Que dit le mouvement de protestation contre le Premier ministre du climat politique et social dans le pays ?
Maroc : Que dit le mouvement de protestation contre le Premier ministre du climat politique et social dans le pays ?
"#Dégage_Akhannouch". Sur les réseaux sociaux, des centaines de milliers d'internautes marocains réclament le départ du Premier ministre Aziz Akhannouch. Comment comprendre ce mouvement ? Que révèle-t-il du climat social dans le pays ? Réponse avec le Professeur David Goeury, géographe, spécialiste du Maroc contemporain, membre du laboratoire Médiations Sciences des liens, sciences de lieux de l'Université de la Sorbonne.
Le Premier ministre est accusé par les participants de "profiter" de la flambée des prix du carburant, rapporte l'AFP.
Il est l'actionnaire principal de l'entreprise Afriquia leader du marché marocain des hydrocarbures avec les géants Total et Shell, souligne l'AFP.
Il lui est également reproché d'incarner la collusion entre les milieux d'affaires et la classe politique, explique le politologue Mohamed Chakir cité par l'AFP. Depuis le début du mouvement sur les réseaux sociaux, Aziz Akhannouch a choisi de ne pas répondre pour l'instant à ces critiques.
Grand vainqueur des élections législatives de 2021, Aziz Akhannouch est nommé Premier ministre en octobre 2021. Le patron du parti Rassemblement national des indépendants (RNI) est alors âgé de 60 ans.
Aziz Akhannouch est un ancien homme d'affaire à la tête de la holding Akwa Group fondé par son père et un associé en 1932. Cette holding opère dans le domaine des hydrocarbures et l'immobilier, selon l'AFP. Sa fortune personnelle est estimée à 2 Milliards de Dollars américain selon le magazine Forbes relayé par l'AFP.
Aziz Akhannouch entre en politique en 2007 après avoir été nommé ministre de l'Agriculture, sous les couleurs du RNI. Discret dans les médias, il conserve ce poste jusqu'à la victoire du parti en 2021. Immédiatement après sa nomination, le nouveau Premier ministre annonce "entamer un processus immédiat de retrait de toute gestion au sein du holding familial pour se consacrer entièrement à ses nouvelles fonctions".
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TV5Monde : comment s'est crée ce mouvement"#Dégage Akhannouch" ?
Professeur David Goeury : Attention, dans un premier temps il est nécessaire de différencier mouvement sociaux et mouvement sur les réseaux sociaux. Ces deux phénomènes ne sont pas identiques et la corrélation entre les deux n’est pas systématique. Un mouvement social se manifeste par des actions concrètes dans l’espace public, tandis qu’un mouvement sur les réseaux sociaux traduit dans un premier temps une protestation.Dans certains cas, les protestations sur les réseaux peuvent donner lieu à des actions concrètes. En 2018 par exemple, le mouvement de boycott commence par des protestations sur les réseaux sociaux et se traduit ensuite par un comportement des consommateurs marocains à l’égard des produits cibles. Le mouvement sur les réseaux "#Dégage Akhannouch" ne s’est pour l’instant pas traduit par la démultiplication de manifestations sur le territoire marocain.
Le Maroc a déjà connu par le passé des vagues de protéstations liées au coût de la vie. En avril 2018, une campagne de boycott cible les produit Danone, Sidi Ali ainsi que l’entreprise Afriquia dont Aziz Akhannouch est l'actionnaire majoritaire. Une enquête publiée par le journal marocain l’économiste affirme alors que 57% des Marocains informés du mouvement le suivent "en tout ou partie". Cette campagne engendre des conséquences économiques et politiques. Le ministre des Affaires générales de l’époque, Lahcen Daoudi, doit démissionner après avoir participé à une manifestation contre le boycott.
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Durant les mêmes élections, à l'inverse, le parti islamiste du PJD
(Parti de la Justice et du développement) subit un effondrement
électoral sans précédent et perd son groupe parlementaire. Cette défaite
entraine une réorganisation politique au sein du parti, mais elle
n’empêche pas les militants du PJD de s’exprimer massivement sur les
réseaux sociaux et de relayer les mouvements de protestations.
