Relations Maroc-Israël : La grande inconnue.
L’arrivée du nouveau gouvernement israélien
d’extrême droite de Benjamin Netanyahou hypothèque l’avenir de l’Accord
d’Abraham Maroc-Israël qui fête son 2ème anniversaire. Déjà, une bonne
partie de Marocains n’ont jamais vu d’un bon œil le rapprochement entre
Rabat et Tel Aviv.
Ce vendredi 6 janvier 2023, huit jours devraient être passés depuis le retour de Benjamin Netanyahou au poste de premier ministre d’Israël. D’ici là, aura-t-il reçu un message de félicitations de la part du roi Mohammed VI? Même si c’est le cas, le Souverain aura, quoi qu’il en soit, pris davantage de temps qu’avec le prédécesseur de M. Netanyahou, à savoir Naftali Bennett.
Ce dernier, qui avait pris ses
fonctions le 13 juin 2021, n’avait, pour sa part, eu à attendre que deux
jours. Dans un message où il lui avait également exprimé ses “meilleurs
voeux de succès”, Mohammed VI avait fait part à M. Bennett de “la
détermination du Royaume du Maroc à poursuivre son rôle agissant et ses
bons offices en faveur d’une paix juste et durable au Moyen-Orient, à
même de garantir à l’ensemble des peuples de la région de vivre côte à
côte dans la paix, la stabilité et la concordance”.
M. Netanyahou pourrait bien avoir lui aussi fini par
avoir droit aux mêmes égards de la part de Mohammed VI, mais ceci ne
saurait empêcher le fait que le retard pris pour prendre langue avec lui
constitue à lui tout seul un “message”. “Je ne serais pas surpris
d’apprendre que les Marocains ne se réjouissent pas de sa nomination”,
confie un connaisseur des arcanes diplomatiques de la région. “En
vérité, je ne suis pas loin de penser que c’est le cas. Il y a de
nombreux éléments qui permettent d’étayer cela”.
En mettant fin à la parenthèse de dix-huit mois qui
l’avait vu devoir céder son poste de premier ministre à M. Bennett après
plus de douze ans consécutifs au pouvoir -record dans l’histoire
d’Israël-, M. Netanyahou peut-il donc enrayer le processus de
normalisation entamé en décembre 2020 avec le Maroc? Sur une base
factuelle, d’aucuns pourraient arguer qu’il ne pourrait rien en être. A
peine installé, le ministre des Affaires étrangères de M. Netanyahou,
Eli Cohen, a par exemple d’ores et déjà annoncé la tenue au Maroc même
de la prochaine réunion du Forum du Néguev. Le rendez-vous aurait été
pris pour le mois de mars 2023. Seraient présents tous les pays ayant
participé les 27 et 28 mars 2022 dans le désert du Néguev, en Israël, au
Sommet du Néguev ayant lui-même donné son nom au forum.
En plus du Maroc et d’Israël, qui y avaient pris part,
il s’agit également du Bahreïn, de l’Égypte et des Émirats arabes unis,
trois États arabes qui ont, pareillement, des relations normalisées avec
Tel-Aviv, ainsi que des États-Unis, allié traditionnel de la capitale
israélienne qui a toujours été impliqué dans sa légitimation au sein de
la région, y compris vis-à-vis du Royaume.
Accords bilatéraux
Ceci dit, il faut souligner que la partie marocaine
n’a, pour sa part, pipé mot et que l’on n’en est pour l’instant qu’à des
annonces israéliennes. Mais de toute façon, rien ne donne l’impression
que la normalisation ne continue pas bon train. On peut également citer
les nombreux accords bilatéraux pour l’heure pas remis en question. Deux
viennent même d’ailleurs d’être ratifiés le 20 décembre 2022 par le
parlement, sous les chahuts, certes, des représentants des syndicats (le
premier porte sur la coopération économique et commerciale, et le
second sur les services aériens). Sans compter qu’il y a aussi ce que
l’on pourrait qualifier de normalisation “humaine”. Cette année 2023,
quelque 200.000 touristes israéliens pourraient se rendre au Maroc.
D’origine marocaine, une partie d’entre eux seraient
même “de plus en plus nombreux”, à en croire des déclarations faites ce 3
janvier 2023 par le secrétaire général du Conseil des communautés
israélites du Maroc, Serge Berdugo, au journal électronique “Médias24”,
“à déposer des demandes (...) pour obtenir la nationalité marocaine”. A
cet égard, il faut rappeler qu’une des bases invoquées pour légitimer la
normalisation avec Israël avait été les “liens spéciaux qui unissent la
communauté juive d’origine marocaine, y compris en Israël, à la
personne de Sa Majesté le Roi” (lors du Sommet du Néguev, le ministre
des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait notamment indiqué que “la
décision de reprendre les relations bilatérales entre le Maroc et
Israël n’est pas une décision opportuniste” et que “c’est une conviction
et une décision basée sur les relations de longue date qu’entretiennent
le Maroc et Israël” mais aussi “le roi Mohammed VI et la communauté
juive”).
