La lutte contre l’addiction aux drogues nécessite une stratégie nationale !
«Partir en guerre contre l’addiction aux drogues». C’est ce que recommande Nabila Mounir, présidente de l’Association marocaine des victimes de dépendances (AMVD), qui interpelle les pouvoirs publics pour la mise en place d’une stratégie nationale. «Cela s’impose car aujourd’hui, la vente du cannabis et des psychotropes s’est banalisée dans la société, c’est une réalité palpable. Les jeunes sont les plus touchés puisque les dealers arrivent à écouler leurs produits dans les établissements scolaires.
Cela s’impose aussi parce que la dépendance à l’une des substances narcotiques met en péril la vie d’une personne et elle a également des répercussions sur son entourage, sa famille, particulièrement les mamans. Celles-ci souffrent autant que leurs enfants victimes d’une dépendance», explique Mme Mounir pour qui la stratégie de lutte contre les addictions à la drogue doit impliquer plusieurs départements ministériels, essentiellement les ministères de l’intérieur, de la justice, de l’enseignement et de la santé. L’intervention des associations viendrait compléter l’action des pouvoirs publics. Ainsi, la stratégie porterait sur des mesures de renforcement des dispositifs de sécurité devant les établissements scolaires car c’est là que se trouvent les consommateurs potentiels des drogues et de la cigarette. Selon les psychologues et les psychiatres, la dépendance est plus répandue parmi les jeunes car ceux-ci peuvent céder très vite et plus facilement à la tentation. «En effet, les changements biologiques et surtout psychiques subis pendant cette phase rendent l’individu plus vulnérable. Les risques d’un potentiel basculement dans le monde de l’addiction sont beaucoup plus importants par rapport à d’autres phases dans la vie de l’homme», avance un psychiatre au CHU de Casablanca.
Par ailleurs, la stratégie permettrait de revoir l’organisation dans le milieu carcéral car, estime Nabila Mounir, «les mineurs et les jeunes qui sont emprisonnés sortent souvent avec une addiction aux drogues, en particulier aux substances dures car ils côtoient des adultes dépendants et sont approchés par des dealers à l’intérieur même des prisons. Il faudrait remédier à la surpopulation des prisons et aussi faire le tri parmi les catégories de prisonniers afin d’éviter des contaminations diverses…».
Aussi, il faudrait également revoir la législation relative à la vente et à la consommation de la drogue qui est, de l’avis des associations, aujourd’hui dépassée. Sur le plan sanitaire, des mesures doivent être prises pour permettre une meilleure prise en charge des personnes soufrant d’une dépendance à la drogue.
Dans le milieu associatif, l’idée de la mise en place d’une stratégie de lutte contre la drogue est largement soutenue car il s’agit d’un réel fléau au niveau de la société bien que l’absence de statistiques précises sur l’addiction aux drogues et la prévalence du tabagisme ne permet pas d’avancer des estimations précises. «Selon les chiffres déclarés, la prévalence globale du tabagisme est de l’ordre de 28%. En ce qui concerne les drogues, l’observatoire national compterait 800000 toxicomanes. Ces indicateurs ne reflètent pas exactement l’état des lieux réel car, partant de notre travail sur le terrain, notamment dans les établissements scolaires, les entreprises, les quartiers et les cafés, les statistiques sont plus alarmantes», indique El Hassan Baghdadi, président de l’Association marocaine de lutte contre le tabagisme et les drogues.
