Mettre le système alimentaire en contexte.
Le 21 septembre 2022
Innover et trouver de meilleures façons d'offrir des aliments sains, écologiques et durables, c’est une chose. Mais comprendre ce qui y mène, c’en est une autre, selon une étude de l'UdeM.
Selon une nouvelle étude de l'Université de Montréal, les innovations qui rendent la chaîne d'approvisionnement alimentaire plus «responsable» – c'est-à-dire respectueuse de l'environnement, bonne pour la santé publique et plus équitable pour les agriculteurs – seront plus rapides si les contextes où elles voient le jour sont mieux compris.
À cette fin, deux chercheuses de l’UdeM ont mené une vaste étude sur les systèmes d'approvisionnement alimentaire au Nord comme au Sud – au Québec et au Brésil – qui comporte un plan directeur pour améliorer la façon dont des millions de personnes mangent et boivent.
Publiée dans la revue Sustainability, l'étude a été effectuée à l'École de santé publique de l'Université de Montréal par la professeure Pascale Lehoux et la doctorante Renata Pozelli Sabio, une Brésilienne qui a fait sa maîtrise en gestion et son baccalauréat en sciences de l'alimentation dans son pays d'origine.
Les chercheuses ont fondé leurs conclusions sur 34 entrevues avec les dirigeants de 30 organisations, réparties également entre le Québec et l'État de São Paulo, qui produisent ou fournissent des aliments locaux ou biologiques, portent attention au bien-être des animaux ou ont des modèles d'affaires à vocation sociale.
Il leur a été demandé de décrire les pratiques novatrices dans lesquelles ils sont engagés ainsi que les éléments contextuels qui favorisent une approche responsable dans la manière dont ils mènent leurs activités.
Au Québec, les participants ont donné des exemples d'innovation tels que la mise en place de programmes de repas à domicile pour les personnes âgées, l'introduction d'aliments locaux ou biologiques dans les menus des écoles et des universités, l'aménagement de jardins sur les toits, la production de miel local et l'achat d'aliments non périssables en vrac.
Au Brésil, les personnes interrogées ont cité l'aide apportée aux coopératives de petits agriculteurs pour qu'ils puissent commercialiser leurs produits, l'embauche de femmes dans les zones à faible revenu pour préparer des boîtes à lunch contenant des aliments biologiques et les vendre en ligne et l'organisation d'ateliers où les gens discutent des moyens de maintenir un régime alimentaire plus sain.
Les participants ont ensuite replacé ces innovations et d'autres dans leur contexte, par thèmes:
- Certains ont cité les défis technologiques (des aliments frais qui périssent dans les marchés publics en raison du manque de chambres froides, la machinerie lourde agricole inadaptée qui compacte et détruit les sols organiques).
- D'autres ont énuméré des éléments inspirants et des contraintes biophysiques et environnementales (la déforestation qui conduit à la promotion du développement durable, la monoculture qui limite l'accès des abeilles aux fleurs sauvages).
- Certains ont rapporté des facteurs économiques (les
modèles capitalistes au Brésil qui donnent la priorité à la
commercialisation des bananes «dodues et brillantes» sans tenir compte
de la façon dont elles ont été cultivées ou les marchés publics à
Montréal où les produits biologiques locaux sont submergés par des
importations à bas prix).
- Les mesures politiques et institutionnelles ont permis à certains de profiter des programmes gouvernementaux pour engager des jeunes afin de livrer des repas aux gens âgés, tandis que la règlementation élaborée pour le système dominant a été jugée mal pensée pour promouvoir les produits locaux.
- À São Paulo, les contextes socioculturel et démographique ont permis de surmonter la résistance des fonctionnaires de la capitale à une loi fédérale visant à mettre au menu des écoles des aliments biologiques provenant de fermes familiales. Néanmoins, la sensibilisation du public à l'agriculture écoresponsable reste très faible.
- Le comportement et les régimes alimentaires des consommateurs sont souvent déterminés par le revenu; seules les classes moyennes et supérieures peuvent soutenir «une entreprise qui utilise de la main-d'œuvre locale, gère bien la terre, n'utilise pas de pesticides et crée des emplois et des revenus», comme le dit un Québécois.
- Les problèmes liés à la chaîne d'approvisionnement alimentaire peuvent entraver les pratiques responsables: par exemple, si les carottes des petits producteurs sont lavées mais non épluchées, cela peut rebuter les distributeurs; de même, il peut être difficile de trouver des aliments biologiques pour l’élevage des poulets.
- Enfin, plusieurs personnes interrogées ont indiqué que les relations interpersonnelles étaient décisives pour la mise en place et le fonctionnement d'un système alimentaire responsable, l'instauration de la confiance du champ à l'usine et de la cuisine à la table étant la clé du succès.
Pour les décideurs, les implications de ces observations et résultats sont multiples, estiment les chercheuses de l'UdeM.
«Nous leur présentons quelques façons d'examiner les dimensions contextuelles d'un problème et de trouver comment encourager tous les acteurs des systèmes alimentaires à agir de manière plus responsable», a déclaré Pascale Lehoux.
«Ils peuvent financer des programmes qui vont dans ce sens, règlementer pour mieux harmoniser le travail des grands et des petits acteurs, financer la recherche pour faire avancer la cause, promouvoir la sensibilisation et créer un consensus autour des pratiques alimentaires responsables», a ajouté Renata Pozelli Sabio.
Selon les chercheuses, «ce que le contexte nous montre, c'est qu'il n'y a pas qu'une seule voie qui nous mènera là où nous voulons être, il y en a plusieurs. Pour l'instant, le système alimentaire dominant a la priorité, mais c'est en train de changer. Un système alimentaire plus responsable émergera tôt ou tard, nous devons simplement comprendre comment».
À propos de cette étude
L’étude «How does context contribute to and constrain the emergence of responsible innovation in food systems? Results from a multiple case study», par Renata Pozelli Sabio et Pascale Lehoux, a été publiée le 25 juin 2022 dans la revue Sustainability.
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