Néanmoins, il serait en même temps sans doute naïf de
croire que la mandature de M. Netanyahou ne saurait avoir aucun impact
sur les relations bilatérales et ne pourrait pas pousser le Maroc à les
rompre, si ce n’est à au moins revoir leur niveau. Comprenant les
formations extrémistes du Likoud, du Shas, de Judaïsme unifié de la
Torah, du Parti sioniste religieux, d’Otzma Yehudit et de Noam, le
gouvernement que mène depuis le 29 décembre 2022 “Bibi”, comme on le
surnomme dans les médias, est, ainsi, le plus à droite depuis la
proclamation de l’État d’Israël en mai 1948. Et l’effet direct en est un
sionisme expansionniste revigoré qui ne fait pas le moindre cas des
droits des Palestiniens. Et ce n’est même pas une interprétation: la
veille de l’investiture du nouveau gouvernement, le Likoud, dont est
d’ailleurs issu M. Netanyahou, avait affirmé par le biais d’un
communiqué que «le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur
toutes les parties de la Terre d’Israël (sic) et que “le gouvernement
encouragera et développera le peuplement dans toutes les parties de la
terre d’Israël -en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et
en Samarie (Cisjordanie occupée, ndlr)».
Sionisme expansionniste
Même les États-Unis ont pris leur distance.Par la voix
du président Joe Biden, qui s’est certes targué de son amitié “depuis
des décennies” avec M. Netanyahou pour sans doute ne pas s’attirer les
foudres des lobbys qui le soutiennent outre-Atlantique, le pays de
l’Oncle Sam a réitéré qu’il “continuer[a] de soutenir une solution à
deux États et à s’opposer aux politiques qui menacent la viabilité ou
contredisent nos intérêts et valeurs partagés”. La réponse du
gouvernement Netanyahou? Le 3 janvier 2023, le ministre de la Sécurité
intérieure israélien et président par ailleurs d’Otzma Yehudit, Itamar
Ben-Gvir, reconnu pour son racisme anti-arabe décomplexé, se rendait sur
l’esplanade des Mosquées, dans l’Est de la ville sainte d’Al-Qods, dans
un geste de revendication claire du troisième lieu saint de la religion
musulmane.
Beaucoup de pays musulmans n’ont ainsi pas manqué de
condamner cette provocation. La Jordanie, dont les rois ont une vocation
de gardiens des lieux musulmans et chrétiens à Al-Qods, a notamment
convoqué l’ambassadeur d’Israël à Amman pour lui exprimer ses
protestations. Aussi, le Conseil de sécurité devait se réunir ce jeudi 5
janvier 2023 pour aborder une “violation israélienne du statu
quo”. Quelques heures après le déplacement de M. Ben-Gvir sur
l’esplanade des Mosquées, le secrétaire général de l’Organisation des
Nations unies (ONU), Antonio Guterres, avait par la voix de son
porte-parole, Stéphane Dujarric, “appel[é] toutes les parties à
s’abstenir de prendre des mesures qui puissent faire monter les
tensions”.
Faire monter les tensions
Si, à l’inverse de nombreux pays musulmans, le Maroc n’a
pas fait entendre sa voix par des moyens officiels, des sources
autorisées au sein du ministère des Affaires étrangères ont toutefois
contacté de nombreux médias nationaux pour condamner “l’assaut de
l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa”. Elles ont également souligné que le
Maroc, “dont le monarque est le président du Comité Al-Qods, appelle à
la préservation du statut juridique et historique d’Al-Qods et d’Al-Aqsa
et à limiter les escalades et les actes unilatéraux et provocateurs”.
Cette réserve dans la réaction est-elle à mettre, comme
d’aucuns le croient, sur le compte d’une volonté du Maroc de ne pas
insulter l’avenir et laisser les canaux de communication ouverts avec le
gouvernement Netanyahou, et cela dans l’intérêt des Palestiniens
eux-mêmes? Car il faut rappeler que c’est par le truchement de ces mêmes
canaux que Mohammed VI avait par exemple pu obtenir le 15 juillet 2022
de la part du gouvernement Bennett l’ouverture sans interruption du
poste-frontière Allenby/Roi Hussein qui relie la Cisjordanie et la
Jordanie. S’exprimant à cette occasion, la ministre des Transports
israélienne, Merav Michaeli, avait alors remercié Mohammed VI et M.