La cigarette, une voie d’entrée vers d’autres drogues…
Cette association, créée en juillet 2009, focalise ses actions sur trois domaines: l’information, la prévention et le traitement. «Ainsi nous œuvrons pour informer le public et notamment les jeunes sur les véritables méfaits du tabac et les conséquences néfastes du tabagisme et des drogues. Mais aussi pour prévenir et avertir les non-fumeurs sur les politiques marketing trompeuses des industries de tabac», précise son président. La sensibilisation aux méfaits du tabagisme est donc le premier objectif de cette association et représente, selon la présidente de l’Association marocaine des victimes des dépendances, une «première étape cruciale dans la démarche car fumer est aujourd’hui banalisé et largement accepté par une majorité de familles. Or, la cigarette est également dangereuse et est une porte vers d’autres drogues. Il faut donc également se mobiliser». En effet, dans le milieu médical, on souligne le danger de la cigarette dans la mesure où «le fumeur peut utiliser également le cannabis, l’alcool ou même les psychotropes». Selon les associations, les drogues les plus utilisées sont le cannabis, lkala, nfha et le karkoubi.
Comment devient-on dépendant ? Et quelle prise en charge pour les personnes concernées et leur entourage ?
Les praticiens parlent de trois étapes de la dépendance: la première, connue sous la dénomination de l’exploration, concerne le premier contact avec une drogue. Séduits par le plaisir procuré, dès la première fois, par ces substances, les consommateurs commencent à les utiliser plus souvent tout en augmentant à chaque fois les doses pour avoir le même effet d’extase. Ils deviennent ainsi dépendants et franchissent une deuxième étape. Apparaissent alors des comportements agressifs en situation de manque. Enfin, si la victime n’est pas prise en charge et ne bénéficie pas de traitement, elle entre dans une troisième phase qui est celle de l’hallucination. Des maladies mentales et un état hallucinatoire qui peuvent conduire le toxicomane à commettre des crimes. Une situation extrême que les associations tentent d’éviter aux jeunes en leur proposant un soutien et un accompagnement. C’est pourquoi elles mènent des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires et parfois même dans les écoles primaires. Dans le milieu associatif, on estime que 50% des jeunes collégiens et lycéens se droguent et 25% le font de manière régulière.
L’hospitalisation dans un centre public d’addictologie coûte 500 DH par jour
«Nous sommes intervenus dans une école primaire dans la préfecture d’Ain Chock car parfois la prise de drogue commence dès l’âge de 10 ou 12 ans !», déplore Nabila Mounir. Dans le milieu associatif, on estime que 50% des jeunes collégiens et lycéens se droguent et 25% le font de manière régulière. C’est pourquoi l’AMVD, fondée en janvier 2005, place la sensibilisation et l’information des jeunes au centre de son plan d’action. Celui-ci est mené en partenariat avec la Fondation Mohammed V pour la solidarité et l’Initiative nationale du développement humain et pour toucher la population concernée en premier lieu. Les actions se font dans les établissements scolaires, les maisons de jeunes et dans les prisons à Casablanca et sa région. «Nous avons créé des centres d’écoute dans les écoles pour recevoir les jeunes et aussi les parents, en particulier les mamans, pour l’écoute, l’information et la sensibilisation. Depuis notre création, nous avons reçu 18 000 personnes. Et dans le milieu carcéral, nous avons touché 20 000 jeunes détenus», avance Mme Mounir. De son côté, l’Association marocaine de lutte contre le tabagisme et la drogue (AMLCTD) mène campagne contre l’addiction via l’organisation de séminaires de sensibilisation, des journées d’études, des émissions télévisées ainsi que des actions dans les établissements scolaires et dans la rue. Mais au-delà de la prévention, les deux associations interviennent dans la prise en charge et le traitement des addictions. Si l’AMVD n’a pas pu, pour l’heure, réaliser son projet de construction d’un centre de prise en charge, l’AMLCTD a pu doter, en 2011, la ville de Meknès d’un centre d’addictologie, offrant ainsi un accompagnement et une aide aux toxicomanes pour leur sevrage. «C’est important pour nous, car pour l’instant l’offre reste limitée au Maroc. Les centres spécialisés mis en place par le ministère se comptent sur les doigts d’une main et la prise en charge n’est pas gratuite. La capacité existante ne dépasse pas 32 lits !», dit-on à l’association. Abondant dans ce sens, Mme Mounir souligne que la non-gratuité de la prise en charge dans ces centres exclut les jeunes dépendants issus de milieux défavorisés. «La prise en charge coûte 500 dirhams par jour pour une hospitalisation, en plus de 100 dirhams pour la consultation. Sans compter qu’il faut acheter les médicaments. Ceux-ci coûtent entre 200 et 400 dirhams la boîte et le traitement nécessite deux boîtes par mois.
