Noor PV II, la désillusion !

 

Noor PV II, la désillusion !

Economie 14 août 2021
 


Noor PV II, la désillusion !

Le secteur privé des EnR déchante depuis le lancement de l’appel d’offres de Noor PV II en haute tension. Même divisé en lots, ce projet demeure hors d’atteinte.

Du point de vue de l’industrie locale des énergies renouvelables, constituée à plus de 80% de PME, le futur ne se présente plus sous les meilleurs auspices. Elle déchante depuis le lancement de l’appel d’offres de Noor PV II, dont les dernières soumissions devaient se faire avant le 31 juillet dernier. Ce projet était censé dans un premier temps être la solution au fâcheux décalage entre les mégaprojets de Masen et la capacité actuelle des industriels nationaux. De 400 MW, Noor PV II est normalement conçu de telle manière à ce que les industriels puissent trouver chaussure à leur pied. Mais, ne cessent-ils de répéter, ce projet ne sera pas le point de départ de leur intégration dans la stratégie nationale relative aux énergies renouvelables, à moins que l’on corrige le tir. 

 

Comment ? En accélérant la finalisation de l’arsenal juridique, notamment la loi 13-09 relative aux énergies renouvelables, devant être modifiée par la loi 40-19. Cette dernière ouvrira le marché de la moyenne tension aux opérateurs nationaux. Autre texte de loi problématique, l’avant-projet de loi sur l’autoproduction de l’énergie électrique, attendu aussi par les opérateurs avant son lancement en mars dernier, a quelque part déçu. Il musellera davantage les opérateurs, disent-ils, devant présenter des garanties technologiques pour ne pas perturber le réseau national. En gros, on craint que l’injection dans le réseau national se passe mal.
Le saucissonnage n’a pas servi
À la demande de l’industrie locale, Noor PV II a été saucissonné lors de l’appel d’offres en lots, lesquels varient entre 20 et 90 MW. Mais cela n’arrange pas les choses pour les opérateurs nationaux, toujours pas assez costauds pour soumissionner. Même s’il y a également des lots d’une capacité entre 12 et 20 MW, cela ne servira pas à réduire l’écart. En chiffres, un lot de 100 MW nécessite, grosso modo, un investissement de 800 millions de dirhams, comme nous l’explique Mohamed Lasry, directeur général de Cleanergy, membre de l’Amisole (Association marocaine de l’industrie solaire et éolienne). Les dés sont ainsi très vite jetés. «Ce projet ne pouvait se faire que dans le cadre d’une alimentation en moyenne tension. Or, le cahier des charges qui nous a été remis s’adresse à des clients en haute tension. Cela est un vrai problème, car les clients potentiels de toutes les PME du secteur sont en moyenne tension. En clair, nous n’avons pas de clients», nous précise Mohamed Lasry. On se retrouve ainsi face à un mur. «Les clients potentiels sont soit des clients de l’ONEE, soit des clients qui disposent déjà de prix très attractifs. Le risque de laisser des plumes dans ces marchés est irrévocable», poursuit le DG de Cleanergy.
Sur cette question de moyenne tension, il y a un consensus au sein de l’industrie: Noor PV II a failli. Selon un autre opérateur, la demande, provenant de clients branchés sur le réseau de la moyenne tension, ne trouvera pas d’offre. Résultat, avant le 31 juillet dernier, date limite de la réception des plis, toutes les soumissions ont dû se faire en visant les clients en haute tension, très peu nombreux au Maroc. «Ces clients ont déjà des fournisseurs éoliens, ce qui fait que Noor PV II entrera en compétition avec les projets éoliens très avantagés en matière de coût», poursuit un opérateur qui a requis l’anonymat.
Par ricochet, cela ne permettra pas d’élever le taux d’intégration locale, un leitmotiv au sein de toutes les stratégies industrielles nationales. Composante importante du programme, ce taux pèse dans l’évaluation des offres et doit dépasser 20% de la note et l’attribution des lots. Pour cela, les soumissionnaires sont obligés de prévoir un plan d’intégration industrielle, nécessaire pour pouvoir soumissionner. Les équipements devront en outre comporter une valeur ajoutée locale d’au moins 50%, ajouté à l’obligation que la construction des centrales doit se faire par des sociétés de droit marocain. «Cela aurait été encore mieux de fixer un taux d’intégration minimal éliminatoire aux développeurs. 