Biden “pour leur engagement et leurs efforts continus en faveur de la
paix et de la prospérité au Moyen-Orient”, comme l’avait rapporté un
communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Toutefois, il faut rappeler que le Maroc ne s’était pas
retenu de condamner la prise d’assaut du 15 avril 2022 de la mosquée
d’Al-Aqsa par les forces d’occupation israéliennes, qualifiées en tant
que telles dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères. “Le
Royaume du Maroc considère que cette agression flagrante et cette
provocation méthodique durant le mois sacré du Ramadan contre le
caractère sacré de la mosquée et sa place dans le cœur de la Oumma
islamique ne fera qu’attiser les sentiments de haine et d’extrémisme et
réduire à néant les chances de relance du processus de paix dans la
région,” avait poursuivi la même source. De même, le Maroc a, le 30
décembre 2022, voté d’une même voix à l’Assemblée générale de l’ONU avec
l’ensemble des pays arabes, y compris ceux qui ont eux aussi normalisé
avec Israël, pour que la Cour internationale de justice (CIJ) se
saisisse des crimes perpétrés par l’État hébreu dans les territoires
palestiniens.
Surtout, rappelons que dans la foulée de la guerre
israélo-palestinienne du printemps 2021, le Maroc avait, de façon
ouverte, réservé un accueil en grandes pompes au leader et chef du
bureau politique du mouvement palestinien du Hamas, Ismaël Haniyeh,
invité par le Parti de la justice et du développement (PJD), alors à la
tête du gouvernement. A l’époque, Mohammed VI avait même offert un dîner
en son honneur. “Si les agissements du gouvernement Netanyahou
provoquent une nouvelle intifada palestinienne, je ne vois pas comment
le Maroc pourrait maintenir des relations “normalisées”,” insiste une de
nos sources. “Il est vrai qu’il semble exister des parties au sein de
l’État marocain pour qui le Maroc doit passer avant la Palestine, ou
“Taza avant Gaza” comme on le disait à un certain moment, mais jusqu’où
va vraiment l’influence de ces parties? Pour moi, pas si loin que cela,
et les différents actes de Sa Majesté le prouvent, à mon avis.
Le Maroc pouvait par exemple dès 2019 obtenir une
reconnaissance américaine de sa souveraineté sur son Sahara, mais je
sais de mes propres sources diplomatiques que cela n’a pas été le cas
car un des points d’achoppements avait justement été qu’il ne
renoncerait aucunement à ses engagements vis-à-vis de la cause
palestinienne et que celle-ci était pour lui l’égale de sa propre cause
nationale.
La seconde intifada
Et le Maroc a bien fini par imposer cela à tout le
monde, y compris aux Israéliens ”. Et notre interlocuteur de rappeler
que Mohammed VI n’avait pas eu “le moindre scrupule” à rompre, en
octobre 2000, les relations avec Israël suite au déclenchement de la
seconde intifada palestinienne. “Je ne sais pas si on ira encore
jusque-là, surtout que la normalisation est advenue dans un cadre
tripartite où les ÉtatsUnis ont reconnu la marocanité de notre Sahara et
que c’est un élément fondamental dans l’équation, mais je peux très
bien imaginer que l’on ralentisse la cadence,” répond notre
interlocuteur à la question de savoir si le Maroc peut en arriver à
faire encore une fois machine arrière.
Cette question semble d’ailleurs se poser en Israël
même. Selon différentes sources consultées par Maroc Hebdo, c’est plutôt
du côté israélien qu’on ferait montre du plus d’entrain pour espérer
maintenir le Maroc dans le giron des pays arabes normalisateurs. D’où, à
en croire ces mêmes sources, le fait que le Maroc se trouverait “noyé”
d’accords qui le pousseraient à y réfléchir à deux fois avant de prendre
une décision qui ne serait pas dans l’intérêt d’Israël. Ce serait
notamment et surtout le cas de l’accord de coopération sécuritaire signé
en novembre 2021, et qui avait fait du Maroc le premier pays arabe à
être lié par un tel texte avec Israël. A cet égard, le Maroc semble être
devenu un des principaux clients de l’industrie de l’armement
israélienne.
Coopération sécuritaire
De façon régulière, de nouveaux achats sont annoncés.