Il est important de noter qu’actuellement ces centres sont surtout fréquentés par les familles ayant les moyens de payer et qui jusqu’ici recouraient aux centres privés de désintoxication où le coût d’une hospitalisation varie de 3 000 à 4 000 dirhams par jour», explique Nabila Mounir. Elle ajoutera que «son association a milité, depuis 2010, pour l’élargissement du Ramed à la prise en charge des dépendants. Ce qui a été décidé par le ministère de la santé mais, en raison de l’insuffisance du budget du régime, les Ramédistes sont souvent sur la liste d’attente et ne peuvent que rarement accéder aux soins !».
Nouvelles addictions ou aussi addictions sans drogue font, depuis quelques années, leur émergence au Maroc. L’addiction se définit comme la dépendance d’une personne à une substance ou une activité génératrice de plaisir, dont elle ne peut plus se passer en dépit de sa propre volonté. Ainsi, outre l’addiction à une drogue douce ou dure, il existe de plus en plus une dépendance sans substances, notamment les addictions aux jeux, à Internet, au sexe, aux nouvelles technologies…
Selon les spécialistes de la question, il s’agit de nouveaux comportements dont le dépistage, la catégorisation clinique ainsi que leur thérapie posent problème et nécessitent tout un débat.
Concernant le cas des addictions au sexe, il s’agit essentiellement de personnes dépendantes aux sites pornographiques sur Internet. Selon les médecins, la personne dépendante n’a pas spécialement une vie sexuelle intense, mais elle souffre d’une compulsion dont elle ne peut se débarrasser. Et si cette pratique ne peut être arrêtée, il en découle une destruction de la vie personnelle de la personne concernée. Le diagnostic de cette dépendance reste encore laborieux et même lorsqu’il est établi, la prise en charge nécessite plusieurs mois, voire des années de suivi. Mais, aujourd’hui, selon les praticiens, il faut d’abord oser franchir la première étape et en parler. Ce qui demeure difficile dans la société marocaine où la simple sexualité est encore un sujet tabou. La dépendance à internet constitue une deuxième nouvelle addiction. Il s’agit d’une consommation de quatre heures en moyenne d’internet quotidiennement. La dépendance à internet peut concerner le média en lui-même ou encore les activités y afférentes, notamment les jeux en ligne, les jeux d’argent, les sites pornographiques ou également les achats en ligne.
Enfin, les médecins citent les addictions aux jeux vidéo. Les sujets victimes de cette dépendance sont détectées suite à des changements importants dans leur vie quotidienne. Ainsi, leur addiction peut aboutir à briser leur vie de famille ou de couple, l’abandon de certaines activités ou hobbies comme le sport, la musique, la lecture, le cinéma ou le sport et plus grave encore l’abandon scolaire. Un joueur pathologique peut se retrouver, à terme et à défaut de prise en charge, dans une situation d’isolement. Globalement, les médecins, psychologues et psychiatres s’accordent à dire que la prise en charge de ces dépendances connaît quelques limites relevant tout d’abord de la volonté de la personne elle-même qui refuse ou ne peut en parler. Ensuite, la perception de la gravité de ces addictions nouvelles qui peuvent être aussi nocives et dangereuses que les dépendances aux drogues ou à la cigarette. Elles peuvent conduire, en effet, à la destruction de la personne et son isolement de son entourage. La priorité est surtout accordée aux addictions aux drogues alors que dans le milieu associatif on estime que le danger est plus grand…
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