Il peut y avoir un échec électoral dans les urnes mais les mots d’ordre des partis perdants peuvent être relayés sur les réseaux sociaux.David Goeury, Géographe spécialiste du Maroc contemporain.
Par ailleurs, une partie de la gauche a également subi une défaite
électorale lors de ces élections. Cette seconde force politique, portée
notamment par le Parti du progrès et du socialisme (PPS), relaye
également les protestations.
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Le "dégagisme" est une expression familière utilisée une première fois en 2010 en Tunisie lorsqu'une partie de la population manifeste au cris de "Dégage Ben Ali". Ce terme est employé à nouveau lors des "printemps arabes" en 2011. Les manifestants d'Égypte, de Libye ou du Yémen par exemple appellent ainsi au retrait de l'ensemble de leurs classes politiques.
TV5Monde : qui sont les Marocains mobilisés autour de ce mouvement sur les réseaux sociaux ?
Beaucoup de Marocains se déplacent en transports collectifs, et très peu de ménages ruraux sont équipés d’une voiture dans le pays. Les ménages équipés d'une voiture sont généralement des ménages urbains. Ils font partie d’une classe moyenne qui subit de plein fouet les effets directs de l’inflation.
Plusieurs études du haut-commissariat au plan et du conseil économique social et environnemental démontrent combien cette classe moyenne urbaine est endettée. Elle cumule généralement un crédit logement, un crédit automobile et parfois un crédit à la consommation. Cette classe moyenne urbaine s’est particulièrement abstenue au cours des élections de 2021. Elle ne se reconnaît pas dans le gouvernement et se montre particulièrement critique à son égard. Cet électorat très urbain est donc celui qui se mobilise principalement sur les réseaux sociaux.
La défiance de cet électorat s’explique par les choix politiques entrepris par le gouvernement. Les politiques publiques mises en place aujourd’hui s’adressent en priorité aux classes sociales les plus fragiles du pays. Tout d’abord, le gouvernement a répondu à la mobilisation des transporteurs face à la hausse des prix de l’essence. En agissant ainsi, il empêche l’inflation d’un grand nombre de produits et protége ainsi la part de la population la plus démunie.
En mars 2022, des transporteurs routiers marocains entament une grève de cinq jours à la demande de plusieurs syndicats. Ils exigent le plafonnement du tarif des carburants. L'inflation engendrée par la montée des prix de l'essence entraine par la suite des manifestations éparses à travers le pays.
En réponse à ces mouvements, le gouvernement a déboursé environ 1,4 milliard de dirhams (environ 130 M EUR) depuis avril pour aider les transporteurs routiers, selon l'AFP. L'exécutif a également doublé la dotation des subventions du gaz, de la farine et du sucre à 32 milliards de dirhams (environ 3 milliards d'euros) pour 2022.
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TV5Monde : pensez-vous que ces mobilisations sur les réseaux puissent se traduire par des mobilisations sociales ?
Par le passé, le Maroc a connu des mobilisations, celles d'Al Hoceïma entre 2016 et 2017 ou celles de Jérada en 2017 par exemple. Mais ce sont des villes moyennes de quelques dizaines de milliers d’habitants et le gouvernement a pu apporter des réponses. Cependant, la capacité de réponse du gouvernement à un éventuel mouvement plus élargi pose encore question.
En ce moment, le Maroc essaye de défendre une image internationale
marquée par la stabilité. Toutes les réformes depuis 20 ans consistent à
attirer des investissements étrangers dans tout le pays. Un mouvement
social accompagné de débordements pourrait entrainer un ralentissement
de l’activité touristique et un ralentissement des investissements
étrangers. Ce sont donc les classes moyennes urbaines qui ont le plus à
perdre dans un contexte d’instabilité.
Les classes moyennes salariées qui travaillent dans des entreprises
intégrées dans un cadre international seraient les premières impactées.
Les opportunités d’emplois pourraient se réduire, il est aussi possible
d’envisager que ces entreprises mettent fin à leurs activités en cas de
crise prolongée.
par TV5MONDE
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