Sont principalement concernés les drones, dont Israël est le premier
exportateur mondial. En septembre 2022, des sources avaient, par
exemple, affirmé que les Forces armées royales (FAR) en auraient
commandé 150 auprès de l’entreprise BlueBird Aero Systems. Et à
l’avenir, le Maroc pourrait lui-même procéder à la fabrication de drones
israéliens. Dans ce sens, des accords avaient signés lors de la visite
de juillet 2022 du chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv
Kochavi, dans le Royaume. Ils bénéficieraient du cadre légal offert par
la loi relative au contrôle des exportations de biens à double usage
civil et militaire, adoptée en juillet 2020 par le parlement à
l’initiative de Mohammed VI. Ces drones israéliens ne sont notamment pas
sans donner un avantage tactique aux FAR face à la guérilla qu’essaie
de faire renaître depuis novembre 2020 au Sahara marocain, le Front
Polisario. Ainsi, on sait de source médiatique qu’ils ont été à maintes
reprises utilisés pour neutraliser des dirigeants des milices du
mouvement séparatiste lors de tentatives d’incursion à l’orée du mur de
défense marocain.
Mais si on y inclut tout le package de l’armement
israélien que le Maroc peut se procurer, c’est l’Algérie elle-même,
premier soutien du Polisario, qui se ferait du mouron. Interrogé en
novembre 2021 par le quotidien français “L’Opinion”, un autoproclamé
“faucon” algérien était allé jusqu’à prédire que son pays allait se
retrouver dépassé militairement par le Maroc dans les trois ans. Certes,
on peut imaginer qu’à travers ce propos le concerné ait cherché à
donner davantage d’ampleur qu’elles n’en ont aux relations entre le
Maroc et Israël, de sorte à ancrer dans les esprits l’image de la
collaboration de deux soi-disants colonisateurs et ainsi renforcer le
faux parallèle entre la cause palestinienne et celle des séparatistes.
Mais le fait est que l’Algérie suit sans doute de près le renforcement
des relations militaires entre le Maroc et Israël. Au moment d’annoncer
la rupture, en août 2021, des relations bilatérales, le ministre des
Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, avait notamment fait
mention du “fait pour les autorités marocaines d’introduire une
puissance militaire étrangère dans le champ maghrébin”, à savoir
Israël.“Ce n’est qu’il y a deux ans qu’on a normalisé avec Israël, nous
n’avons pas attendu cette normalisation pour être en mesure de défendre
notre territoire national,” nuance un interlocuteur au fait des
questions militaires.
Agendas régionaux
“Ce sont des fadaises que l’on commence à dire que nous
dépendons désormais d’Israël. Nous pouvons bénéficier d’accords avec
lui comme avec n’importe quel pays qui dispose de la technologie
militaire, mais sans plus. Les médias devraient arrêter de relayer des
informations qui servent avant tout l’avantage d’Israël et de ses
agendas régionaux, celui de l’Algérie aussi qui cherche à faire de nous
une base arrière de Tel-Aviv -que nous ne sommes et nous ne serons
jamais-, mais aucunement l’intérêt de notre pays”.
D’autres interlocuteurs insistent sur le fait qu’à ce
jour le Maroc n’a toujours pas d’ambassade à Tel-Aviv mais un simple
bureau de liaison, comme au temps de la première normalisation à partir
de septembre 1994. Au cours de sa visite d’août 2021 au Maroc, le
ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, avait annoncé
l’ouverture d’ambassades respectives. Par la suite, il avait à
différentes reprises repris le même propos, après qu’entretemps le
désormais ex-chargé d’affaires israélien, David Govrin, s’est carrément
proclamé nouvel ambassadeur d’Israël. Ce qui n’a, au final, rien donné.
Est-ce la raison pour laquelle, en contrepartie, Israël refuse toujours
de reconnaître la marocanité du Sahara marocain? Car dès après le
soutien apporté, le 22 juin 2022 au Maroc, par l’ancienne ministre de
l’Intérieur israélienne, Ayelet Shaked, à l’intégrité territoriale du
Royaume, des voix officielles avaient rapidement pris leurs distances
avec elle.
Dans le même sens, M. Cohen n’a pas précisé si le Forum du Néguev allait se tenir au Sahara marocain et plus spécifiquement dans la ville de Dakhla et si de nombreux médias avaient vu juste après que M. Bourita a formulé le vœu au Sommet du Néguev de se réunir avec ses homologues “dans un autre désert”, en l’occurrence dans les provinces du Sud.
Et on pourrait d’ailleurs aussi soulever, à ce propos, la position de l’administration Biden. Celle-ci, sans pour l’heure remettre en question la décision de la reconnaissance qu’avait instiguée le président Donald Trump, ne l’a, de la même façon, pas formellement reconduite. En tout cas, rien en l’espèce n’est de nature à inciter à accélérer le rythme.
M. Netanyahou, qui au fur et à mesure s’est imposé comme maître du temps politique en Israël, doit bien en savoir quelque chose. Et il saura à l’évidence comprendre qu’un message de félicitations ne peut arriver en moment inopportun.
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