, fait remarquer Eolas,  « sont interdits de manière générale l’apologie des crimes contre l’humanité commis par les puissances de l’Axe (n’allez pas approuver la prostitution forcée des femmes coréennes par l’armée impériale japonaise, mais vous pouvez vous réjouir de la famine provoquée par Staline en Ukraine et ses 3 à 7 millions de mort), l’incitation à la haine raciale ainsi que la pornographie enfantine. »

 

Vous pouvez penser ce que vous voulez

Il va de soi que tous ces délits n’existent qu’exprimés. Eolas l’explique fort bien : « le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et la xénophobie ne sont pas illégaux en soi en France. Le fait de partager ces doctrines fait de vous un sale con, pas un délinquant. C’est leur expression publique qui, à certaines conditions, tombe sous le coup de la loi ; essentiellement quand elle prend la forme de la provocation à la haine, la diffamation et l’injure, ou quand elle se matérialise concrètement sous forme de discrimination. 

Il n’y a pas de police de la pensée en France qui va aller chercher aux tréfonds de votre âme quelle sont vos opinions pour au besoin vous jeter en prison pour elles. Outre les difficultés pratiques d’une telle perquisition, ce système n’est pas souhaitable, car il ouvre la voie aux pratiques les plus totalitaires. Seules les dictatures répriment les idées et les opinions. Gardons cela à l’esprit. »

 

En privé, c’est condamnable aussi, mais c’est moins grave

Quid de leur expression privée ? Car l’avocat parle bien d’expression publique. Une injure raciste ou l’apologie d’un crime contre l’humanité tenus dans le domaine privé (par exemple chez soi) sont-ils également répréhensibles ? Oui, mais avec deux différences : la première est qu’il ne s’agit plus d’un délit, mais d’une simple contravention de 4ème classe (article R624-3 du code pénal), soit 750 euros d’amende maximum et évidemment aucune peine de prison encourue. De plus, elle est beaucoup plus difficile à prouver pour celui qui porte plainte, sur qui repose la charge de la preuve. Il ne suffit pas d’aller dire au commissariat que votre voisin vous a traité de sale youpin, il faut encore le prouver. C’est pourquoi les atteintes privées à la liberté d’expression sont très rarement condamnées.

Au passage, les preuves obtenues illégalement, par exemple en violation de la vie privée -écoutes téléphoniques sans accord d’un juge, caméra installée sans prévenir les personnes filmées ou dans des lieux illicites- sont la plupart du temps rejetées par les tribunaux. Il existe une exception en matière criminelle, où les juges sont plus libéraux et acceptent même les preuves obtenues illégalement, car on estime que pour les faits les plus graves la loi ne doit pas protéger le criminel. Cela n’empêche pas le défendeur de porter ensuite plainte à l’encontre de la personne ayant obtenu la preuve illégale (cf. affaire Bettencourt). À noter que faire suivre quelqu’un par un détective privé n’est généralement pas considéré comme une atteinte à la vie privée ; il revient toujours au juge d’apprécier souverainement la loyauté des moyens de preuve utilisés.

 

La notion de trouble à l’ordre public

Un mot sur cette notion car elle ne vient pas de la loi de 1881, mais elle constitue bien une limite supplémentaire à la liberté d’expression. En effet, c’est au nom d’un risque de « trouble à l’ordre public » que le Conseil d’État a interdit préventivement le spectacle de Dieudonné. Ce terme regroupe toutes les atteintes à l’ordre, à la paix publique et aux bonnes mœurs, et réprimées par le code pénal. Ainsi, l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales autorise la police municipale à prendre toutes mesures pour « réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; [maintenir le] bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (…) »

C’est au nom du trouble à l’ordre public, encore, que sont interdits les attroupements, ie. « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public. Un attroupement peut être dispersé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet, adressées par le préfet, le sous-préfet, le maire ou l’un de ses adjoints, tout officier de police judiciaire responsable de la sécurité publique, ou tout autre officier de police judiciaire, porteurs des insignes de leur fonction. » (article 431-3 du Code pénal). A noter qu’il n’y a pas en France, contrairement à ce qu’on entend parfois, de demande d’autorisation en préfecture pour une manifestation. Ceux qui souhaitent manifester doivent simplement déposer une déclaration (qui n’est pas une demande d’autorisation) prévoyant notamment le trajet, la sécurité, etc. La préfecture prend généralement acte, mais elle peut proposer un autre trajet ou refuser la demande sur des motifs de trouble à l’ordre public. Par exemple, une. manifestation pro-palestinienne devant une synagogue, qui risquerait de dégénérer.

Sont encore interdits sur la même base, par l’article R645-1, « (…) sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité (…) »

Le même Code pénal, dans son article 222-32, réprime l’exhibition sexuelle, notion qui remplace l’ancien « outrage public à la pudeur » à partir de 1994 : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » « Il convient à cet égard de préciser que la nouvelle incrimination est plus restrictive que pour le délit d’outrage public à la pudeur, puisqu’elle exige que l’acte soit imposé à la vue d’autrui d’une part et commis dans un lieu accessible aux regards du public d’autre part. » (Wikipédia).