 

Le système adopté lors de l’appel d’offres accorde plus de notes aux soumissionnaires, mais si, par exemple, ils se mettent tous d’accord sur un taux de sourcing local zéro, ils ne seront pas éliminés», dit le même professionnel sous couvert d’anonymat. Quoi qu’il en soit, il est très difficile de connaître réellement le taux d’intégration actuel dans le marché des énergies renouvelables. Dans le solaire, les panneaux, importés en majorité, représentent environ 45% des budgets.
Vous avez dit préférence nationale !
Les opérateurs rencontrent également des problèmes de financement et de références exigées par l’appel d’offres de Noor PV II. Selon Mohamed Lasry, le même problème se pose aux opérateurs internationaux lors de la soumission aux marchés africains. «Des références nationales sont exigées alors que nous avons du mal à décrocher des marchés chez nous, par manque de capacité», se lamente-t-il. En effet, pour l’industrie nationale constituée en grande partie de jeunes sociétés, aspirer à des marchés étrangers devient presque chimérique, d’autant plus qu’elle ne s’est jamais faite une place sous le soleil des mégaprojets de Masen.
La désillusion de Noor PV II s’ajoute à l’absence de préférence nationale, pouvant être accordée aux plaques photovoltaïques produites au Maroc. Les producteurs locaux, et ceux de plusieurs pays d’ailleurs, ne font pas le poids devant les producteurs asiatiques, chinois en premier, dotés de capacités de production gigantesques et couvrant l’ensemble des marchés mondiaux. Cela est une question -évidente- de volume de production. Pour Mohamed Lasry, le Maroc a raté ce virage de préférence nationale, il y a dix ans. «À cette époque, les prix étaient élevés partout dans le monde. Si on avait encouragé les industriels qui avaient investi en production des panneaux solaires à l’époque, cela aurait permis d’avoir des capacités installées importantes. Les producteurs chinois créés il y a dix ans génèrent jusqu’à 10 milliards de watts annuellement, contre un marché national de moins de 100 millions de watts. Cela est trop tard», souligne-t-il.
Pour rappel, les membres de la Fenelec (Fédération nationale de l’électricité et de l’électronique) avaient mené une bataille acharnée pour que les droits de douane servant à fabriquer les panneaux solaires soient alignés à l’importation de ces derniers. Ils n’avaient pas obtenu gain de cause. «Les intrants étaient taxés à 25%, contre 2,5% pour les panneaux. On imagine facilement que l’accompagnement de l’industrie locale n’était même pas dans l’esprit des décideurs», précise Mohamed Lasry. 

Conséquemment, cela sera plus utile de développer l’ingénierie et l’intégration. «La valeur ajoutée du secteur devrait être dans l’ingénierie, le développement et l’intégration de systèmes et non de produits. Pour les produits manufacturés, il est préférable de se concentrer sur les nouvelles technologies que d’essayer de concurrencer des industriels sur des produits ayant déjà largement atteint leur maturité», précise Mohamed Lasry.
Mais il ne faut pas l’oublier, ce projet avait suscité beaucoup d’engouement pour plusieurs raisons. 

Il a mis à la disposition du secteur privé national une multitude d’avantages, comme des sites pré-équipés, des infrastructures d’interconnexion, dont l’accès au réseau d’électricité national à accorder par l’ONEE, sans oublier des études de qualification, notamment celles relatives à la topographie et à la mesure des données solaires. 

 

La plus grande spécificité de Noor PV II réside dans le fait que ses sites sont éparpillés sur tout le territoire national, de Guercif dans l’Oriental à Boujdour au Sahara. Les plus grands sites, divisés de surcroît en lots, sont ceux d’Ain Béni Mathar (148 MW), Sidi Bennour et Kalaâ Sraghna (48 MW). 

En ce qui concerne la construction, les entreprises locales représentent environ 15% de la note. On serait tenté de dire que cela n’est pas mal pour un mégaprojet.

 

Hicham Ait Almouh  

 

 

 

 

 

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