Pour finir, l’article 227-24 réprime »Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. » Très récemment, une municipalité a ainsi refusé d’exposer des œuvres artistiques jugées pornographiques. Dans l’audiovisuel, c’est le CSA qui est chargé de faire respecter la loi.

 

Existe-t-il une excuse d’humour ?

Nous en arrivons (enfin !) à notre question. Existe-il dans la loi une excuse d’humour ? Un cas est célèbre, celui de Patrick Sébastien. En 1995, pour une émission de télévision, il se grime en Jean-Marie Le Pen et reprend Patrick Bruel dans une version modifiée, intitulée « Casser du Noir » avec les paroles que l’on imagine. Résultat : tollé médiatique et Sébastien fut condamné en cassation, alors que la Cour d’appel l’avait relaxé. Bien sûr, personne ne pouvait soutenir sérieusement que cet animateur était raciste, alors que toute sa vie montrait le contraire. Mais la question n’est pas là. Avait-il incité à la haine raciale ?

Regardons l’argumentaire de la Cour de Cassation. Elle insiste sur le fait que l’aspect « second degré » du texte est important. Car en effet, pris au premier degré, « le texte de la chanson incriminée contient les éléments constitutifs du délit ». Dans ce cas « la seule question est de savoir si, comme les prévenus le soutiennent, ce texte doit être pris au « deuxième degré »». Or, par quels moyens peut-on être assuré qu’un texte doit être pris au second degré ? Il faut que ce soit explicite, répond la Cour, « que ce sens différent du sens littéral [soit] le résultat, soit d’une action directe par un avertissement explicite donné par l’auteur au spectateur, soit d’une action indirecte résultant de la mise en scène ».

On notera cette seconde phrase : le second degré peut provenir « soit d’une action directe par un avertissement explicite donné par l’auteur au spectateur » (Attention, ceci est une blague), « soit d’une action indirecte résultant de la mise en scène ». Ainsi, si un humoriste de métier fait, lors d’un spectacle, une blague raciste, il ne sera probablement pas condamné puisque le fait même de se trouver dans un spectacle d’humour inclus une mise en scène de facto « second degré ». Stéphane Guillon en est l’exemple parfait. Il est intéressant de noter, d’ailleurs, l’argumentation de Jean-Michel Royere pour qui les blagues sur les handicapés sont acceptables dans un cabaret « parce que l’on est venu pour cela et on est en comité restreint», autrement dit parce que le second degré est évident, « mais qui sont inacceptables sur une radio de grande écoute », sur laquelle 5 minutes avant on parlait très sérieusement de politique.

Mais alors, pourquoi la Cour de cassation condamna Patrick Sébastien ? Eh bien justement, elle lui reproche un aspect « second degré » discutable : « il ressort du contexte dans lequel la séquence litigieuse s’est déroulée que, contrairement à ce qui est soutenu par les prévenus, on ne se trouve pas dans un registre purement fantaisiste mais dans un cadre hybride où le débat politique est très présent; (…) qu’en fait, l’émission a tourné, de façon implicite, à un débat sur les opinions concernant les étrangers ; » (…) « que, sans doute, elle est parodique, mais rien n’est fait pour prendre une distance à son égard » (…) « que, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, rien n’a été fait pour que le téléspectateur ait une interprétation « au second degré » de cette séquence ainsi que du texte incriminé; ».

Par ailleurs la Cour retient l’intention volontaire d’inciter à la haine raciale et à la discrimination, élément essentiel du délit car « il ne s’agit pas d’une émission en direct, mais d’une production préparée et préenregistrée, et énoncent qu’en diffusant une telle séquence, qui n’est pas le fruit d’improvisations mal contrôlées ».

D’autres cas auraient pu être évoqués : plus récemment, c’est Laurent Gerra qui a été condamné pour un sketch sur la famille Le Pen utilisant le nom d’une mineure, la Cour estimant que, même si cette fois l’humour était explicite (il s’agissait d’une émission satirique), l’excuse d’humour ne pouvait être invoquée dans une parodie comportant des atteintes à la vie privée où l’enfant mineur était facilement identifiable.

 

Conclusion

Non, en France, on ne peut pas tout à fait rire de tout. Certes, même une blague clairement raciste est permise, à condition de montrer de façon explicite qu’on se situe dans le registre de l’humour, que ce soit clair pour l’auditoire. Et un engagement antiraciste connue n’est pas suffisant. Ce qui exclut beaucoup de situations, à l’exception des spectacles d’humour, les sketchs dans les émissions satiriques, les journaux humoristiques, etc. En France, l’humour est faiblement restreint. On peut presque rire de tout. Mais il est quand même restreint.

***

Dans une seconde partie, nous parlerons du point de vue moral : si, légalement, on peut presque rire de tout, qu’en dit l’éthique ?

 

 

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